Découverte d’une valeureuse chaîne YouTube consacrée à la critique des approximations et erreurs scientifiques dans la presse grand public. Et comme le dit son auteur, « y a du boulot… » Une salutaire initiative d’éducation populaire et de stimulation de l’esprit critique.
Débats rationnels et médias dominants ne font généralement pas bon ménage. Mais la confrontation loyale d’arguments réfléchis est devenue particulièrement difficile, pour ne pas dire impossible, quand il s’agit d’évaluer l’opportunité des avancées de la recherche scientifique et de leurs applications – notamment dans les domaines agronomique et médical –, tant l’espace public (en France, du moins) est sous l’empire d’une technophobie épidermique et d’un alarmisme pavlovien. Des affirmations aussi anxiogènes que faiblement étayées ont tendance à remplacer l’information scientifique.
Lorsqu’il est question du nucléaire, des OGM, des pesticides, des vaccins ou des perturbateurs endocriniens, pour ne citer que ces exemples marquants, le traitement médiatique est très souvent biaisé par une pétition de principe qui se manifeste sous la forme d’une profonde méfiance à l’égard de tout ce qui n’est pas « naturel ». Ce parti pris naïf est plus de nature idéologique (ou romantique) que scientifique, le critère naturel/non-naturel étant à la fois imprécis et insuffisant pour juger des avantages et inconvénients d’une technologie.
C’est l’idée même de progrès qui est combattue, malgré les bienfaits manifestes apportés par la science et ses méthodes.
De plus, la légitime critique politique des pratiques économiques des industriels se mélange à l’évaluation scientifique des propriétés et effets des technologies qu’ils commercialisent, et dont on leur attribue parfois la paternité à tort, oubliant l’importance – malheureusement décroissante – de la recherche publique. Schématiquement, le « raisonnement » est celui-ci : les OGM sont nocifs car Monsanto est une entreprise malfaisante. Rappelons au passage que ce n’est pas la multinationale américaine qui a inventé les organismes génétiquement modifiés, qu’il vaudrait d’ailleurs mieux appeler PGM en l’occurrence (pour « plantes »).
Nous sombrons dans ce que l’ingénieur agronome et économiste de la santé Jean de Kervasdoué appelle la « confusion des ordres ». Voici ce qu’il en dit dans l’interview qu’il a accordée à Ruptures (édition du 27 octobre 2015) : « Il n’existe que deux méthodes pacifiques pour trancher les conflits : les tribunaux et la science. Les scientifiques sont souvent en désaccord mais leurs disputes sont résolues par l’expérience. Les grands précurseurs de la méthode scientifique sont parvenus à séparer les ordres : celui du religieux, celui du juste et celui du vrai. Aujourd’hui, on revient à la confusion des ordres. »
Ce chevauchement contraire à la rigueur scientifique est grandement alimenté par les médias et partis installés, tant ils sont sous l’influence (plus ou moins consciente) de certaines associations écologistes, dont le lobbyisme n’a rien à envier à celui des industriels. C’est l’idée même de progrès qui se retrouve combattue, malgré les bienfaits manifestes qu’ont produits la science et ses méthodes, en premier lieu dans le domaine de la santé.
Si les conditions d’un débat rationnel ne sont pas remplies, c’est qu’il y a en amont un profond déficit d’information et d’éducation scientifiques, notamment à la télévision et à la radio, y compris sur le service public. Puisque les médias généralistes assument peu ou très mal ce rôle, il faut encourager et faire connaître les initiatives qui cherchent à palier ce manque, notamment en critiquant les égarements irrationnels et les fausses évidences vertes.
C’est le cas par exemple de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS) et de sa revue Science & pseudo-sciences, dont nous recommandons chaudement la lecture. Autre démarche salutaire : celle de la chaîne YouTube « Un Monde Riant » qui propose une série de vidéos sur le thème « Zététique et journalisme ». L’auteur en présente ainsi l’objet : « Zététique appliquée au traitement journalistique de l’information scientifique grand public. » Signalons que la zététique consiste à exercer un rationalisme critique fondé sur le respect des faits et de la démarche scientifique ; il s’agit de pratiquer le doute cartésien et d’encourager au renforcement des défenses intellectuelles face aux pseudo-sciences, aux « thérapies déviantes » et aux croyances sur le paranormal.
Cette chaîne YouTube au style décontracté stimule l’esprit critique et incite les internautes à se documenter, à creuser les sujets en allant consulter la littérature scientifique. Même si l’on est en désaccord avec les arguments présentés, que l’on est radicalement opposé aux OGM ou passionnément en faveur des « médecines douces et alternatives », il est profitable de s’exposer à ce programme d’éducation populaire – dans le meilleur sens du terme – pour tester la solidité de ses opinions.
Rappelons à cette occasion la fin de l’interview de Jean de Kervasdoué déjà mentionnée : « Mon seul souci est la vérité scientifique, l’objectivité. Ceux qui sont contre le nucléaire, les OGM, les vaccins, etc. doivent défendre leurs positions sur le terrain de la science, pas sur celui de l’idéologie. Seules la rationalité et la méthode scientifique peuvent permettre de trancher, pas l’invective ou la suspicion. Enfin, que ferions-nous sans industrie ? Ce climat délétère n’est-il pas une des causes de la désindustrialisation de la France ? »
Nous reprenons bien volontiers à notre compte cette conclusion, en insistant sur le fait que la désindustrialisation a en effet d’autres causes très puissantes ; nous rendons d’ailleurs compte réguilièrement de celles-ci dans nos colonnes.
Laurent Dauré