En à peine quelques heures, la photo avait fait le tour des réseaux sociaux. On y voyait le président de la République française s’acharner rageusement contre un sac de boxe. Mâchoire crispée, regard menaçant, biceps saillants jusqu’à l’extrême.
Ce 20 mars, la plupart des internautes supposent qu’il s’agit d’un faux, d’une blague d’un geek moqueur maniant habilement l’intelligence artificielle, voire d’une facétie des services russes espérant déstabiliser la France avec un peu d’avance sur le 1er avril.
Quand il est apparu que le cliché avait été pris par la photographe officielle de l’Elysée, ce fut l’hilarité pour les uns (souvent ses opposants), la consternation pour les autres – ses partisans, y compris certains de ses proches amis politiques, qui n’avaient pas cru à l’authenticité de l’image.
Trois semaines plus tard, une question reste sans réponse : pourquoi Emmanuel Macron a-t-il pris le risque de ridiculiser sa fonction ? L’interrogation peut être formulée différemment : à qui était destiné cet étrange message ?
Le contexte géopolitique étant notamment marqué par la guerre en Ukraine, et par les déclarations du chef de l’Etat « n’excluant pas » l’envoi de troupes au sol, celui-ci a-t-il voulu illustrer ainsi sa détermination à empêcher une victoire russe, comme il ne cesse de le répéter ? On doute que son homologue du Kremlin ait été particulièrement effrayé…
A-t-il plutôt cherché à redorer son blason auprès des dirigeants de l’OTAN, particulièrement du côté des plus ultras, comme les Polonais et les Baltes ? Ces derniers, des mois durant, n’avaient cessé de critiquer l’attitude initiale du président français, jugé trop « conciliant » vis-à-vis de Moscou lorsqu’il appelait à « ne pas humilier la Russie » et qu’il se rêvait en conciliateur. Depuis, il a renversé son discours et intégré le camp des « faucons ». Au point de se sentir obligé de le confirmer en image ?
Ou bien le sac de boxe figurait-il symboliquement le chancelier allemand, avec qui les différends et points de friction se sont multipliés dans la dernière période ? Pour signifier l’intention présidentielle de ne rien lâcher face à Berlin ?
A moins que les gants de boxe n’aient été destinés à son homologue brésilien, qui le recevait en grande pompe quelques jours plus tard ? Pourtant, cette visite d’Etat à Brasilia a tourné à la romance amoureuse, a confié le président français sur le réseau X. Mais sans pour autant calmer l’affrontement entre les deux capitales sur l’accord de libre échange avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay).
L’image voulait-elle symboliser la détermination à imposer le « redressement des finances publiques » exigé par Bruxelles ?
La posture de boxeur était-elle plutôt tournée vers des enjeux de politique intérieure ? Une réforme de l’assurance-chômage vient d’être annoncée, qui vise, pour faire des « économies », à rogner les droits des personnes privées d’emploi (notamment par la réduction de la durée d’indemnisation). La menace des gants de boxe pourrait bien être destinée aux syndicats, qui ont unanimement annoncé leur opposition à ce projet.
L’image pourrait symboliser plus généralement, consciemment ou non, la détermination à imposer le « redressement des finances publiques » exigé par Bruxelles ? Le « programme de stabilité » de Paris doit justement être transmis à la Commission européenne mi-avril. Pour rester « crédible » au sein de l’UE, Paris doit s’engager à réduire drastiquement les déficits publics.
La volonté de boxer les chômeurs pourrait y contribuer ; elle vient juste après les coupes budgétaires rendues publiques par le ministre des finances dernièrement. D’abord à hauteur de 10 milliards, en attendant pire, de l’aveu même de Bruno Le Maire. Et ce, au moment où le président a indiqué vouloir consacrer 3 milliards de plus cette année en armements transférés à Kiev…
Aucune force politique représentée au Parlement français ne met en cause le soutien à l’Ukraine. Et donc ne dénonce l’austérité imposée au moment où des ressources financières sont ainsi dilapidées. Certes, l’idéologie dite « mainstream » a imposé un récit présentant unilatéralement la Russie comme le « méchant » ; mais des millions de citoyens ne sont pas prêts à se sacrifier pour financer la poursuite de la guerre.
C’est sans doute l’une des raisons qui explique la brutale désaffection électorale que subit actuellement le parti présidentiel. Si l’on se fie aux sondages, celui-ci est distancé de dix points par le Rassemblement national selon les intentions de vote aux élections européennes pour juin prochain (le RN caracole en tête à 30%). Même si, en l’occurrence, cette élection n’intéresse pas grand monde, hors la bulle politique.
Dès lors, le camp présidentiel est nerveux. Il y a quelques jours, le directeur de la rédaction du quotidien régional La Provence a été menacé de licenciement pour un titre jugé irrévérencieux vis-à-vis du président de la République. Il n’a échappé à la sanction – aux gants de boxe – que grâce aux journalistes qui se sont mis en grève…
En septembre 2017, à peine quelques mois après sa première élection, Emmanuel Macron prononçait un discours qui se voulait historique et digne des dieux de l’Olympe du haut d’une colline dominant l’Acropole. Il y proclamait solennellement son ambition de renforcer l’intégration européenne.
Près de sept ans plus tard, Jupiter s’est transformé en une grotesque imitation de Sylvester Stallone. Le fondateur de la Vème République, le général de Gaulle, doit se retourner dans sa tombe au vu des cabrioles pathétiques de son lointain successeur.