Difficile de passer à côté de la dernière superproduction bruxelloise. D’un côté, le méchant, la firme américaine Google. De l’autre, la superwoman de la Commission européenne, la Danoise Magrethe Vestager. Cette dernière, comme nul ne peut plus l’ignorer, a infligé le 27 juin, en sa qualité de commissaire européen à la Concurrence, une amende de 2,4 milliards d’euros au géant de l’Internet. Une somme record.
Le bon peuple est donc prié d’applaudir : « vous voyez bien que l’Union européenne ne s’en laisse pas compter face à l’Oncle Sam »…
L’on ne pleurera pas ici sur le sort de la société californienne qui « pèse » 80 milliards de chiffre d’affaires (et 18 milliards de profits). Du reste, cette dernière devrait faire appel, ce qui lui laissera sans doute quelques années avant de passer au distributeur automatique de billets et de s’acquitter de la somme.
Reste qu’il n’est pas inutile de rappeler les griefs exhibés à son encontre. S’agit-il de sanctionner l’emprise de ce « Big Brother » collectant les données personnelles de millions d’internautes ? De punir le mélange des genres entre service rendu aux utilisateurs (le moteur de recherche) et publicité insidieuse mais massive ? De mettre à l’index la monétisation des données collectées aux firmes les plus offrantes ?
Ce que l’euro-héroïne reproche à Google… c’est de ne pas laisser ses concurrents faire pareil
Que nenni. Ce que l’euro-héroïne reproche à Google… c’est de ne pas laisser ses concurrents faire pareil. Mme Vestager condamne en effet une des fonctions de Google, baptisée « Google shopping », qui est en réalité un comparateur de prix. Ce dernier est suspecté de privilégier systématiquement ses propres offres, et de reléguer ses concurrents hors visibilité.
« Google a abusé de sa position dominante » a martelé le commissaire, qui a – c’est son job – rappelé que la concurrence est le principe le plus sacré de l’Union européenne (un principe qui connaît cependant une exception : le Conseil européen des 22 et 23 juin a promu l’Europe militaire notamment en prévoyant de subventionner massivement la recherche et le développement communs d’armements, voire la production commune de capacités, dans le but d’« éviter les doublons » industriels ou technologiques – lire l’édition du 27 juin de Ruptures).
Naturellement, seuls les très mauvais esprits pourraient imaginer que la sanction bruxelloise contre une société américaine pourrait, par ailleurs, servir demain de fausse fenêtre si la Commission se préparait également à frapper Gazprom, le géant russe du gaz ; c’est en effet le prochain dossier que Mme Vestager a entre les mains…
Séries à succès
Cette dernière a, dans son pays, servi de modèle pour diverses séries à succès (notamment Borgen, une femme au pouvoir) mettant en scène une politicienne ambitieuse à qui tout réussit. Mais elle a une concurrente (si l’on ose dire pour la chef de la concurrence) au sein de l’exécutif européen en la personne de Cecilia Malmström.
Pour ceux qui l’ignorent (s’ils existent), rappelons que cette Suédoise est commissaire au Commerce international. Pas tout à fait un poste secondaire, puisque c’est elle qui négocie, au nom des vingt-huit Etats membres, les différents accords de libre échange (ALE) comme celui en vigueur avec le Canada (CETA).
C’est elle qui était en première ligne pour essuyer la rebuffade de Donald Trump, lorsque ce dernier a, pour l’instant du moins, euthanasié le TTIP. Mais, comme sa collègue Magrethe, Cecilia n’est pas femme à se laisser abattre. Elles bataille actuellement pour négocier des ALE avec le Viêt-Nam (déjà signé), le Mexique, le Mercosur…
Mais c’est avec le Japon que les discussions pourraient déboucher très vite. Si tel est le cas, tant pis pour l’industrie automobile européenne ou les petits agriculteurs nippons, car ce serait une consécration pour la Commission, ainsi qu’un succès apprécié par les élites mondialisées et leurs relais médiatiques.
Qui en pincent décidément pour les Wonder Women scandinaves.