Opinions

Quand les discours écolos se déchaînent

Nous avons sollicité nos contributeurs extérieurs pour imaginer de quoi l’année 2020 pourrait être faite. Certains ont adopté une approche géopolitique (Michel Raimbaud), économique (Jean-Michel Quatrepoint), ou politique (Marie-Françoise Bechtel).

Deux d’entre eux ont choisi de traiter d’écologie. Le texte de Pierre Vermeren (ci-dessous) évoque les prochaines élections municipales, et estime qu’une politique favorable à l’environnement, qu’il juge nécessaire, n’est pas sincèrement intégrée aux différents programmes proposés. Celui de Robert Charvin juge, de son côté, qu’écologie et capitalisme sont incompatibles.

Le point de vue du journal, sous la plume de Pierre Lévy, s’inscrit en revanche dans une tout autre approche : il analyse l’idéologie environnementaliste, liée dès le départ aux élites européistes et mondialisées, comme une tentative totalitaire, anti-progrès et régressive secrétée par un système en bout de course.

Le débat n’est pas clos…

Par Pierre Vermeren, professeur à Paris 1 en Histoire des sociétés arabo-berbères contemporaines.

Nul ne doute plus de la réalité du réchauffement climatique, éprouvée à nouveau au jour le jour en ce si doux hiver. Nul ne doute des conditions prédatrices de notre économie sur l’environnement, ni des conséquences tragiques de notre modèle de développement sur des phénomènes aussi différents que la destruction de la faune (la moitié des animaux sauvages auraient disparu de la terre en 40 ans), ou l’accumulation invraisemblable de résidus plastiques dans les mers, qui constitueraient une sorte d’immense île flottante au milieu de l’océan pacifique.

La prise de conscience de ces phénomènes étant établie, notamment dans certains milieux de la jeunesse à ce qu’on dit -quoique le mode de consommation des jeunes semble peu affecté-, notre classe politique s’est emparée de ce lourd sujet. Après une première phase, que l’on peut dater des années 2000, qui relevait d’une approche assez artificielle de l’écologie, la prise de conscience est bel et bien brandie : depuis que plane la menace de victoires électorales de candidats se réclamant de l’écologie politique, les choses sont en effet sérieuses !

Une foire à la démagogie inonde les discours, essentiellement à destination des citadins et des habitants des métropoles.

Cette apparente bonne volonté semble partagée par tous les partis politiques, façonnant en partie la campagne électorale des municipales de mars. Une foire à la démagogie inonde les discours, essentiellement à destination des citadins et des habitants des métropoles, les plus éloignés de la nature et des véritables méfaits écologiques.

Avec eux, nul besoin de s’intéresser aux problème structurels cruciaux des transports de longue distance, des parcs éoliens destructeurs d’espaces ou des dégâts de l’agro-business, mais seulement de la végétalisation des espaces urbains, des niches écologiques urbaines et des « mobilités douces ». Tout cela est epsilonesque à l’échelle planétaire, mais peut conduire un candidat de centre gauche ou de centre droit dans le fauteuil du maire.

Travaux absurdes

Dans certaines grandes métropoles, comme à Paris ou Bordeaux, l’imminence des élections a dopé les travaux publics, livrant les agglomérations à une véritable débauche de chantiers. D’énormes machines hyper-polluantes carburant au diesel lourd parcourent rues et boulevards en tous sens pendant des mois pour refaire les réseaux, daller une rue, faire une piste cyclable ou planter quelques arbres. Heureusement qu’aucune étude ne sera jamais faite sur le bilan carbone calamiteux de telles équipées.

Nul doute qu’au lendemain des élections, la bétonisation immobilière des espaces urbains et de leurs périphéries anciennement rurales va reprendre de plus belle.

