Les députés italiens devraient voter, lundi 9 septembre au soir, la confiance au nouveau cabinet dirigé par Giuseppe Conte. Le lendemain, les sénateurs feront sans doute de même. Mais la Ligue et son leader, Matteo Salvini, pourraient bien tirer profit de la nouvelle configuration.
La crise politique italienne couvait depuis de nombreux mois. Elle a éclaté le 8 août, lorsque Matteo Salvini, chef de la Ligue et à ce moment ministre de l’Intérieur, a annoncé son coup d’éclat. Elle a finalement connu son dénouement le 5 septembre, avec l’annonce d’un gouvernement s’appuyant sur une nouvelle coalition, rebattant ainsi les alliances politiques.
Ce cabinet, très différent du précédent même s’il est à nouveau dirigé par Giuseppe Conte, va donc se mettre au travail dès le vote de confiance des députés puis des sénateurs. Les parlementaires – nombreux – qui redoutaient de perdre leur siège à la faveur d’élections anticipées, de même que les dirigeants européens et les forces pro-UE en Italie, ainsi que les marchés financiers (qui ont rebondi dès que fut confirmée la mise en place du nouvel exécutif), ont poussé un immense soupir de soulagement. Mais la plupart de ces forces le savent bien : le répit n’est que provisoire.
Le tonitruant et populaire dirigeant de la Ligue avait, début août, joué un coup de poker en annonçant une motion de défiance contre son propre gouvernement. Il avait argué de la guérilla croissante entre les deux forces qui composaient la majorité constituée quatorze mois auparavant – une situation qui engendrait en effet nombre de blocages.
Ses anciens alliés du Mouvement cinq étoiles (M5S, fondé par le comique Beppe Grillo et catalogué populiste) de même que ses adversaires, avaient de leur côté accusé ce dernier de vouloir provoquer des élections anticipées dans le seul intérêt de son parti, en l’occurrence pour profiter de la remarquable popularité de celui-ci. Car en lui accordant 36%, 38%, voire 40% des intentions de vote, les sondages semblaient confirmer voire amplifier la spectaculaire progression de la Ligue : lors des européennes de mai dernier, celle-ci avait obtenu plus de 34% des suffrages, soit le double du score réalisé lors des législatives de mars 2018.
Matteo Salvini ne s’en est d’ailleurs pas caché, affirmant qu’un retour aux urnes constituait « la voie royale » de la démocratie, et que le pays avait besoin qu’on lui confie « les pleins pouvoirs », c’est-à-dire une majorité ne dépendant pas de partenaires réticents.
M. Conte s’est montré particulièrement dur à l’égard de Matteo Salvini, lui reprochant d’affaiblir l’Italie au sein de l’Union européenne
Lors du débat qui s’est tenu le 20 août au Sénat dans une ambiance particulièrement tendue, Giuseppe Conte, a annoncé la fin du gouvernement, rendant ainsi caduque la motion de défiance que s’apprêtait à déposer la Ligue. M. Conte s’est montré particulièrement dur à l’égard de celui qui a pris l’initiative de la rupture, lui reprochant entre autres d’affaiblir l’Italie au sein de l’Union européenne.
Une course de vitesse s’est alors engagée pour trouver une coalition de rechange afin d’éviter le retour aux urnes souhaité par M. Salvini. C’est l’ancien président du Conseil Matteo Renzi (qui est resté aussi impopulaire dans son pays qu’Anthony Blair l’est dans le sien) qui a pris l’initiative d’un improbable rapprochement entre sa propre formation, le Parti démocrate (PD, dit de « centre-gauche »), et le M5S.
Après validation par les adhérents de ce dernier, l’attelage annoncé le 29 août s’est finalement réalisé, en dépit des innombrables insultes que les deux partis se sont échangées dans les années récentes (« populistes dangereux et irresponsables » d’un côté, « corrompus et pourris » de l’autre), reflet des multiples oppositions entre une formation symbolisant la « caste politique » et un mouvement fondé à l’origine comme un « non-parti » dénonçant les turpitudes de celle-ci.
Avec cette alliance contre-nature, il est probable que la popularité du M5S se dégrade encore plus. Déjà, ce dernier avait dégringolé de 33% à 17% entre les législatives de mars 2018 et les européennes de mai 2019.
