La victoire de Boris Johnson est celle de la démocratie contre l’establishment. Dans la foulée du scrutin, il faut toutefois surveiller le risque d’éclatement du Royaume-Uni et l’intensification des tensions régionales en Europe.
Par Jean-Michel Quatrepoint, journaliste, auteur notamment de Délivrez-nous du bien, halte aux nouveaux inquisiteurs, éditions de l’Observatoire, 2018.
« Get Brexit done ! » (« Que le brexit soit ! ») Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Avec un slogan aussi simple que concret, Boris Johnson a savouré son triomphe aux élections législatives anticipées. Les conservateurs obtiennent leur plus large majorité depuis Margaret Thatcher. Le Labour subit une défaite historique. Tout comme les européistes du parti libéral-démocrate. Ce vote marque d’abord une victoire sans appel des Brexiters. Et, en corollaire, une défaite de tous ceux qui rêvaient de faire revoter les Britanniques sur leur sortie de l’Union européenne.
Depuis le vote du Brexit, le 23 juin 2016, les opposants, à Londres aussi bien qu’au sein de l’Union européenne, ont tout fait pour contraindre les Britanniques à revenir sur leur décision. On ne quitte pas cette Union. Quand on y entre, c’est un engagement à vie. Si jamais un peuple manifeste des velléités de ne pas épouser la Doxa, on le fait revoter ou on lui impose, par une autre voie, le texte qu’il a rejeté. Les Français en savent quelque chose depuis le référendum de 2005.
Lobbying de l’establishment
Tout au long de ces trois dernières années, on a tenté d’enfermer les Britanniques dans un carcan. Theresa May s’est d’abord vu imposer par les Vingt-sept un accord qui revenait à vider le Brexit de sa substance. L’Angleterre ne sortait qu’en apparence. Elle n’avait plus les avantages d’être dans l’Union, mais elle en avait les inconvénients. Les milieux économiques, les cercles londoniens, l’establishment ont ensuite fait pression sur les parlementaires britanniques, en nourrissant le secret espoir qu’in fine, on déboucherait sur un nouveau référendum.
L’intelligence de Boris Johnson aura été de revenir à l’essentiel : respecter le vote populaire
Avec une bonne campagne de communication, ils se faisaient fort de faire basculer les quelques pourcents nécessaires pour inverser le vote. Enfin, ces mêmes milieux ont intensifié leur lobbying sur les parlementaires tories pour qu’ils refusent un « hard Brexit ». Résultat : affaiblie, incapable d’imposer son accord et son autorité, Theresa May a jeté l’éponge.
L’intelligence de Boris Johnson, bête noire des médias bien-pensants, notamment en France, aura été de revenir à l’essentiel : respecter le vote populaire et laisser le Brexit se faire. Il a renégocié certains points de l’accord conclu par Mme May et demandé au peuple souverain de trancher. Non pas à l’occasion d’un nouveau référendum, mais de législatives anticipées. Même s’il a fait Eton, l’équivalent de notre ENA, et qu’il est issu d’une famille de la gentry, Boris Johnson n’est pas un conservateur traditionnel. C’est un souverainiste. Un populiste, selon ses détracteurs, pour qui ce terme est une injure.
Question culturelle plutôt qu’économique
Il a compris que le Brexit était avant tout une question culturelle. La volonté d’une majorité des Britanniques d’être maîtres chez eux, de pouvoir contrôler l’immigration, avec une meilleure sécurité au quotidien. Dans les motivations des Brexiters, des classes populaires, l’économie, le social venaient au second rang. Toutes les prévisions apocalyptiques faites par l’establishment sur les conséquences économiques du Brexit sont donc tombées à plat.
D’autant que le programme électoral des conservateurs, lorsqu’on le regarde de près, n’a rien de néo-libéral. Il a même une approche protectionniste, voire étatiste. Il concerne le quotidien des Britanniques. À commencer par les services publics de base en déshérence à l’image du système de santé et des chemins de fer. Boris Johnson promet des constructions d’hôpitaux, des embauches massives, voire même une renationalisation du rail. Bref, une politique qui doit être au service « des gens ordinaires et pas seulement des élites ». Au passage, on remarquera bien des similitudes avec la situation en France.
