Boris Johnson a réussi, en moins de deux semaines, trois miracles successifs. Pourtant, depuis qu’il a accédé au 10 Downing street, fin juillet, les parlementaires anti-Brexit n’auront rien épargné au premier ministre britannique : rebuffades, « camouflets », manœuvres et blocages.
Avec un objectif : non pas inverser le sens de l’Histoire – car peu d’entre eux croient désormais sérieusement que la sortie du pays pourra être empêchée – mais interdire au chef du gouvernement de tenir sa promesse emblématique. Celui-ci avait juré de rendre le Brexit effectif au 31 octobre, une date convenue en avril dernier avec les Vingt-sept. L’obstruction parlementaire a fait capoter cette échéance, et a contraint à un ultime report d’ici le 31 janvier 2020 au plus tard.
Entre 60% et 70% des citoyens considèrent que la « violence contre les élus » pourrait être « le prix à payer » pour résoudre enfin la question du Brexit
C’est une stratégie dangereuse de la part des députés pro-UE. Un récent sondage a fait apparaître un résultat pour le moins déroutant : entre 60% et 70% des citoyens (selon la région) considèreraient que la « violence contre les élus » pourrait être « le prix à payer » pour résoudre enfin la question du Brexit – une opinion partagée même par une majorité d’opposants à la sortie de l’UE…
Toute enquête d’opinion mérite évidemment d’être prise avec précaution, mais il est indubitable que les atermoiements depuis trois ans ont littéralement exaspéré une très grande majorité des citoyens. Alors que le référendum du 23 juin 2016 a décidé que le pays devait quitter l’Union, ce verdict n’a toujours pas été mis en œuvre du fait des efforts conjoints du Parlement britannique et des dirigeants européens. Ces derniers voulaient montrer que le choix de partir constituait un enfer afin de dissuader d’autres peuples de suivre l’exemple britannique.
Trois victoires qui semblaient inatteignables
Finalement, même s’il n’a pu tenir l’échéance promise, Boris Johnson a emporté trois victoires politiques qui semblaient, il y a quelques semaines encore, totalement inatteignables.
Le nouveau texte change certains aspects essentiels qui constituaient pourtant des « lignes rouges » des Vingt-sept
Le 17 octobre, un nouvel accord de divorce est conclu avec Bruxelles. Et ce, alors même que les dirigeants européens ne cessaient de répéter, depuis un an, que l’accord signé en novembre 2018 par Theresa May ne pouvait être renégocié – pas même une virgule. Le nouveau texte change certains aspects essentiels qui constituaient pourtant des « lignes rouges » des Vingt-sept.
Le 19 octobre, les parlementaires reportent la discussion et donc la ratification dudit texte, mais le 21, une majorité d’entre eux approuve le principe d’une loi transposant dans le droit britannique l’accord en question. Une étape que Theresa May n’avait jamais pu franchir.
Le 29 octobre enfin, après trois tentatives infructueuses du chef du gouvernement, les députés acceptent la dissolution du Parlement et des élections anticipées le 12 décembre. Pour Boris Johnson, c’est enfin la perspective d’en finir avec une paralysie parlementaire qui paraissait indépassable.
La première victoire, celle du nouvel accord signé avec l’UE, est considérable. Là où le texte précédent était susceptible de garder indéfiniment le Royaume-Uni au sein de l’union douanière européenne, celui-ci constituera un territoire douanier séparé (au terme d’une période transitoire d’une année), et aura donc la liberté de négocier des accords commerciaux avec des pays tiers.
D’autre part, si le chef du gouvernement a dû accepter que des règles et normes de l’UE (en matière de protection des consommateurs, par exemple) pour les marchandises s’appliquent à l’Irlande du Nord (partie intégrante du Royaume-Uni), des arrangements douaniers seront mis en place pour éviter qu’une frontière physique soit rétablie entre la République d’Irlande (membre de l’UE) et l’Irlande du Nord.
Le « filet de sécurité » auquel Bruxelles tenait tant, et qui aurait pu maintenir le Royaume-Uni prisonnier, est écarté
Ces dispositions devront être renouvelées – ou pas – tous les quatre ans par le parlement régional de cette dernière. Le « filet de sécurité » (« backstop ») auquel Bruxelles tenait tant, et qui aurait pu maintenir éternellement le Royaume-Uni prisonnier, est donc écarté.
La deuxième victoire semblait également improbable : le principe dudit accord a été approuvé par les parlementaires (par 329 voix contre 299). Mme May, malgré trois tentatives, n’avait pu franchir cet obstacle. Cette fois, le texte a recueilli l’assentiment tant des « Brexiters radicaux » que de ceux qui se sont résignés à un Brexit à condition qu’il ne soit pas trop « brutal » (sortie « sans accord »).
Enfin, le dernier succès paraissait hors de portée, car l’opposition travailliste – profondément déchirée entre un appareil pro-UE, et des électeurs des classes populaires pro-Brexit – se refusait à de nouvelles élections, synonymes pour elle de probable débâcle. A la quatrième tentative du premier ministre cependant, les dirigeants du Labour ont dû lever leur veto, tant ce blocage paraissait politiquement indéfendable.
Période électorale de six semaines
S’ouvre donc désormais une période électorale de six semaines. Le scrutin à venir est déjà décrit comme le plus important depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Tout laisse à penser que le Brexit sera au cœur de la campagne, dans un pays plus polarisé que jamais.
Les Travaillistes risquent de recueillir un résultat calamiteux. Certains de leurs électeurs aisés et urbains, majoritairement pro-UE, pourraient bien être tentés de glisser vers les Libéraux-démocrates, qui plaident ouvertement pour que le Brexit soit purement et simplement annulé.
Quant aux électeurs des classes populaires et des villes ouvrières, bastions traditionnels du Labour, ils pourraient faire payer à leur parti son ralliement de fait au sentiment pro-UE des élites, et le positionnement illisible de leur leader, Jeremy Corbyn. Certains d’entre eux pourraient récompenser la fermeté de M. Johnson, qui n’a pas bougé d’un pouce sur l’exigence de respecter coûte que coûte le verdict du référendum.
« Il arrive un moment où même les dindes ne pourront plus empêcher Noël » – Geoffrey Cox
Les enquêtes d’opinion accordent pour l’heure plus de dix points d’avance à son parti par rapport aux Travaillistes. Certes, une élection n’est jamais jouée tant que les urnes ne sont pas refermées. Mais, désormais, toutes les conditions sont réunies pour que le Brexit devienne enfin une réalité, même si ses opposants tenteront certainement d’ultimes manœuvres.
Car, comme le faisait remarquer dans un style très britannique l’Attorney General (conseiller juridique du gouvernement) Geoffrey Cox : « il arrive un moment où même les dindes ne pourront plus empêcher Noël ».
(Plus d’informations et d’analyses dans l’édition de Ruptures du mois d’octobre, qui arrive le 31 chez les abonnés)