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En Irlande, stabilité électorale et participation en baisse

Dépouillement

C’est désormais assez rare : une élection avait lieu dans un Etat membre de l’UE sans que Bruxelles ne s’inquiète à l’avance de ses résultats. Le 29 novembre, 3,6 millions d’Irlandais étaient appelés aux urnes. Leur choix apparaît marqué par une grande stabilité. Et ce, dans le contexte d’une forte abstention : avec 59,7%, la participation a chuté de 3,2 points par rapport au scrutin de 2020, et s’avère même la plus faible depuis 1923…

Les deux grands partis traditionnels, l’un et l’autre de droite, mais rivaux du fait de l’histoire de la République d’Irlande, devraient reconduire leur « grande coalition », formée en 2020 avec la participation du petit parti des Verts.

Le Fianna Fail (droite de tradition nationale) obtient 21,9% des suffrages, soit un recul minime de 0,3 point. Le Fine Gaël (de tendance libérale) arrive juste derrière en ayant rassemblé 20,8% des votants, soit quasiment son score de 2020 (- 0,1 point).

Un an avant le scrutin, les sondages donnaient au Sinn Fein, le troisième grand parti, près de 30% d’intentions de vote. Ce mouvement, classé à gauche, a comme caractéristique d’être également présent en Irlande du Nord, la partie de l’île qui appartient au Royaume-Uni, où il a pris le relais de l’IRA, groupe armé ayant mené le combat contre la domination britannique, et où il agit désormais sur le plan politique. Des deux côtés de la frontière, le Sinn Fein continue à défendre la perspective de réunification.

Celle-ci reste très théorique. Dans ces conditions, lors du scrutin de 2020, le Sinn Fein avait mis l’accent sur les questions sociales, ce qui lui avait valu un succès notable : avec 24,5% des voix, il bondissait de près de 11 points par rapport à 2016, et arrivait même en tête. Les deux formations de droite ont cependant toujours exclu de s’allier avec lui, considérant qu’il mettait en cause l’économie de marché et le libre échange.

Cette fois cependant, le Sinn Fein semble avoir passé sa chance d’atteindre les sommets pronostiqués en 2023 : avec 19% des voix (- 5,5 points), il redevient le troisième parti (en voix). La plupart des observateurs s’accordent sur la cause de cette déception : la perte d’une partie de l’électorat populaire, notamment sur la question de l’immigration. Mary Lou Mc Donald, sa principale dirigeante, l’a du reste confirmé en affirmant pendant la campagne sa volonté de reconquérir sa base ouvrière. Un peu trop tard, probablement.

En novembre 2023, lors de manifestations violentes contre l’ouverture de centres pour migrants, elle avait exclusivement pointé la responsabilité des forces de l’ordre. Et donné l’impression de dénoncer le racisme de certains émeutiers sans prendre la mesure du fond du problème, bien réel.

Car le pays a vu arriver depuis 2022 plus de 100 000 réfugiés ukrainiens, de même que près de 30 000 migrants d’Afrique et du Moyen-Orient. Un record pour un pays qui ne compte que 5 millions d’habitants. Cela a notamment aggravé l’un des problèmes majeurs auquel l’Irlande, et tout particulièrement sa capitale, Dublin, est confrontée depuis des années : le manque de logements à prix abordable.

Un autre facteur a contribué à la crise aiguë du logement : la présence massive de sièges ou de centres de développement de grandes multinationales, en particulier américaines, attirées par le très faible taux d’imposition sur les bénéfices (12,5%). De nombreux cadres, bien payés, de ces entreprises, par leurs recherches immobilières, ont créé un vaste mouvement de hausse, au détriment des habitants « autochtones ».

Concernant les demandeurs d’asile, le Sinn Fein avait récemment un peu durci son discours, pour tenter de garder son électorat ouvrier. Mais, outre que cette inflexion a été tardive, elle a sans doute fait perdre au parti certains jeunes urbains plus éduqués et fortunés.

Le quatrième grand bloc qui sera représenté au Parlement est formé de députés indépendants, c’est-à-dire qui ne se présentaient pas avec le soutien d’un parti. Pris ensemble, ils cumulent 13,2% des suffrages. C’est une spécificité irlandaise traditionnelle, mais son ampleur, cette fois encore, peut traduire un malaise dans une partie de l’électorat qui ne se sent pas représentée par les partis en place.

Arrivé légèrement en tête, le Fianna Fail semble le mieux placé pour récupérer le poste de premier ministre

Car si le pays est sorti du gouffre de la crise financière qui l’a dévasté en 2008-2011, il n’est pas le paradis économique que certains observateurs internationaux se sont plus à décrire, en mettant par exemple en avant l’excédent budgétaire de 4% du PIB. Il est vrai que cette situation fait pâlir d’envie les dirigeants de nombreux autres pays européens qui cherchent désespérément à combler leurs déficits. Elle est du reste créée à leur détriment, à coup de dumping fiscal.

Mais de très nombreux Irlandais n’en souffrent pas moins de leur pouvoir d’achat en berne, miné par l’inflation. Même si elle a récemment décéléré, celle-ci s’était établie à 6,3% en 2023, après 7,8% en 2022. Du reste, la coalition sortante a pioché dans l’excédent budgétaire pour accorder des aides afin d’alléger les factures d’énergie, ou des primes finançant l’achat de logements.

Ces mesures gouvernementales ont probablement contribué à la stabilité des résultats électoraux des deux formations au pouvoir. Arrivé légèrement en tête, le Fianna Fail semble le mieux placé pour récupérer le poste de premier ministre et désigner son leader, Michael Martin, pour conduire le futur gouvernement – une fonction qu’il a déjà occupée de 2020 à 2022. Il remplacera Simon Harris, le chef du Fine Gaël, réputé pour son omniprésence sur les réseaux sociaux.

Outre les trois principaux partis, les Verts dégringolent – comme presque partout en Europe – de 4,1 points, ne recueillant plus que 3% des voix ; ils perdent 11 de leurs 12 sièges, et ne pourront donc pas rester le troisième partenaire de la future coalition. Ce rôle pourrait désormais échoir au Parti travailliste, qui, avec 4,6%, gagne 0,3 points ; ou bien aux sociaux-démocrates, qui passent de 2,9% à 4,8%.

A noter qu’un parti issu d’une scission de Sinn Fein, Aontu, grimpe de 1,9% à 3,9%, en plaidant pour des mesures sociales, et des revendications conservatrices sur le plan sociétal. Enfin, le groupe le groupe « Nos vies avant leurs profits », classé « gauche radicale », reste stable (+ 0,2 point) avec 2,8% des suffrages.

Les partis classés à l’extrême droite sont restés marginaux dans ce scrutin national. Pour certains observateurs, cette faiblesse s’explique par l’absence d’un leader reconnu ou charismatique. En juin, certains d’entre eux avaient pourtant percé lors d’élections locales, notamment sur le thème migratoire.

L’apparente stabilité irlandaise pourrait bien être plus fragile que les élections du 29 novembre le laissent penser.

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