Deutsch

L’Autriche devient une nouvelle source d’angoisses pour les dirigeants européens

Herbert Kickl

C’est désormais au tour de l’Autriche de donner des sueurs froides aux dirigeants européens. Le petit pays alpin fait partie de la dizaine d’Etats membres de l’UE qui connaissent une crise politique ouverte ou larvée – c’est le cas de la France, de l’Allemagne, de la Belgique, mais aussi des Pays-Bas, de l’Espagne, ainsi que de la Roumanie, de la Bulgarie, notamment.

Les événements viennent de se précipiter à Vienne en ce début d’année. Pour en mesurer l’importance, il faut remonter trois mois en arrière. Le 29 septembre dernier, les citoyens autrichiens avaient provoqué un véritable tremblement de terre électoral en accordant au FPÖ, généralement classé à l’extrême droite, la première place avec 28,9% des voix, un bond de 12,7 points par rapport à 2019, soit le plus fort résultat depuis sa fondation en 1955. Il améliorait même son score des élections européennes du 9 juin dernier, où il avait déjà triomphé avec 25,4%.

Ce parti avait fait campagne sur trois thèmes. D’abord la lutte contre l’immigration. Il était question de supprimer le droit d’asile, de stopper le regroupement familial, et de « remigration ». Ces propositions ont trouvé un écho significatif dans un pays qui a accueilli, en une décennie, la plus forte proportion de réfugiés par rapport à sa population, par comparaison avec les autres pays européens.

Le FPÖ avait également surfé sur un deuxième sujet d’inquiétude et de mécontentement : la situation économique du pays. De nombreux électeurs ont exprimé leur colère face à un chômage en hausse (5,3% selon les chiffres officiels pour 2024), à une inflation ayant atteint 7,7% en 2023, et à une croissance en berne.

Enfin, beaucoup d’électeurs ont été sensibles à un troisième thème majeur du FPÖ : l’exigence de rétablir des relations apaisées avec la Russie, permettant notamment la poursuite de l’importation de gaz de ce pays.

Mais il ne s’agissait pas seulement d’économie. Le chef du parti, Herbert Kickl (photo, à droite, en compagnie du chef de l’Etat qui avait pourtant juré de ne jamais lui confier de mandat), a insisté sur un point cher à de très nombreux Autrichiens : maintenir, ou rétablir, la traditionnelle neutralité du pays. Il a aussi attribué à l’UE et à l’OTAN la responsabilité de la guerre en Ukraine, et a qualifié la politique de ces organisations de « désastreuse, hypocrite » et porteuse d’une dangereuse « escalade ». Il a en outre plaidé pour stopper le transit par l’Autriche d’armes en provenance d’autres pays de l’UE vers l’Ukraine. Il a enfin insisté pour que cette dernière ne devienne jamais membre de l’OTAN.

Dans ces conditions, on comprend que la classe politique établie – très probablement encouragée en sous-main par Bruxelles – se soit immédiatement mobilisée pour tenter d’empêcher M. Kickl de devenir chancelier, malgré le triomphe électoral de son parti. Dès début octobre, le parti conservateur ÖVP, qui dirigeait le gouvernement sortant, et les sociaux-démocrates (SPÖ) qui étaient dans l’opposition, ont donc entamé des pourparlers en vue de former une « grande coalition ».

Et ce, alors que ces deux forces politiques étaient les grandes perdantes du scrutin de septembre (de même que les Verts, partenaire des conservateurs au sein de la majorité sortante). Avec 26,3% des voix, les chrétiens-démocrates de l’ÖVP avaient chuté de 11,1 points. Quant aux sociaux-démocrates, ils subissaient le pire résultat de leur histoire, avec 21% (- 0,1 point). Le SPÖ avait notamment tenté de défendre l’accueil des migrants. Ce choix, de même que sa longue cure d’opposition (depuis 2017) ne lui avaient pas profité.