Les voix de Farage siphonnées
Boris Johnson a réussi à unifier les souverainistes. Il a siphonné l’électorat de Nigel Farage, qui fut l’artisan du Brexit en forçant David Cameron à organiser le référendum. Issu des rangs des Tories, ce Thatchérien, ultra-libéral et même d’extrême droite, avait obtenu, avec son parti UKIP, 12,7 % des voix aux législatives de 2015. Aux dernières européennes de 2019, UKIP, transformé en parti du Brexit, était même arrivé en tête. Mais les positions extrémistes de Farage rendaient impossible son accession au pouvoir.
En prenant clairement position pour le Brexit et en affichant son souverainisme, Boris Johnson offrait à l’électorat conservateur une alternative crédible. Nigel Farage a compris qu’il avait moins à perdre en soutenant Johnson qu’en présentant ses propres candidats. Ce dernier a ainsi obtenu que UKIP se désiste là où il y avait un député conservateur sortant. Le camp du Brexit a joué uni. D’autant qu’à gauche, les électeurs travaillistes, qui avaient voté pour le Brexit, ont peu apprécié l’attitude ambiguë de leurs dirigeants sur cette question. Dans les régions périphériques de l’Angleterre, les petites villes et villes moyennes désindustrialisées, qui avaient massivement voté pour le Brexit, le Labour s’est effondré au profit des conservateurs.
Les Britanniques nous donnent une leçon de civisme
Le vote britannique est exemplaire. C’est une victoire de la démocratie et les Britanniques nous donnent à cet égard une leçon de civisme. C’est aussi, selon la formule de Christophe Guilly, « la victoire du soft power des classes populaires ». C’est a contrario une défaite des élites et des médias, qui ont été constamment dans le déni, préférant reproduire les opinions des « bobos » londoniens, plutôt que d’ausculter le pouls de l’Angleterre profonde.
Risques de désunion
Boris Johnson et les souverainistes britanniques ont gagné une bataille. Ils sont loin cependant d’avoir gagné la guerre. Si la victoire est éclatante en Angleterre, celle des nationalistes écossais est tout aussi spectaculaire. Quarante-huit sièges sur cinquante-neuf. Déjà, Nicola Sturgeon, premier ministre d’Écosse, demande la tenue d’un nouveau référendum sur l’indépendance. Ce que refuse Boris Johnson. Or, les Écossais étaient en majorité contre le Brexit. Ils veulent rester dans l’UE. Pour des raisons économiques, mais aussi au nom de la vieille rivalité avec l’Angleterre.
En Irlande du Nord, les Républicains partisans de l’unification avec l’Irlande du Sud ont fait une percée plus que symbolique. Le Royaume Uni risque désormais la désunion. D’autant qu’en Europe, certains vont jouer la politique du pire. Pour se venger de Boris Johnson, ils vont pousser l’Écosse à l’indépendance. Même chose pour l’Irlande du Nord, où on ne peut pas exclure que le Sinn Fein reprenne les attentats, en espérant que Londres lâchera Belfast et se résoudra à l’unification de l’Irlande. Le tout sur fond de guerre de religions. N’oublions pas que l’Écosse est catholique, tout comme l’Irlande du Sud et une partie de l’Irlande du Nord.
Effet de domino régionaliste
Si l’Union européenne soutient l’Écosse dans sa volonté d’indépendance, elle aura bien du mal à ne pas appuyer les irrédentistes catalans. Ces derniers n’attendent que cela. Avec un risque d’effet domino sur une Espagne, minée par la question catalane. L’Europe des régions est un vieux rêve des fédéralistes européens et des mondialistes. Ils y voient le moyen de rompre avec l’Europe des nations, en jouant sur l’égoïsme régional et les particularismes locaux (langues, culture, etc.).
Plus les régions seront autonomes, indépendantes, plus les grandes nations seront réduites, amputées de certaines de leurs provinces, plus on élargira à de micro-États dans les Balkans, et plus le pouvoir au sein de l’Union européenne sera, de facto, concentré sur les institutions communautaires. Pour la plus grande satisfaction des multinationales et de tous ceux qui ne veulent pas d’une Europe indépendante, d’une Europe puissance, qui puisse s’affirmer face aux États-Unis et à la Chine.
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