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En toile de fond du G20, la rivalité Berlin-Washington

Merkel plaide pour que l'UE "prenne son destin en main"

(Editorial paru dans l’édition de Ruptures du 28/06/17)

28 mai 2017, Munich. Sous un vaste chapiteau rassemblant les chrétiens-sociaux bavarois, Angela Merkel lâche : « nous, les Européens, devons vraiment prendre en main notre destin ». La chancelière venait de participer successivement à un sommet de l’OTAN puis à un G7 marqués par la fronde de Donald Trump – une confrontation qu’elle résumait ainsi : « les temps où nous pouvions nous reposer sur d’autres sont en partie révolus, je l’ai vécu ces derniers jours ».

Pour comprendre la portée d’une telle déclaration, il convient de revenir très en arrière. Les décennies qui suivent la seconde guerre mondiale sont marquées par un partage des rôles : un développement économique spectaculaire de la République fédérale d’Allemagne en échange duquel ses dirigeants acceptent l’hégémonie politique américaine.

La « réunification » allemande – en fait l’OPA hostile sur la RDA – marque un tournant majeur. Les élites politiques et économiques d’outre-Rhin renouent avec des ambitions mondiales. Elles considèrent l’Union européenne, sur laquelle Berlin exerce une influence dirigeante, comme le vecteur naturel de ces ambitions. Les rivalités entre Washington et Berlin émergent alors peu à peu, la crise ukrainienne en étant une expression cachée (qui rebondira plus tard en affrontement autour du projet de gazoduc Nord Stream 2). Les responsables allemands restent cependant respectueux du leadership global de l’Oncle Sam.

L’élection du milliardaire atypique à la Maison-Blanche a soudain accéléré la donne

L’élection du milliardaire atypique à la Maison-Blanche a soudain accéléré la donne. Ce dernier a tour à tour mis en cause l’OTAN, débiné l’UE, stigmatisé le libre échange, soutenu le Brexit, et – pire encore peut-être pour les élites occidentales et les dirigeants des firmes multinationales – fait un bras d’honneur à l’accord de Paris sur le climat. Même si (sauf sur ce dernier sujet) Donald Trump n’a pas lésiné sur les volte-face ou déclarations contradictoires.

Mais ne serait-ce que cette imprévisibilité sur des sujets qui fondent l’hégémonie libéralo-occidentale est insupportable aux élites mondialisées. C’est donc dans ce contexte qu’il faut comprendre les déclarations de Mme Merkel. Déjà, lors de la tournée d’adieux européenne de Barack Obama en février, une partie de la presse allemande et européenne avait interprété (voire salué avec enthousiasme) la visite de ce dernier comme un adoubement de la chancelière en tant que nouveau chef du « monde libre ». Du coup, les dernières incartades du président Trump poussent les dirigeants européens à plaider pour une « relance » urgente de l’intégration communautaire – en particulier militaire.

Méthode Coué et propagande éhontée

L’année dernière, ceux-ci étaient au bord de la crise de nerfs, lessivés par le rejet populaire croissant de l’UE, lui-même lié aux suites de la crise économique et sociale de la zone euro, à l’afflux migratoire et aux divisions sur ce dossier, au vote britannique pour sortir de la galère… Mélangeant méthode Coué et propagande éhontée, les Cassandre d’hier croient désormais déceler un lever de soleil radieux : présidentielle autrichienne, législatives néerlandaises, victoire du pro-européen Macron, et difficultés de Theresa May… Le tout agrémenté d’une conjoncture économique s’annonçant plus souriante, à condition, bien sûr, d’opérer les « réformes nécessaires », comme vient amicalement de le rappeler le patron du plus gros fonds mondial d’investissement, Blackrock, à son ancien collègue de la finance qui siège désormais à l’Elysée.

L’UE, pas plus qu’elle n’était à deux doigts de sombrer il y a six mois, n’est tirée d’affaire aujourd’hui

En fait, l’UE, pas plus qu’elle n’était à deux doigts de sombrer il y a six mois, n’est tirée d’affaire aujourd’hui. Aucun des explosifs cités n’est désamorcé. En France par exemple, l’européiste président aurait tort d’imaginer qu’un boulevard lui est offert. Si les électeurs les plus réticents à l’intégration européenne – ouvriers ou chômeurs, banlieusards ou ruraux, partisans de Jean-Luc Mélenchon, de Marine Le Pen, ou autre – se sont le plus massivement abstenus, ce n’est sûrement pas parce qu’ils auraient subitement découvert des charmes cachés à Bruxelles.

A l’inverse, la « déferlante » des députés macronistes offre un visage très particulier du « renouveau » : les « petits nouveaux » du Palais-Bourbon présentent massivement le profil d’entrepreneurs, de patrons de start-up, de conseillers en management ou en « ressources humaines »… Tout ce petit monde est naturellement euro-enthousiaste. Mais cette image inversée de la France populaire est l’une des grenades qui pourrait sauter un jour ou l’autre au visage du nouveau pouvoir.

Reste à savoir quand.

Pierre Lévy

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