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Les Espagnols retourneront une nouvelle fois aux urnes

Parlement espagnol

C’était devenu de plus en plus probable. C’est désormais officiel : les Espagnols retourneront aux urnes, en l’occurrence le 10 novembre. Deux mois se sont en effet écoulés depuis le 23 juillet dernier, date à laquelle le premier ministre socialiste, Pedro Sanchez, avait initialement tenté d’obtenir, sans succès, l’investiture parlementaire. Passé ce délai, faute de vote majoritaire des députés, la constitution impose de nouvelles élections.

Ce sera donc… le quatrième scrutin législatif depuis quatre ans. Pour comprendre ce blocage répétitif, il faut remonter aux élections de décembre 2015. Le paysage politique espagnol connaît alors un bouleversement : la domination écrasante des deux grands partis traditionnels, le Parti socialiste (PSOE) et le Parti populaire (PP, droite) est battue en brèche par l’émergence de deux nouvelles formations : Podemos, étiqueté gauche radicale, issu du mouvement social des Indignés ; et Ciudadanos, une formation initialement issue de la Catalogne mais radicalement opposée à l’indépendance de celle-ci, et qui s’est étendue à l’ensemble du pays, mettant en avant la lutte contre la corruption ainsi que le libéralisme, voire l’ultralibéralisme.

Cette quadripartition avait alors empêché la formation d’une majorité parlementaire, et provoqué un nouveau scrutin, en juin 2016. Mariano Rajoy (PP) s’était finalement maintenu à son poste en obtenant des majorités au coup par coup. Et ce n’est qu’en juin 2018 qu’il avait été renversé, de manière inattendue, par une motion de défiance parlementaire présentée par le chef des socialistes, Pedro Sanchez.

Le gouvernement minoritaire de Pedro Sanchez a tenu jusqu’à février 2019, date à laquelle son budget a été rejeté

Ce dernier a alors accédé à la présidence du gouvernement. Mais il ne disposait que sur 84 députés (sur 350). Son gouvernement minoritaire a tenu jusqu’à février 2019, date à laquelle son budget a été rejeté. De nouvelles élections, devenues inévitables, se sont alors tenues, le 28 avril dernier. Mais une nouvelle fois, la formation d’une majorité stable s’est avérée un casse-tête.

Le PSOE était certes apparu comme vainqueur du scrutin avec 28,7% des suffrages (+ 6,1 points), mais ses 123 députés étaient loin de représenter une majorité. De son côté, Podemos (avec quelques alliés) devait se contenter de 14,3% (- 6,8 points).

Ces élections avaient par ailleurs vu une chute du PP (16,7%, soit – 16,3 points), qui s’était fait plumer par ses deux partenaires potentiels de coalition : Ciudadanos (15,8%, + 2,8 points), et une nouvelle formation, nostalgique du franquisme, Vox. Cette dernière, qui surfait sur un soudain afflux de migrants et sur le rejet des indépendantismes, notamment catalan, obtenait 10,3% des suffrages.

Tractations entre le PSOE et Podemos

L’hypothèse d’une coalition de droite étant arithmétiquement écartée, les mois qui ont suivi le verdict électoral d’avril ont été marqués par des tractations entre le PSOE et Podemos. Ce dernier s’affichait prêt à constituer une coalition, mais exigeait une participation significative au gouvernement. Pedro Sanchez n’a jamais caché sa préférence pour un cabinet formé exclusivement par des ministres de son parti qui se serait appuyé sur les députés Podemos. Au cœur de l’été, il a cependant proposé trois ministères à cette formation – un geste que le leader de cette formation a jugé très insuffisant.

Pablo Iglesias, peut-être conscient qu’il a ainsi laissé passer une occasion, est revenu in extremis, mi-septembre, sur son refus. Trop tard, « la confiance a été rompue », a fait valoir M. Sanchez. Ce dernier était d’autant moins enclin à sauver la perspective d’un gouvernement avec Podemos que les deux groupes parlementaires ne suffisent pas à atteindre la majorité absolue. Pour gagner son investiture, le dirigeant socialiste devait aussi obtenir le soutien de députés autonomistes, dont les élus séparatistes de la Gauche républicaine catalane (ERC).

Or ce sont ces derniers qui l’avaient fait chuter, en février dernier, en refusant de soutenir son budget. Qui plus est, un tel soutien aurait pu fâcher une partie des électeurs socialistes hostiles à toute entente avec des séparatistes catalans. Et ce, à un moment où ce thème va refaire surface : plusieurs des dirigeants indépendantistes sont passés en procès pour avoir tenté de forcer l’indépendance de manière unilatérale (notamment avec le référendum jugé illégal d’octobre 2017). Les verdicts sont attendus prochainement.

