Le 29 mars, Theresa May a fait parvenir à Bruxelles la lettre lançant officiellement la procédure de divorce du Royaume-Uni vis-à-vis de l’UE. Le président du Conseil européen, Donald Tusk, l’a réceptionnée avec « tristesse ». Deux jours plus tard, ce dernier a adressé aux Vingt-sept une proposition rassemblant les principes généraux censés servir de base à la Commission européenne pour négocier avec Londres.
Ce document sera discuté par les différentes capitales puis validé lors d’un sommet prévu le 29 avril. C’est alors la Commission qui prendra directement la main pour entrer dans le vif des pourparlers (récits et analyses détaillés à paraître dans notre édition de fin avril).
Ceux-ci, prévus pour durer moins de deux ans, s’annoncent déjà tendus. Quoiqu’ils s’en défendent, les dirigeants européens ont bien l’intention de faire passer le message aux peuples qui seraient tentés de suivre l’exemple britannique : quitter l’UE serait un cauchemar.
Le dépit des dirigeants européens face au Brexit pousse ces derniers à multiplier les embûches et à transformer toutes les occasions en chausse-trappe
Déjà, les premières frictions sont apparues : Bruxelles entend faire avancer les discussions sur trois points sensibles du divorce (facture de départ, sort des expatriés, frontière irlandaise) avant d’accepter de négocier un futur partenariat (notamment commercial) avec le Royaume-Uni ; Londres, à l’inverse, veut discuter des deux aspects de front.
Le dépit qu’a provoqué chez les dirigeants européens le vote en faveur du Brexit pousse ces derniers à multiplier les embûches et à transformer toutes les occasions en chausse-trappe. Dernier exemple en date : une petite phrase dans le document élaboré par M. Tusk. Le texte prévoit ainsi qu’aucun futur accord commercial éventuel entre le Royaume-Uni et l’UE « ne pourra s’appliquer à Gibraltar sans accord entre l’Espagne et la Grande-Bretagne ». Ce qui revient à donner à Madrid un droit de veto sur un futur arrangement impliquant ce territoire.
Gibraltar – un rocher urbanisé de 6,5 kilomètres carrés – est une enclave sous souveraineté britannique à l’extrême sud de l’Espagne. Il constitue depuis des lustres (en fait depuis les traités d’Utrecht de 1713…) une pomme de discorde entre les deux pays.
Levée de boucliers
A Londres, cette clause proposée par Bruxelles a provoqué une véritable levée de boucliers. Le ministre des Affaires étrangères, Boris Johnson, a martelé : « le Royaume-Uni sera ferme et implacable dans le soutien à Gibraltar ». Un ancien dirigeant conservateur a même rappelé l’exemple de Margaret Thatcher qui avait envoyé en 1982 la marine de guerre pour restaurer l’autorité de Sa Majesté sur les îles Malouines… Les tabloïds britanniques n’ont pas été en reste.
Les 30 000 habitants de Gibraltar – qui avaient largement voté pour rester dans l’UE – sont massivement attachés à leur statut britannique. De son côté, le Premier ministre espagnol n’est pas fâché de faire ressortir du vestiaire la vieille revendication de « souveraineté partagée », alors même qu’il dirige un gouvernement instable… et que quelques paroles nationalistes pourraient redorer son blason.
Histoire de mettre encore un peu d’huile sur le feu, Madrid a fait savoir qu’il ne bloquerait pas une éventuelle demande d’adhésion de l’Écosse à l’UE si les indépendantistes écossais réussissaient à obtenir un second référendum de sécession du Royaume-Uni et cette fois le gagnaient.
On est évidemment loin d’en être là, mais ce revirement de l’Espagne est clairement destiné à froisser Londres encore un peu plus. Jusqu’à présent, les dirigeants espagnols avaient toujours affirmé qu’ils s’opposeraient à ce que des régions sécessionnistes soient acceptées par l’UE : ce serait en effet un précédent fâcheux pour la Catalogne ou le Pays basque, dont les chefs font campagne pour l’indépendance.
Décidément, il n’y a pas à dire : l’Union européenne est formidable pour rapprocher les peuples…