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Les sociaux-démocrates allemands subissent une troisième déculottée électorale en quelques mois

Martin Schulz en campagne

En Rhénanie du Nord-Westphalie, les élections régionales du 14 mai ont vu le parti de la chancelière dépasser le SPD dans l’un des fiefs historiques de ce dernier. Ce scrutin test compromet lourdement les chances de Martin Schulz (photo) de battre Angela Merkel en septembre prochain.

Pour les sociaux-démocrates allemands (SPD), la catastrophe redoutée s’est bien produite : dimanche 14 mai, ils ont essuyé une véritable gifle lors des élections régionales du Land de Rhénanie du Nord-Westpahlie. Venant après deux autres élections régionales ayant déjà marqué la même tendance, ce scrutin était considéré comme un véritable test avant les élections générales de septembre prochain.

Un test d’autant plus inquiétant pour le SPD que la Rhénanie du Nord-Westphalie constitue l’un de ses bastions historiques, du fait d’une longue tradition industrielle et ouvrière, notamment dans le bassin de la Ruhr (Duisburg, Essen, Dortmund, Bochum…). En outre, ce Land, le plus peuplé de la République fédérale, compte 18 millions d’habitants soit 13,1 millions d’électeurs inscrits – près du quart du pays à lui tout seul.

65,2% de ceux-ci se sont déplacés, soit une participation en hausse 5,6 points par rapport au scrutin précédent en 2012. La CDU (l’Union chrétienne-démocrate présidée par Angela Merkel) a quelques raisons de triompher : avec 33% des suffrages, elle progresse de 6,7 points, même si, en 2012, ses résultats avaient été particulièrement bas. Surtout, elle devient le premier parti du Land, dépassant ainsi le SPD, ce qui était le cauchemar de ce dernier. Depuis la seconde guerre mondiale, une telle situation ne s’était produite qu’une fois (durant la législature 2005-2010).

Avec 31,2% des voix, le SPD tombe en dessous de son pire résultat depuis la seconde guerre mondiale (32% en 1947)

Avec 31,2% des voix – soit 7,9 points de moins qu’en 2012 – celui-ci tombe en dessous de son pire résultat depuis la seconde guerre mondiale (32% en 1947). Hannelore Kraft, le ministre-président sortant, a immédiatement annoncé sa démission. Elle était depuis 2010 à la tête du Land sur la base d’une coalition avec les Verts.

Ces derniers aussi connaissent une vraie déroute : avec 6,4% des suffrages, ils perdent 4,9 points, soit pas loin de la moitié de leurs électeurs. Quant au parti Die Linke (comparable au Parti de gauche français), il progresse de 2,4% à 4,9%, mais pas assez cependant pour franchir le seuil de 5% qui lui aurait permis d’entrer au parlement régional. Pour sa part, le Parti pirate disparaît quasiment du paysage.

Outre la CDU, deux forces politiques sortent gagnantes du scrutin. L’Alternative pour l’Allemagne (AfD, parti souvent qualifié de « populiste d’extrême-droite », mais très libéral sur le plan économique) qui n’existait pas il y a cinq ans, obtient 7,4%. Un score qui lui permet d’avoir des députés, mais qui apparaît cependant en retrait au regard des percées qu’il avait réalisées en 2016 dans d’autres Länder. Le mouvement est présentement en proie à des divisions internes.

Enfin, les Libéraux (FDP) fêtent un score de 12,6%, soit 4 points de plus que précédemment, et leur meilleur score régional historique. Les dirigeants nationaux de ce parti veulent voir là un signe de renouveau dans la perspective des élections générales de septembre prochain : ils espèrent revenir au Bundestag (parlement national), d’où ils avaient été spectaculairement exclus en 2013, faute d’avoir obtenu 5% des voix.

Armin Laschet, le dirigeant de la CDU régionale, devrait donc devenir le prochain ministre-président du Land. Il a annoncé qu’il engageait des discussions avec toutes les autres forces (sauf l’AfD), faisant valoir qu’il n’était pas tenu de former une coalition dès le lendemain matin. Cependant, seules deux configurations semblent envisageables : une alliance « noir-jaune » où la CDU prendrait le FDP comme partenaire, mais qui, à ce stade, reposerait sur une très courte majorité de sièges. Ou bien une « grande coalition », au sein de laquelle le SPD deviendrait le partenaire junior de la CDU, à l’image de l’actuelle configuration qui gouverne à Berlin.

