Les ministres des affaires étrangères des vingt-sept pays de l’Union européenne se sont réunis le 18 novembre à Bruxelles. C’était probablement la dernière rencontre présidée par Josep Borrel, le chef de la diplomatie de l’UE (photo), qui doit prochainement laisser sa place à Kaja Kallas.
Le socialiste espagnol avait inscrit à l’ordre du jour de Conseil l’éventualité de suspendre le « dialogue politique » avec Israël. Cet Etat est en effet lié à l’UE par un conseil de coopération unique en son genre.
Bien sûr, les Vingt-sept n’ont jamais imaginé imposer des sanctions contre Tel-Aviv, et encore moins livrer des armes aux Palestiniens « pour se défendre », une rhétorique qu’ils réservent à Kiev… Mais le gel des échanges officiels avec l’Etat hébreu apparaît comme une mesure pour le moins indulgente quand on connaît la barbarie d’Etat mise en œuvre de manière méthodique par le gouvernement de Benyamin Netanyahou.
En effet, à Gaza, plus de 45 000 morts sont désormais décomptés comme conséquence directe des bombardements, et un véritable nettoyage ethnique est planifié à travers l’arme de la famine provoquée. En Cisjordanie, les violences des colons ne connaissent plus de limites pour l’appropriation des terres. Et le régime israélien a amplifié ses exactions contre l’Etat souverain du Liban jusqu’au cessez-le-feu précaire du 27 novembre, n’hésitant même pas à viser les forces de l’ONU.
Sans surprise, les pays qui, parmi les Vingt-sept, sont connus pour leur attachement le plus fanatique à Israël, quels que soient ses crimes, avaient annoncé dès avant la réunion qu’ils s’opposeraient à la proposition de M. Borrell. Cette dernière n’avait donc aucune chance d’être adoptée, puisque la politique extérieure est l’un des derniers domaines où l’unanimité est requise.
Mais la surprise est que l’opposition au gel du dialogue a été partagée bien au-delà de la Hongrie, de la Tchéquie, de l’Autriche et des Pays-Bas. C’est finalement une majorité de pays qui a refusé la suggestion, pourtant bien timide, de M. Borrell. Lors de la conférence de presse qui a suivi, ce dernier a indiqué que « la plupart des États membres ont estimé qu’il était préférable de continuer à entretenir des relations diplomatiques et politiques avec Israël ».
Quelques jours plus tard, les dirigeants européens ont été mis en porte-à-faux par la décision de la Cour pénale internationale (CPI) – une institution qu’ils n’ont cessé jusqu’ici de louer, tout particulièrement dans le dossier ukrainien. Les juges de la Cour ont émis, le 21 novembre, un mandat d’arrêt officiel contre le chef du gouvernement israélien et son ancien ministre de la défense (ainsi que contre un dirigeant du Hamas). Ils estiment notamment que les deux responsables ont « intentionnellement privé la population civile de Gaza d’éléments indispensables à sa survie », et usé de « la famine » comme d’« une méthode de combat ». Un véritable coup de tonnerre.
Il y aurait certainement fort à dire sur la CPI. Mais elle est un organisme multilatéral lié à l’ONU et ne peut donc être sourde à l’état d’esprit des peuples du monde entier, et notamment du « sud global », révulsés par les crimes commis en particulier à Gaza. A l’inverse, les dirigeants européens, fidèles au camp occidental, apparaissent particulièrement isolés dans leur refus d’émettre la moindre critique vis-à-vis de l’Etat hébreu.
En 1967, De Gaulle avait mis en doute à demi-mots la légitimité de la création de l’Etat juif
A vrai dire, la position de l’Union européenne n’intéresse pas grand monde. Le plus grave problème est ailleurs : l’intégration européenne, dans son principe même, dissuade ou freine des voix en son sein qui souhaiteraient se faire entendre de manière dissidente. Pour l’heure, aucun gouvernement national n’imagine allers dans ce sens. Mais cela n’a pas toujours été le cas.
Ainsi, une conférence de presse tenue en novembre 1967 par le Général de Gaulle avait profondément marqué l’histoire diplomatique de la France, et a influé sur les relations internationales concernant le Moyen-Orient. Celui qui était alors président de la République avait analysé la fondation, dix-sept ans plus tôt, de l’Etat d’Israël, marquée par le massacre ou l’expulsion de leur terre de centaines de milliers de Palestiniens.
De Gaulle avait à cette occasion mis en doute à demi-mots la légitimité de la création de l’Etat juif. Et, de manière extraordinairement prémonitoire, il en avait pointé les possibles conséquences sous forme de conflits sans fin qui risquaient d’ensanglanter la région. Il concrétisait ainsi ce qu’il est convenu de nommer « la politique arabe de la France ». Un terme qui désigne un non-alignement sur le camp occidental à travers la mise en place de liens spécifiques de Paris avec certaines capitales arabes.
Faut-il préciser que ses lointains successeurs – et particulièrement les trois derniers : Nicolas Sarkozy, François Hollande, Emmanuel Macron – ont complètement liquidé cet héritage. Mais si un futur locataire de l’Elysée souhaitait renouer avec cette volonté d’indépendance, il déclencherait à coup sûr une crise majeure – et salutaire – en Europe.
Une telle perspective apparaît aujourd’hui particulièrement hypothétique. Elle serait pourtant la seule porteuse de paix et de justice.