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Turquie : courte victoire du Oui, embarras à Bruxelles et Berlin

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Le président turc a gagné le référendum qu’il organisait le 16 avril en vue d’une réforme constitutionnelle majeure. Le Oui aux nouvelles dispositions proposées par Recep Tayyip Erdogan et son parti « islamo-conservateur », l’AKP, a obtenu 51,3% des suffrages, avec une participation électorale atteignant 85%.

Les amendements transformant la constitution devraient entrer en vigueur en 2019. Ils accordent au président des pouvoirs considérablement élargis : disparition du poste de Premier ministre, désignation par le chef de l’Etat de vice-présidents, contrôle par ce dernier du pouvoir judiciaire, transformation du Parlement en quasi chambre d’enregistrement… Sans attendre cette échéance, le président Erdogan pourra dès maintenant légalement (re)devenir le chef de son propre parti ; et désigner le Haut conseil chapeautant juges et procureurs.

Erdogan franchit une étape majeure dans l’objectif qu’il s’était fixé dès 2002 : « fermer la parenthèse du kemalisme ».

Pour une part, le référendum rend légal une situation de fait : Recep Erdogan s’était déjà attribué un rôle allant bien au-delà de la Constitution actuelle. Plus fondamentalement, il franchit ainsi une étape majeure dans l’objectif qu’il s’était fixé dès l’arrivée de l’AKP au pouvoir, en 2002 : « fermer la parenthèse du kemalisme ».

Dit autrement : renouer avec l’esprit national-religieux qui avait imprégné l’empire ottoman jusqu’à l’effondrement de celui-ci à l’issue de la Première guerre mondiale. En 1923, le leader historique Mustafa Kemal Ataturk avait conduit une drastique modernisation du pays passant notamment par la séparation de l’Islam et de l’Etat. Jusqu’à la fin des années 1990, Kemal, fondateur de la République, faisait figure de héros national incontesté.

Propagande omniprésente pour le Oui

Le président Erdogan, qui semble parfois flirter avec la mégalomanie, comme en témoigne la construction de l’immense palais présidentiel à Ankara, comptait bien bénéficier de sa victoire face à la tentative manquée de putsch du 15 juillet 2016. Cette dernière – à ce jour non totalement élucidée – avait servi de prétexte à une répression féroce : plus de cent mille licenciements de la fonction publique (militaires, policiers, juges, universitaires, agents des impôts…), des dizaines de milliers d’emprisonnements, y compris de députés et de journalistes, des restrictions sans précédent à la liberté de la presse. Le pays reste du reste sous état d’urgence.

L’AKP, qui avait reçu le soutien des dirigeants du parti ultra-nationaliste MHP, a littéralement inondé le pays de propagande en faveur du Oui, et marginalisé la campagne des partisans du Non.

La courte avance du Oui s’apparente à une victoire à la Pyrrhus

Dans ces conditions, la courte avance du Oui s’apparente, selon de nombreux observateurs, à une victoire à la Pyrrhus. Et ce, alors même que le parti traditionnel social-démocrate (CHP), de même que le parti représentant notamment la minorité kurde (HDP), ont dénoncé de nombreuses irrégularités susceptibles de mettre en cause la sincérité du résultat. Le 18 avril, le CHP a du reste déposé officiellement un recours en annulation. Le pouvoir turc tablait sur une victoire à 60%, voire plus.

Les trois plus grandes villes du pays, notamment, ont voté majoritairement Non : Izmir, traditionnellement peu favorable à l’AKP, mais surtout Istanbul – fief électoral de Recep Tayyip Erdogan – et la capitale Ankara. Dans ces deux dernières métropoles, les deux partis soutenant le Oui avaient totalisé près des deux tiers des voix aux législatives de novembre 2015 ; le Non totalise cette fois 52% des suffrages.

De même, la vaste région du sud-est à forte population kurde a refusé majoritairement les réformes soumises à consultation – la plupart des municipalités kurdes ont été mises sous tutelle dans le cadre de la guerre lancée par Ankara contre « le terrorisme kurde ».

Le Oui connaît en revanche des scores importants dans l’Anatolie « profonde », avec le vote des petits entrepreneurs qui doivent beaucoup à l’homme fort d’Ankara et des milieux ruraux. Les expatriés turcs en Allemagne et en France ont également voté massivement en faveur de la réforme.

Prudence de l’UE

A Berlin comme à Bruxelles, on a accueilli avec prudence le résultat, alors même que la pression croissante mise contre les libertés publiques et les menaces supplémentaires que contient la réforme constitutionnelle auraient provoqué des indignations et condamnations diplomatiques massives si elles se déroulaient sous d’autres cieux. Angela Merkel a appelé le président turc à rechercher un « dialogue dans le respect » avec les partis politiques nationaux. Pour sa part, l’UE a invité la Turquie à bâtir un « consensus national »

M. Erdogan a fait allusion à un futur référendum sur l’adhésion à l’UE

Autant de plaidoyers qui représentent du pain bénit pour le chef de l’Etat, qui peut ainsi dénoncer des ingérences occidentales. Dès l’annonce des résultats, il a à nouveau évoqué un possible référendum sur le rétablissement de la peine de mort, ce qui, selon Bruxelles, représente la ligne rouge au-delà de laquelle les « négociations » d’adhésion de la Turquie – qui sont déjà dans un coma dépassé – seraient forcloses. Du reste, M. Erdogan a également fait allusion à un autre référendum sur cette adhésion.

En réalité, cette perspective d’adhésion a toujours été très théorique. La relance des négociations en ce sens avait pourtant été une contrepartie exigée par Ankara en échange du marché, conclu début 2016, aux termes duquel la Turquie acceptait de bloquer les réfugiés et migrants en route vers l’Europe.

En revanche, la Turquie reste à ce jour – malgré certains rapprochements avec Moscou dans le dossier syrien, et malgré la rhétorique anti-occidentale du président – un solide membre de l’OTAN, et la deuxième armée de l’Alliance après celle des Etats-Unis.

Le dossier du référendum en Turquie et de ses conséquences sera analysé dans la prochaine édition de Ruptures, à paraître fin avril. Si ce n’est déjà fait, abonnez-vous !

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