Implication nationale

Il reste à savoir si les sociaux-démocrates seraient partants pour jouer les utilités dans ce Land qui était encore leur fief hier. La question a au demeurant une implication nationale, à quatre mois des élections générales.

Car, à l’évidence, un peu partout dans le pays, le SPD fait les frais de la grande coalition qui l’associe à Angela Merkel depuis deux législatures. Cette dernière recueille les fruits de l’image rassurante de « stabilité » qu’elle a – au moins partiellement – réussi à imposer. A l’inverse, ses partenaires sociaux-démocrates subissent l’usure du pouvoir auquel ils sont associés depuis huit ans à Berlin, mais sans réussir à se distinguer, ni à se prévaloir des quelques « avancées sociales » que l’actuelle chancelière met en avant (par exemple la création d’un salaire minimum). Avec une certaine habileté, celle-ci a pu apparaître comme volant au SPD une partie de son programme.

Il y a encore un an, Mme Merkel semblait pourtant en mauvaise posture : sa décision, prise fin août 2015, d’ouvrir grand les portes aux vagues de réfugiés (sous conseil du patronat) avait entraîné l’afflux de plus d’un million de migrants, avec les considérables difficultés qui en ont résulté. Sa popularité en avait été sérieusement affectée, au point de jeter le doute sur sa capacité à se succéder. L’accord avec la Turquie imposé par la chancelière à l’UE en mars 2016 a cependant endigué le phénomène : Ankara retient pour l’heure trois millions de migrants sur son sol.

Rebond provisoire des sondages

Fin janvier, nouvelle alerte à la chancellerie : la désignation de l’ex-président de l’europarlement, Martin Schulz (photo), comme tête de liste des sociaux-démocrates pour les élections de septembre 2017 avait fait bondir les sondages en faveur du SPD, qui passa en quelques jours de 20% à 30% d’intentions de vote. M. Schulz, connu dans la bulle bruxelloise, apparaissait peu compromis dans la gestion gouvernementale à Berlin, presque un homme « neuf ».

Mais il a fallu vite déchanter : en mars dans la Sarre, puis le 7 mai dans la région du Schleswig-Holstein (nord du pays), les sociaux-démocrates essuyèrent deux déceptions. Dans le premier cas, les stratèges sociaux-démocrates avaient affirmé que c’était l’éventualité d’une alliance régionale avec Die Linke (gauche dite « radicale ») qui avait effrayé les électeurs, avec en perspective une telle coalition (SPD-Verts-Die Linke) au niveau national.

Du coup, cette fois, leurs camarades de Rhénanie du Nord-Westphalie avaient bien pris soin d’exclure cette hypothèse. Sans plus de succès. Le résultat est d’autant plus amer que M. Schulz, lui-même rhénan, avait « mouillé la chemise » et personnellement mené campagne dans sa région d’origine. Dans ces conditions, tous les observateurs s’accordent pour considérer qu’Angela Merkel a toutes les chances d’obtenir un quatrième mandat en septembre prochain. D’autant que si le FDP refait surface, il constituerait un partenaire alternatif de choix pour la CDU.

Mais l’échec social-démocrate a des raisons plus profondes que les jeux politiciens. A l’inverse de l’image couramment répandue d’une Allemagne uniformément prospère, le pays souffre d’une pauvreté qui touche des pans entiers de la population. La précarité, notamment, fait des ravages. En outre, le gouvernement fédéral encaisse les dividendes des exportations toujours plus massives, alors même que des infrastructures nationales se dégradent : au nom de la « rigueur » budgétaire, l’Etat investit peu, et les collectivités locales sont étranglées. Cela touche en particulier les services publics.

Le rôle des Verts dans le gouvernement régional sortant a largement contribué à des arbitrages « pro-environnement », c’est-à-dire en réalité anti-industriels

Cette situation dégradée se manifeste particulièrement dans le vieux Land industriel Rhénan, où des zones entières sont désormais laissées en jachère. La question de la sécurité est également durement ressentie par les plus modestes. Cerise sur le gâteau : le rôle des Verts dans le gouvernement sortant a largement contribué à des arbitrages « pro-environnement », c’est-à-dire en réalité anti-industriels.

Une réalité qui explique sans doute que plus d’un électeur sur trois n’ait pas souhaité se rendre aux urnes, malgré la très forte médiatisation qu a marqué le scrutin.

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