Les médias dominants raffolent des personnalités et organisations qui font « bouger les lignes ». Pour les commentateurs autorisés, il va sans dire que les lignes ne doivent bouger que dans une seule direction : celle qui est favorable aux grands détenteurs de capitaux. L’Union européenne, illustrant parfaitement cette tectonique libérale, nous offre régulièrement des situations cocasses dans lesquelles des dirigeants politiques de bords nominalement opposés communient dans l’européisme. Dernier exemple en date : un éloge vibrant d’Alexis Tsipras par Jean-Claude Juncker.
Le président de la Commission européenne a pris la défense du Premier ministre grec, attaqué par Manfred Weber, eurodéputé allemand de l’Union chrétienne-sociale en Bavière (CSU) et président du Parti populaire européen (PPE). Après une rencontre le 20 juin à Athènes avec Kyriakos Mitsotakis, le dirigeant de la Nouvelle Démocratie (droite conservatrice), principal parti d’opposition au gouvernement Syriza, M. Weber aurait déclaré à la presse grecque : « Nous avons besoin d’un gouvernement fiable qui fasse du bon travail pour la Grèce. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas, c’est pourquoi j’estime que M. Tsipras appartient au passé et que M. Mitsotakis est le futur. »
Formulée cinq jours après l’officialisation du difficile compromis trouvé par les créanciers d’Athènes pour débloquer un nouveau « plan d’aide », la remarque a été jugée particulièrement malvenue par M. Juncker. Surtout que le chef de file du PPE a ajouté : « Ils [les dirigeants de la Nouvelle Démocratie] coopèrent beaucoup avec nous au niveau européen, sous la houlette de Jean-Claude Juncker ».
« En ce qui concerne ma relation personnelle avec Alexis Tsipras, elle est caractérisée par le confort, l’estime et la confiance » – Jean-Claude Juncker
M. Weber, un eurolibéral du genre fanatique, fait manifestement partie des dernières personnes – avec Jean-Luc Mélenchon ? – à considérer qu’Alexis Tsipras représente une quelconque menace pour l’Union européenne et l’ordolibéralisme allemand. Il faut préciser que l’eurodéputé est allé jusqu’à déclarer, rompant avec la ligne officielle du PPE, que le FMI devrait se retirer du nouveau « plan de sauvetage » de la Grèce si l’institution insistait sur la nécessité d’un allègement de la dette.
Jean-Claude Juncker, outré que l’on rudoie ainsi celui qui l’avait qualifié de « grand ami de la Grèce », a tenu à démentir vigoureusement M. Weber auprès du site Euro2day : « J’ai une totale confiance en Alexis Tsipras, c’est très clair ». Et il a ajouté : « La Grèce va beaucoup mieux que ce que nous pensions [en effet…]. Je reconnais les efforts considérables consentis par le gouvernement grec […]. En ce qui concerne ma relation personnelle avec Alexis Tsipras, elle est caractérisée par le confort, l’estime et la confiance ».
Des propos touchants. Et certains osent encore prétendre que la construction européenne ne rapproche pas les peuples…