Nouveau gouvernement
Le nouveau gouvernement compte dix ministres issus de chacun des deux camps. Mais le M5S risque de s’affaiblir encore un peu plus face aux politiciens aguerris du PD. Son chef, Luigi Di Maio, hérite certes des Affaires étrangères – poste prestigieux mais hors des priorités de ce mouvement – mais n’a pas obtenu de garder le titre de vice-premier ministre. Quant à Giuseppe Conte, un économiste non encarté mais qui passait pour proche du M5S, il jouait un rôle relativement effacé dans le cabinet qu’il dirigeait jusque là. Il a désormais pris de l’autorité et de l’autonomie politiques.
Le nouveau cabinet aura comme tâche prioritaire de préparer le budget 2020, qui doit être soumis à la Commission européenne à l’automne et doit être conforme à ses règles
Pour sa part, et contrairement aux commentateurs prompts à gloser sur « l’échec de Salvini qui s’est tiré une balle dans le pied», la Ligue pourrait bien profiter de sa nouvelle position d’opposant quasi-exclusif. D’autant que le nouveau cabinet aura comme tâche prioritaire de préparer le budget 2020, qui doit être soumis à la Commission européenne à l’automne et doit être conforme à ses règles. En l’occurrence, celles-ci imposent de trouver entre 23 et 30 milliards (compte tenu des négociations antérieures entre Rome et Bruxelles), c’est-à-dire d’opérer des coupes majeures dans les budgets publics, et de renoncer aux baisses d’impôts initialement promises. En un mot, il va désormais falloir faire le « sale boulot ».
Ce nouveau gouvernement devrait également rompre avec la « fermeté » vis-à-vis des arrivées de migrants sur les côtes italiennes, fermeté sur laquelle Matteo Salvini a construit une large part de son aura. Celui-ci pourra encaisser ainsi tranquillement les dividendes d’une telle situation, tout en dénonçant par ailleurs les sordides « combinazione » des partis unis par leur seule volonté d’éviter le retour aux urnes
Certes, M5S et PD ont mis au point un programme commun comportant vingt-six points, dont la « lutte contre les inégalités », une « solution européenne au programme migratoire », ou des investissement dans l’environnement et les énergies renouvelables. Mais beaucoup d’orientations opposent en réalité les deux forces politiques. M. Di Maio répète sur tous les tons que ce gouvernement est dans la continuité et poursuivra l’action du précédent, tandis que le leader du PD, Nicola Zingaretti, explique tout au contraire que le changement et la rupture constituent le nouveau mandat de l’exécutif…
Au-delà des bisbilles prévisibles, les forces ouvertement pro-UE ont repris la main. Le nouveau ministre de l’Economie, Roberto Gualtieri, présidait la commission des Affaires économiques de l’europarlement et passe pour très apprécié à Bruxelles ; celui chargé des Affaires européennes, Enzo Amendola, est un partisan acharné de l’intégration ; surtout, on connaît désormais le nouveau Commissaire européen nommé par Rome, en l’occurrence l’ancien chef du gouvernement, Paolo Gentiloni, celui-là même que les électeurs avaient chassé en mars 2018. Tous les trois sont issus du PD.
A la faveur de la crise, les forces pro-UE ont donc gagné… du temps. Mais c’est sans doute reculer pour mieux sauter
Les négociations avec Bruxelles devraient donc en être facilitées pour la préparation du budget 2020. A noter qu’en juin dernier encore (après un premier bras de fer en décembre 2018, au cours duquel Rome s’était finalement incliné), la Commission européenne avait une nouvelle fois brandi la menace d’une procédure de sanctions (officiellement pour endettement excessif), alors même que certains économistes et dirigeants proches de la Ligue travaillaient à la mise en place d’un mécanisme (« mini-bots ») qui pouvait préfigurer une sortie de l’euro…
A la faveur de la crise, les forces pro-UE ont donc gagné… du temps. Mais c’est sans doute reculer pour mieux sauter. Et les premiers test sont proches : trois élections régionales (Ombrie, Calabre, Emilie-Romagne) sont prévues en octobre et novembre.