Dans une interview à EurActiv, Julianne Smith, conseillère d’Hillary Clinton sur l’Europe pendant la campagne de cette dernière, expose ce qu’aurait été la politique européenne de la candidate malheureuse à la Maison Blanche.
Directrice du « programme de sécurité transatlantique » au sein du Centre pour une nouvelle sécurité américaine (Center for a New American Security), un think tank néo-conservateur proche du Parti démocrate, Julianne Smith dirigeait « une équipe de près de 50 conseillers politiques durant la campagne » d’Hillary Clinton. Cent jours après la prise de fonction de Donald Trump, elle estime que si la candidate avait été élue, la politique étrangère des États-Unis aurait été radicalement différente.
Selon Julianne Smith, les priorités du début d’une présidence Clinton en matière de politique européenne auraient été celles-ci : « Une visite en Europe, une stratégie pour renforcer les liens USA-UE, un examen complet de notre relation avec la Russie auraient été réalisés en collaboration avec nos alliés européens, et nous aurions essayé de voir ce que nous pouvions faire de plus pour soutenir l’Ukraine. »
Le diagnostic de la conseillère d’Hillary Clinton, partagé par la quasi-totalité des élites euro-atlantistes, est sans originalité : « Dans l’ensemble, on partait du constat que le projet européen traversait une crise. Quand vous voyez le Brexit, le défi du terrorisme, l’agression de la Russie, la montée des partis populistes, le manque de confiance en les institutions internationales comme l’UE, l’Europe avait besoin du soutien des États-Unis. »
L’engagement en faveur de la construction européenne et de l’OTAN, deux importantes constantes washingtoniennes depuis plus de soixante ans, est clairement exprimé par Julianne Smith : « Les États-Unis ne font bien évidemment pas partie de l’UE, mais nous avions la capacité d’aider le projet européen. Et de continuer à encourager les relations USA-UE, de soutenir l’OTAN, de repousser l’agression russe en Europe centrale et de l’Est, et de renforcer la dissuasion dans les pays baltes et ceux qui se trouvent à l’est du territoire de l’OTAN. »
« Nous aurions travaillé avec nos partenaires européens pour intervenir auprès des pays qui reviennent sur des réformes démocratiques. » – Julianne Smith
Malgré les revirements récents (sur l’UE, l’OTAN, l’interventionnisme, et peut-être le TTIP), Julianne Smith estime qu’ « il y a un grand malaise sur les objectifs de l’administration [Trump], sa stratégie, son sentiment vis-à-vis de l’Europe et son engagement vis-à-vis du projet européen et de la relation transatlantique ». Elle insiste sur la différence d’approche : « Hillary Clinton et notre équipe avaient la conviction que Washington devait tendre la main et s’appuyer sur le partenariat entre Barack Obama et Angela Merkel, et entretenir une relation plus étroite avec de nombreux leaders en Europe et à Bruxelles, et travailler avec nos alliés européens pour renforcer notre coopération. »
Plus précisément ? « Nous aurions travaillé avec nos partenaires européens pour intervenir auprès des pays qui reviennent sur des réformes démocratiques. Des déclarations politiques conjointes auraient pu être faites entre Washington et Bruxelles pour critiquer par exemple ce que Viktor Orbán est en train de faire avec l’Université d’Europe centrale [aussi appelée “université Soros”]. » Bref, de l’ingérence en bonne et due forme.
De telles réprobations communes auraient-elles été envisageables dans le cas de la dynamique autocratique du président turc ? « Nous voulions aussi nous concentrer sur la relation USA-Turquie, qui est dans un état déplorable depuis quelques années, notamment depuis la tentative de coup d’État contre Recep Tayyip Erdoğan et le profond désaccord sur l’extradition de Fethullah Gulen. » Il est difficile d’être plus timide et « diplomatique » sur le sujet. Mais il est vrai que la Turquie est un membre de premier plan de l’OTAN.
Julianne Smith critique ce qu’elle perçoit comme de l’indécision et de l’impréparation dans la politique de l’administration Trump : « Nous ne savons pas ce qu’ils veulent faire avec la Russie, ni avec l’UE, ça ne semble pas les intéresser et c’est inquiétant. » Elle juge par ailleurs qu’il y a « beaucoup de fanfaronnade, de tweets, de déclarations provocantes, mais nous attendons toujours de voir la couleur de leurs véritables politiques. Nous n’avons pas vu grand-chose en ce qui concerne l’Europe et la relation transatlantique. » Force est de reconnaître que ces observations paraissent justifiées. Cela dit, tout le monde n’espère pas que la clarification se fera dans le même sens…
Julianne Smith termine l’interview par des recommandations adressées aux « partenaires européens » : « L’Europe va devoir se concentrer sur une Europe à plusieurs vitesses, et savoir si oui ou non, la France et l’Allemagne veulent mener de l’avant certaines initiatives avec un petit groupe de pays voulant avancer sur le programme européen. Il est très difficile d’avancer à 28, je pense qu’il est temps de changer de stratégie. Si Angela Merkel remporte les élections, je pense que c’est ce qu’elle fera. » On ne remerciera jamais assez l’establishment américain pour son souci désintéressé du bien-être de la construction européenne.
La version « libérale » de l’impérialisme américain ressemble à s’y méprendre à la version qui prévaut au sein du Parti républicain.
Nous ne sommes guère surpris par les positions pro-UE et pro-OTAN d’Hillary Clinton. Elles sont cohérentes avec le projet néo-conservateur et interventionniste en matière de politique étrangère qu’elle n’a cessé de défendre. La version « libérale » de l’impérialisme américain ressemble à s’y méprendre à la version qui prévaut au sein du Parti républicain. Les fondamentaux sont les mêmes : ingérence, déstabilisation de régimes, « guerres humanitaires », hystérie anti-russe, vassalisation des pays européens, promotion musclée des « intérêts » et des « valeurs » des États-Unis à l’étranger.
Le Centre pour une nouvelle sécurité américaine (CNAS) dont Julianne Smith est une responsable éminente a pour objectif d’ « élaborer des politiques de sécurité et de défense nationales fortes, pragmatiques et fondées sur des principes qui favorisent et protègent les intérêts et les valeurs américains ». Ce qui peut se traduire par des mots plus directs : impérialisme et hégémonie.
Si Hillary Clinton était devenue la présidente des États-Unis, elle aurait été probablement en bonne place pour recevoir le prix Charlemagne, cette distinction qui récompense les personnalités de premier plan ayant œuvré activement à l’unification européenne. Sa médaille aurait pu rejoindre sur la cheminée du domicile conjugal celle de William Clinton, récipiendaire de ce prix en 2000, lorsqu’il était le locataire de la Maison Blanche. La symétrie aurait produit un effet esthétique non dénué d’élégance.