Redoutant l’adage « un maire bâtisseur est un maire battu », les élus locaux, en fin de mandat, ont lancé leurs forces vives dans la voirie. Nul doute qu’au lendemain des élections, la bétonisation immobilière des espaces urbains et de leurs périphéries anciennement rurales va reprendre de plus belle. Il faut en effet occuper un million et demi de travailleurs dont la productivité a progressé à la mesure du gigantisme de leurs machines et de la sacro-sainte bétonisation inventée par Le Corbusier.

Déménagements inutiles

La saillie des candidats LREM à la mairie de Paris, évoquant le transfert en banlieue de gares parisiennes, est un rêve que les bétonneurs ne s’autorisaient même plus. Sous les précédentes présidences, ils avaient vécu le transfert en banlieue ou en périphérie parisienne de la Sorbonne-sciences humaines, de l’EHESS, des Archives nationales et de celles du Quai d’Orsay, du Palais de justice, du Ministère de la défense, du Quai des orfèvres, autant d’institutions rebâties à coûts de milliards d’euros à quelques kilomètres de distance.

Mais le coup des gares est encore plus fort, car il y en aurait une demi-douzaine à raser ! La tentative de déplacer les aéroports ayant échoué à Notre-Dame des Landes, il fallait en effet songer à la suite des opérations. C’est alors qu’intervient la touche écologique, un grand parc arboré étant appelé à succéder au démontage de centaines d’hectares de voies ferrées et de bâtiments, et à leur reconstruction quelques kilomètres plus loin.

La menace Amazon

Ces polémiques et ces propositions mettent en valeur notre incapacité à concevoir un programme de reconstruction de notre modèle de développement fondé sur le respect de l’environnement et la préservation des ressources. De même que tout continue à l’identique, que les légumes bios de la grande distribution sont emballés dans du plastique, que la restauration rapide et le portage à domicile (plébiscité par les « jeunes ») multiplient par 2 ou par 3 les emballages de l’alimentaire (sans parler de l’exploitation des hommes), et que le portage à domicile type Amazon aggrave deux fois la destruction de la nature -par la construction de plateformes logistiques géantes et l’activation de millions de transporteurs-, notre mode de vie n’est pas compatible avec une consommation soutenable.

Faute de changements réels, il nous faudra bien acter une fois pour toute que nous nous payons de mots, que nous sommes collectivement des affabulateurs qui font semblant de s’intéresser à la nature pour des raisons politiciennes ou de mode, et qu’au demeurant, puisque nous n’émettons pas plus d’1% des gaz à effet de serre, qu’il revient aux Chinois, aux Américains et aux Allemands de faire des efforts, ou bien nous agissons sérieusement.

Des centrales nucléaires pour les films de chats

Dans ces conditions, plutôt que de couvrir nos vieux bâtiments de végétaux et de parements hideux, allons droit au but. Cessons de prendre l’avion pour rien, supprimons les low-cost qui sont un scandale achevé, et faisons payer aux voyageurs le prix global de leur trajet. Limitons l’accès quotidien gratuit à Internet et aux réseaux sociaux, puisque plusieurs centrales nucléaires sont consacrées aux seules consommations au quotidien de films de chats et de pornographie, et bien plus encore pour le cloud.

Cessons d’étendre les agglomérations qui ont déjà absorbé en 40 ans l’équivalent en France de quatre départements.

Cessons d’utiliser des emballages plastiques pour un oui et pour un non, et rendons le possible et compréhensible à nos concitoyens. Arrêtons d’importer du maïs, du soja et des farines de poissons pour nourrir notre bétail, et rendons aux animaux l’accès aux pâturages qu’ils fertiliseront eux-mêmes. Cessons d’étendre les agglomérations qui ont déjà absorbé en 40 ans l’équivalent en France de quatre départements, soit 210 fois la surface de Paris consommée en cités pavillonnaires et zones d’entrepôts macadamisées. Enfin, cessons de détruire la SNCF et reconstruisons un fret ferroviaire obligatoire pour traverser la France en camion, comme cela se fait en Autriche et en Suisse. Toute autre approche ne serait elle pas pure vaticination ?

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