Aux yeux des électeurs, Pedro Sanchez a probablement réussi à rejeter la responsabilité de ce nouveau retour aux urnes sur Podemos, mais aussi sur Ciudadanos

Aux yeux des électeurs, Pedro Sanchez a probablement réussi à rejeter la responsabilité du blocage, et donc de ce nouveau retour aux urnes, sur Podemos, mais aussi sur Ciudadanos : ce parti dit « centriste » avait, lui, assez de parlementaires pour former une coalition stable avec le PSOE. Et aucune divergence majeure ne sépare en réalité les deux formations. Une alliance qui aurait eu tout pour satisfaire les milieux d’affaires.

Mais le chef de Ciudadanos est resté ferme dans sa stratégie : tenter de devancer le PP, pour prendre ensuite la tête d’une coalition dite de centre-droit. Cet entêtement a provoqué une crise au sein de Ciudadanos, et pourrait bien lui coûter des voix. Le PP pourrait en revanche amorcer une remontée. Les sondages (qui n’ont pas toujours été de bons indicateurs dans le passé) prédisent par ailleurs une nouvelle chute de Podemos.

Plébiscite pour ou contre Pedro Sanchez

A ce stade, les élections du 10 novembre, dont la campagne officielle ne démarre que le 1er novembre, apparaissent comme une sorte de plébiscite pour ou contre Pedro Sanchez. Et ce dernier a quelques raisons d’espérer un résultat en sa faveur.

Certes il est improbable que les socialistes gagnent une majorité absolue. Mais, en cas de nouveau progrès, M. Sanchez pourrait se sentir légitime à diriger un gouvernement minoritaire : quel parti oserait provoquer un cinquième scrutin ?

Déjà, il est vraisemblable que les citoyens expriment un certain ras-le-bol de l’impasse actuelle en s’abstenant davantage qu’en avril. D’autant qu’aucun enjeu majeur n’oppose frontalement les forces en présence. En particulier, aucun parti ne remet en cause ni même ne critique vraiment l’Union européenne. De ce fait, la politique qui sera menée sera conforme au cadre communautaire, en particulier en matière économique et sociale.

Certes, avant le scrutin d’avril, le gouvernement minoritaire de M. Sanchez avait pris quelques mesures telles que l’augmentation du SMIC à 900 euros (+22%), l’indexation des retraites, ou la hausse des bourses étudiantes – autant de dispositions critiquées par ses adversaires comme électoralistes.

Dès lors qu’un gouvernement de plein exercice sera investi, Bruxelles ne devrait pas tarder à rappeler les règles et les contraintes budgétaires

Mais dès lors qu’un gouvernement de plein exercice sera investi, Bruxelles ne devrait pas tarder à rappeler les règles et les contraintes budgétaires. Ce ne sera du reste probablement pas nécessaire, tant les socialistes espagnols affichent fièrement leur « foi européenne ». Du reste, Josep Borrell qui détenait le portefeuille des affaires étrangères a rendu ce dernier pour intégrer la nouvelle Commission européenne qui prendra ses fonctions le 1er novembre, avec le titre de haut représentant de l’UE pour la politique extérieure. Et c’est une Espagnole qui préside désormais le groupe social-démocrate à l’europarlement (un poste traditionnellement détenu par le SPD).

Ces succès européens de M. Sanchez ne feront probablement pas oublier aux Espagnols, en particulier aux classes populaires, que le pays est loin d’avoir effacé la crise majeure des années 2010. Certes, les statistiques officielles du chômage ont diminué depuis cette période, mais elles recensent toujours 14% des privés d’emplois. Un chiffre qui sous-estime largement une réalité marquée par la précarité, la pauvreté et l’économie souterraine notamment dans les régions les plus défavorisées.

Quant à la conjoncture, elle s’annonce mauvaise dans l’Union européenne pour les mois qui viennent. Quels que soient les résultats du scrutin…

 

– L’édition de Ruptures de septembre vient de paraître (voir son sommaire). Une page est consacrée aux dernières nouvelles du Brexit. Pour recevoir cette édition et les suivantes, il n’est pas trop tard pour s’abonner.

–  Voir aussi les derniers développements politiques avec la décision de la Cour suprême britannique : article tout récemment mis en ligne sur ce site

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