De justesse, mais l’étape a été franchie. Par 362 mandats (56%) contre 279, les délégués réunis à Bonn le 21 janvier pour le congrès extraordinaire du Parti social-démocrate allemand (SPD) ont donné leur feu vert à l’ouverture des négociations avec les chrétiens-démocrates (CDU et CSU) en vue d’établir un contrat pour une future « grande coalition » (« Groko »). Les pourparlers se sont donc engagés dès le 22 janvier, sur la base du cadre établi entre les trois partis au terme des « discussions exploratoires » conclues le 12 janvier.
Les négociations pourraient prendre quelques semaines. Ensuite, le résultat sera soumis aux adhérents du SPD qui seront appelés à se prononcer par référendum. Si une majorité approuve le futur accord, la République fédérale devrait, près de six mois après le scrutin du 23 septembre, être à nouveau gouvernée par une alliance CDU-CSU-SPD, conduite par la chancelière sortante, qui rempilerait ainsi pour un quatrième mandat.
Si en revanche la base sociale-démocrate refusait le compromis, la seule alternative restante serait entre de nouvelles élections ou un gouvernement minoritaire. Un vote favorable semble aujourd’hui le plus probable, mais une surprise n’est pas à exclure, tant la reconduite de la coalition des battus (SPD et CDU/CSU avaient connu chacun une défaite historique) emballe peu les militants sociaux-démocrates. Le vote serré au congrès, précédé et marqué par de fortes tensions entre adversaires et partisans de la « Groko », montre que l’engagement de la direction du parti – en particulier de son chef, Martin Schulz, et de la président du groupe parlementaire, Andrea Nahles – n’a nullement effacé les réticences.
nombreux sont ceux qui voient la reconduction d’une participation gouvernementale comme suicidaire
Et pour cause : nombreux sont ceux qui voient la reconduction d’une participation gouvernementale comme suicidaire, tant celle-ci a déjà endommagé le crédit du SPD. Les opposants critiquent également le peu d’avancées que les négociateurs sociaux-démocrates ont imposé à leurs partenaires chrétiens-démocrates.
En face, M. Schulz a tenté, dans un discours virulent de mettre en avant les points actés avec la CDU et la CSU, notamment en matière de politique éducative. Celui qui était il y a quelques mois encore président de l’europarlement – ce qui ne lui a manifestement pas assuré la sympathie des électeurs allemands – a également vanté « le tournant politique historique » en matière européenne que Berlin impulserait si la future Groko voit le jour. Cet éloge flamboyant d’une intégration européenne renforcée, en osmose avec Emmanuel Macron, est censé être un marqueur « de gauche », face aux amis d’Angela Merkel décrits comme des euro-timides. Un comble…
Mais l’argument massue suggéré par la direction du SPD pour justifier « le courage et la détermination » en vue d’un accord est plus terre à terre. En substance : sans accord avec la CDU, il y aura de nouvelles élections. Or les sondages continuent à signaler une nouvelle dégringolade du parti.
M. Schulz a cependant dû évoquer en creux tous les points que ses négociateurs n’ont pas obtenu dans un premier temps, et qu’il se fait fort d’imposer désormais – un objectif martelé pour convaincre les délégués, mais qui paraît peu crédible. Cela vaut en matière de précarité du travail, de médecine à deux vitesses, ou bien de facilitation du regroupement familial pour les réfugiés. Quelques heures à peine après la clôture du congrès, la CSU a rappelé que ce qui avait été acté dans les discussions exploratoires ne pourrait être renégocié.
Futur vote des adhérents
Les négociations débutent donc, et, après leur très probable conclusion, la prochaine étape sera le vote des adhérents du SPD. Mais quand bien même celui-ci serait positif, la formation du gouvernement de grande coalition risque bien ne pas vraiment mettre un terme à l’« instabilité » que haïssent tant les élites dirigeantes d’outre-Rhin.
Certes, à très court terme, l’Allemagne sera sortie des turbulences post-électorales. Mais, s’il voit le jour, le nouveau cabinet Merkel sera confronté à des contradictions et difficultés inédites, face à des oppositions parlementaires diversifiées.
Même si ce n’est pas du côté des Verts que les ennuis pourraient être les plus rudes, ces derniers restent cependant amers d’âtre passés tout près des allées du pouvoir sans finalement transformer l’essai. Les négociations entre chrétiens-démocrates, Verts et Libéraux (FDP) avaient en effet été rompues par ces derniers en novembre.
Le parti Die Linke (La Gauche) va s’efforcer de recueillir la sympathie de tous les déçus des promesses « sociales » du SPD. De l’autre côté du spectre, le FDP ne manquera pas, sous un vocabulaire branché et moderniste, de conquérir de nouveaux soutiens du côté de ceux qui appellent de leurs vœux plus de libéralisme encore, tout en prenant quelques distances avec la religion européiste (surtout dès lors qu’il serait question d’envisager des budgets partagés au niveau de la zone euro).
Enfin et surtout, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) se frotte déjà les mains
Enfin et surtout, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD, souvent qualifié de « populiste » ou d’extrême-droite), se frotte déjà les mains. Si la nouvelle grande coalition voit le jour, elle deviendra la première force d’opposition, avec le poids politique, symbolique, mais aussi institutionnel que cela confère. Or tout indique que les sujets sur lesquels l’AfD entend capitaliser – les migrants, en particulier – ne disparaitront pas de si tôt. Un boulevard peut donc s’ouvrir pour elle, sauf si elle se plombe par de nouvelles divisions internes (car cette formation regroupe des sensibilités fort diverses).
Quoiqu’il en soit, la CDU (et plus encore la bavaroise CSU, qui devra faire face à un scrutin régional en septembre) seront les premières à pâtir de nouveaux transferts de voix en direction de l’AfD. Raison pour laquelle la formation d’Angela Merkel compte dans ses rangs nombre de très tièdes partisans de la reconduction de l’alliance avec le SPD. Sans compter que les ambitieux commencent à piaffer dès lors que Mme Merkel apparaît de plus en plus usée par douze années de pouvoir (dont huit avec les sociaux-démocrates).
Bref, comme le notait l’hebdomadaire intellectuel (catalogué au « centre-gauche ») Die Zeit, la stabilité gagnée à très court terme pourrait vite se transformer en instabilité à moyen terme. Du côté de l’Elysée, où l’on a ouvertement milité pour la formation d’une Grande coalition, on ferait bien de ne pas se réjouir trop vite.
La situation politique en Allemagne sera notamment au cœur des Rencontres de Ruptures, organisées le 9 février à l’ENS. Le journaliste et politologue berlinois Florian Warweg figure parmi les invités.
Il est vivement conseillé de s’inscrire sans attendre :
rencontres@ruptures-presse.fr