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Ursula von der Leyen confirmée à la tête de la Commission européenne : la boucle est bouclée ?

Elle ne sera donc pas chancelière – une perspective jadis crédible, mais qui avait pâli depuis quelques années. Pas non plus Secrétaire général de l’OTAN, un poste pour lequel son nom circulait dans les milieux de l’Alliance atlantique, sans doute parce qu’elle a été le premier ministre allemand de la Défense ayant accru le budget militaire (+40% en six ans).

C’est finalement la présidence de la Commission européenne qu’Ursula von der Leyen a obtenue. Après de laborieux marchandages, elle avait été désignée à ce poste par le Conseil européen du 2 juillet sur l’initiative conjointe d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel. Le 16 juillet, elle a été confirmée dans cette fonction par un vote de l’europarlement. Elle prendra ses fonctions en novembre.

Elle a obtenu 383 voix, soit seulement neuf de plus que la majorité absolue qui lui était nécessaire. Elle aurait théoriquement pu compter sur 444 votes, si les eurodéputés des trois groupes qui la soutenaient officiellement avaient tous voté en sa faveur. Un échec était cependant très peu probable, tant il aurait déclenché une crise institutionnelle inextricable.

Depuis deux semaines, la bulle bruxelloise jouait à se faire peur

Mais, depuis deux semaines, la bulle bruxelloise jouait à se faire peur. Car beaucoup, au sein de l’Assemblée de Strasbourg, n’ont pas digéré l’humiliation infligée par le Conseil. Celui-ci avait en effet jeté aux orties la méthode revendiquée par les europarlementaires selon laquelle le candidat présenté par la formation arrivée en tête aux élections européennes devait prendre la tête de la Commission. Sous pression de Paris notamment, Manfred Weber, le champion du Parti populaire européen (PPE, droite, auquel appartient Mme von der Leyen) avait pourtant été écarté.

Au sein même de cette formation, de nombreux grincements s’étaient alors fait entendre. La colère était forte également chez les sociaux-démocrates européens, qui avaient un temps cru pouvoir pousser en avant leur propre candidat. Et la Danoise Margrethe Vestager, Commissaire star à Bruxelles, portait les espoirs des Libéraux.

Du coup, depuis le 3 juillet, Mme von der Leyen n’a pas épargné sa peine pour consoler et séduire les uns et les autres. Intervenant finalement juste avant le vote, elle a beaucoup promis : une Europe « plus sociale », avec un salaire minimum, et qui créée plus d’emplois pour les jeunes ; plus d’efforts pour la santé, l’éducation, et contre la pauvreté ; une lutte contre les violences faites aux femmes ; le sauvetage des migrants en mer ; un engagement « sans transiger » en faveur de l’ « Etat de droit »…

Bien sûr – c’est désormais une exigence idéologique majeure des élites oligarchiques de l’UE – sa première priorité sera « l’urgence climatique »

Et bien sûr – c’est désormais une exigence idéologique majeure des élites oligarchiques de l’UE – sa première priorité sera « l’urgence climatique », sous la forme d’un « green deal européen », et moyennant un nouveau durcissement des objectifs de réduction de CO2. Elle a ainsi plaidé pour la « neutralité carbone » (mais certainement pas géopolitique…) d’ici 2050.

Cela n’a pas suffi au groupe des Verts pour la soutenir. Son co-président, Philippe Lamberts, s’est plaint d’avoir été « relégué en bout de table puis finalement écarté » dans les négociations initialement engagées en vue d’une « grande coalition » à quatre. « Nous sommes une force politique respectable, nous avons été traités de manière insultante », s’est indigné M. Lamberts.

Mme von der Leyen s’est également dite prête à accepter un nouveau recul de la date de sortie du Royaume-Uni, si Londres le demande (ce qui n’est en aucune manière le cas), se faisant huer au passage par nombre d’eurodéputés britanniques.

