Le jugement était attendu. Le 24 juin, la Cour européenne de justice (CEJ) a rendu un verdict donnant raison à la Commission européenne contre la Pologne. Bruxelles avait attaqué Varsovie à propos d’une réforme qui abaissait notamment l’âge de la retraite pour les magistrats siégeant à la Cour suprême polonaise (CS). Les membres de celle-ci devaient donc bénéficier d’un repos bien mérité à 65 ans pour les hommes, à 60 ans pour les femmes.
Pas question, ont tranché les juges de la CEJ. Ceux-ci ont estimé que la réforme était en infraction avec le droit européen.
Dans le contexte, il ne s’agit pas du énième arrêt des juges de Luxembourg bloquant une avancée sociale. Les juges de l’UE évoquent cette fois une atteinte à l’indépendance de la justice polonaise. Car le but caché du gouvernement serait de se débarrasser des magistrats de la Cour suprême en désaccord avec le parti au pouvoir, Droit et Justice (PiS, droite conservatrice), affirme la CEJ. C’est du reste aussi l’opinion de la présidente de la CS, Malgorzata Gersdorf, elle-même touchée par la limite d’âge, mais qui entend rester à son poste. Varsovie avait du reste admis récemment le maintien de celle-ci.
Le verdict s’appuie notamment sur le fait que, selon une des dispositions de la réforme votée en juillet 2017 (photo), le président de la République se voit reconnaître le droit de prolonger le service des juges au-delà de l’âge prévu. La CEJ y voit une prérogative discrétionnaire, et donc une menace sur l’indépendance de la justice polonaise par rapport à l’exécutif.
Le gouvernement polonais a dénoncé un jugement s’immisçant dans l’organisation interne des institutions du pays
Le gouvernement polonais a immédiatement dénoncé un jugement s’immisçant dans l’organisation interne des institutions du pays, un domaine sur lequel l’UE n’a en principe pas de mandat. Cette indignation est parfaitement légitime. D’autant que la réforme vise officiellement à aligner l’âge de la retraite des juges de la CS sur le droit commun.
Hélas, l’argumentaire du PiS a rajouté des arguments douteux. Il a en particulier insisté sur le fait que la réforme permettrait d’écarter des juges nommés « du temps du communisme » et soupçonnés d’en être nostalgiques.
Une telle affirmation signifie – en fait, confirme – que le gouvernement reconnaît vouloir se débarrasser de certains juges, non à propos de reproches quant à l’exercice de leur fonction, mais bien sur la base de leurs opinions présumées.
On notera que ce point n’a nullement été relevé par la CEJ. Plus généralement, les dirigeants de l’UE ne voient rien à redire quand le gouvernement d’un Etat membre proclame sans fard vouloir se livrer à une chasse aux sorcières vis-à-vis des « nostalgiques du communisme ». C’est du reste le cas depuis belle lurette non seulement en Pologne mais aussi dans un certain nombre de pays d’Europe orientale. Cela n’est manifestement pas contraire au droit européen, ni aux « valeurs » dont Bruxelles se rengorge tous les matins.
En développant cet argument, les dirigeants polonais se tirent cependant une balle dans le pied : ils valident l’accusation de la CEJ selon laquelle leurs motivations relèvent de l’arbitraire politique.
Réformes demandées
Naturellement, la Commission européenne s’est immédiatement réjouie du verdict de Luxembourg, en soulignant que « l’existence d’une confiance mutuelle entre les pays membres » en matière de système judiciaire dépend de l’« indépendance » de chacun d’entre eux.
Dans ses « recommandations», la Commission demande par ailleurs à la Pologne de prendre « des mesures visant à relever l’âge effectif de la retraite »… pour tout le monde
La Commission s’est en revanche bien gardée de faire référence aux « recommandations » qu’elle a adressées aux pays membres début juin. Ces « recommandations » constituent en fait la feuille de route permettant à Bruxelles de surveiller, contrôler et orienter les politiques nationales en matière budgétaire, économique mais aussi de « réformes ». Elles rentrent dans le cadre de la « gouvernance » intrusive mise en place à partir des années 2010, et qui vient renforcer les contraintes imposées par le Pacte de stabilité.
Ces « réformes » doivent être « accélérées », tel a été cette année le leitmotiv de Bruxelles. Dans le document adressé à la Pologne, celle-ci se voit par exemple sommée de prendre « des mesures visant à relever l’âge effectif de la retraite ».
Pour tout le monde, juge ou pas…