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L’indulgence à géométrie variable des dirigeants européens

Le président turc s’est à nouveau déchaîné, le week-end dernier, contre les dirigeants européens. Depuis quelques jours, Recep Tayyip Erdogan n’a cessé de porter des attaques pour le moins peu diplomatiques contre la chancelière allemande ou le Premier ministre néerlandais, accusant ceux-ci de « fascisme », au prétexte que des rassemblements en Allemagne ou aux Pays-Bas animés par des ministres turcs avaient été annulés.

Dimanche 19, il a à nouveau attaqué cette fois personnellement Angela Merkel : « vous employez des méthodes nazies contre mes frères en Allemagne, et mes frères ministres ». Il a en outre mis en cause Berlin pour son « soutien aux terroristes » du PKK. Près de 30 000 partisans de ce mouvement de libération kurde avaient défilé à Francfort le 18 mars. Enfin, il a tonné contre les autorités d’outre-Rhin qui « soutiennent » la confrérie de Fethullah Gülen, accusée par Ankara d’avoir fomenté le coup d’Etat manqué de juillet dernier. « Pourquoi les protègent-ils ? Parce que ce sont des instruments utiles de l’Allemagne contre la Turquie », a-t-il martelé.

Le ministre de l’Intérieur a une nouvelle fois brandi la menace de laisser partir les réfugiés syriens vers l’Union européenne

Il a par ailleurs appelé les familles turques vivant en Europe à faire « non pas trois, mais cinq enfants ». Son ministre de l’Intérieur a en outre, une nouvelle fois, brandi la menace de laisser partir les réfugiés syriens vers l’Union européenne, et de rompre ainsi l’accord de mars 2016.

Comme si tout cela ne suffisait pas, M. Erdogan a affirmé : « si (les dirigeants européens) n’étaient pas marqués par la honte, ils referaient des chambres à gaz ». Une saillie qui a fait réagir le chef de la diplomatie allemande : Sigmar Gabriel a estimé que ces propos étaient « choquants » et qu’une ligne rouge avait été franchie.

Enfin, le maître du Bosphore a indiqué qu’il souhaitait la réintroduction de la peine de mort dans son pays. En sachant très bien que, dans une telle hypothèse, l’UE romprait officiellement les négociations d’adhésion, qui sont déjà, de fait, suspendues.

Provocation calculée

En réalité, les propos du président turc relèvent de la colère feinte et de la provocation calculée. Ils visent d’abord à galvaniser l’électorat nationaliste en vue du référendum du 16 avril, où l’adoption de la réforme constitutionnelle (visant à lui assurer des pouvoirs quasi sans limite) n’est pas assurée.

Que l’UE prenne l’initiative elle-même de rompre ouvertement avec Ankara, voilà qui ferait les affaires du président (au moins à court terme, car à moyen terme, le pays reste très dépendant économiquement du commerce avec l’UE et des investissements des groupes européens). Du coup, à Bruxelles, on évite, pour des raisons tactiques, de donner cet avantage à M. Erdogan.

Mais cela aboutit à un saisissant contraste : d’un côté, les dirigeants européens affichent une placidité à toute épreuve face à un dirigeant qui les traite de nazis et exerce ouvertement un chantage au réfugiés à leur encontre ; de l’autre, ils n’ont pas de mots assez durs – « racistes », « extrémistes », « nationalistes », voire fauteurs de guerre – contre les forces ou les citoyens qui, au sein même de l’UE, remettent en cause le principe de l’intégration européenne.

Il est vrai qu’il y a quelques années encore, Bruxelles ne voyait pas au-dessus des « réformes » engagées par Ankara pour placer la Turquie dans l’orbite européenne…

 

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