Finalement, elle a réussi à rallier certaines voix venues du groupe des « Conservateurs et réformistes européens » (ECR) où siègent notamment les ultraconservateurs au pouvoir en Pologne (PiS) – Angela Merkel serait discrètement intervenue auprès de Varsovie, selon certaines sources – ainsi, plus étonnant encore, que de certains eurodéputés du Mouvement cinq étoiles italien.

Fiction grotesque

Pour les familiers de Bruxelles et Strasbourg, la séquence était passionnante. En revanche, elle a évidemment laissé de marbre l’écrasante majorité des citoyens des différents pays de l’UE. D’autant que le spectacle était affligeant et pathétique : les différentes promesses prodiguées par la future patronne ressemblaient à celle d’un « gouvernement » en début de mandat. Une fiction grotesque.

Le choix de Mme von der Leyen est sans grande influence sur les contradictions explosives auxquelles l’UE est confrontée depuis quelques années, et qui ne peuvent que s’aggraver.

Dans ces conditions, le choix de la personnalité finalement élue – forcément au sein d’un panel idéologiquement homogène, en tout cas fidèle à la « foi européenne » – n’a qu’une importance limitée. Il est sans grande influence sur les problèmes et contradictions explosives auxquels l’UE est confrontée depuis quelques années, et qui ne peuvent que s’aggraver.

Ainsi, le thème de l’arrivée des migrants continuera à susciter controverses et antagonismes entre pays membres. La crise économique pourrait rebondir et resurgir dans la prochaine période, d’autant que la première puissance économique de la zone voit sa croissance caler.

Les oppositions entre gouvernements partisans d’une orthodoxie budgétaire stricte (dont Mme von der Leyen constitue un beau spécimen) et ceux accusés par ces derniers de laxisme devraient s’aiguiser, notamment au sein de la zone euro.

Et certains gouvernements de l’Est devraient continuer à jouer les frondeurs en matière d’« Etat de droit », narguant ainsi leurs homologues occidentaux – sans toutefois déclencher de guerre ouverte, tant les fonds en provenance de Bruxelles restent importants pour Varsovie ou Budapest.

A ce sujet, les négociations en vue du futur budget pluriannuel de l’UE (2021-2027) ne vont pas manquer d’être explosives, a fortiori avec l’ardoise que devrait laisser le Royaume-Uni en sortant…

Toutes ces bombes à retardement reflètent en réalité la contradiction majeure fondamentale : celle qui ne cesse de croître entre les partisans d’une « Europe plus juste et plus unie » (selon les termes de la future chef de Bruxelles)… et les peuples qui, de manière plus ou moins consciente, sentent que « l’aventure européenne », par sa nature même, ne mène qu’à plus de casse sociale et à la confiscation de la démocratie.

Les dirigeants sont parfois victimes de leur propre propagande

Mme von der Leyen veut aller toujours plus loin dans l’intégration, par exemple en proposant une « conférence » sur l’avenir institutionnel de l’UE (comme demandé par Emmanuel Macron), ou bien en abandonnant la règle de l’unanimité en matière de politique étrangère. Peut-être même croit-elle que cela répond à une attente populaire. Après tout, les dirigeants sont parfois victimes de leur propre propagande, un peu comme George W. Bush imaginait que les boys seraient accueillis avec enthousiasme à Bagdad. On connaît la suite.

En 2014, l’actuel président, Jean-Claude Juncker, avait lancé son mandat en martelant que sa Commission serait celle « de la dernière chance ». Sous son règne, les crises n’ont pas manqué. Il n’y avait pas eu d’Allemand à la tête de la Commission européenne depuis Walter Hallstein, qui inaugura ce poste lors de la fondation de la CEE, en 1958. Qui sait si, par une facétieuse ruse de l’Histoire, Ursula von der Leyen ne sera pas, finalement, la dernière à l’occuper, avant liquidation ?

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