Les pourparlers entre états-majors politiques se sont finalement embourbés en fin d’année

Ces piètres résultats ne donnaient qu’une très courte majorité potentielle de deux sièges à une alliance de ces deux partis. Dans ces conditions, les Libéraux du parti NEOS ont été conviés aux négociations pour former une coalition plus large.

Mais les pourparlers entre états-majors politiques ont traîné en longueur, et se sont finalement embourbés en fin d’année. Le 3 janvier, les dirigeants de NEOS ont jeté l’éponge, en dénonçant le refus des sociaux-démocrates d’inclure une réforme des retraites dans le programme du gouvernement à former. Le lendemain, les conservateurs rompaient les discussions, en mettant en avant un désaccord avec les sociaux-démocrates qui exigeaient des hausses d’impôts.

Le chancelier conservateur sortant, Karl Nehammer, a dû constater l’échec de sa stratégie d’alliance, et a alors provoqué un coup de théâtre en annonçant sa démission tout à la fois du poste de chancelier et de la tête de l’ÖVP. Son ministre des Affaires étrangères, Alexander Schallenberg, s’est vu confier la direction du gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes.

Mais l’événement le plus spectaculaire a eu lieu le 6 janvier : le président de la République a confié à Herbert Kickl un mandat pour tenter de former le futur gouvernement. Alexander van der Bellen, issu des Verts, s’était pourtant juré de ne jamais s’engager sur cette voie. D’autant que le président du FPÖ, communicant charismatique et habile tacticien, est généralement considéré comme le plus radical au sein de son parti – non seulement sur l’immigration, mais aussi sur l’apaisement avec la Russie et l’opposition au soutien à Kiev, ainsi que sur sa critique de l’Union européenne.

Compte tenu de l’échec à bâtir une coalition anti-FPÖ, le nouveau dirigeant de l’ÖVP a finalement ouvert la porte à des discussions avec M. Kickl en vue de former un futur gouvernement avec ce dernier à sa tête, alors que cette perspective était présentée comme inacceptable il y a encore quelques semaines. Dans ces conditions, le chef de l’Etat n’avait guère le choix.

Certes, une alliance ÖVP-FPÖ – qui existe déjà dans quatre Länder du pays – ne serait pas inédite. Cela avait été le cas de 2000 à 2005, puis de 2017 à 2019. Lors de la première séquence, l’Union européenne avait même pris des sanctions contre Vienne, considérant que l’extrême droite devrait être interdite d’accès au pouvoir. Les dirigeants européens avaient finalement dû constater que cette ingérence directe dans la composition d’un gouvernement national avait eu une seule conséquence : renforcer le FPÖ, auréolé d’une aura de victime.

Cette fois cependant, une telle alliance verrait le FPÖ hériter du poste de chancelier, tandis que l’ÖVP serait le partenaire mineur. Une situation sans précédent, comportant le « risque » d’un rapprochement avec le « pro-russe » Viktor Orban, le premier ministre hongrois, bête noire des autres dirigeants européens. Avec la Slovaquie de Robert Fico, l’Autriche deviendrait le troisième pays qui briserait le consensus pro-Ukraine de l’UE.

A Bruxelles, on n’en a donc pas fini avec les cauchemars

On n’en est pas encore là. Si les questions économiques ne devraient pas constituer un obstacle majeur entre ÖVP et FPÖ, il n’est pas sûr qu’un consensus puisse être trouvé sur la politique étrangère et sur la politique européenne. Pour sa part, M. van der Bellen s’est juré de toujours veiller sur les « piliers de la démocratie » parmi lesquels « l’Etat de droit »,« les médias libres et indépendants » et…« l’appartenance à l’Union européenne ».

D’un autre côté, en cas d’échec des discussions se profilerait la perspective de nouvelles élections. Avec la probabilité que le FPÖ en sorte encore renforcé, en faisant valoir que les tentatives de dresser un « cordon sanitaire » contre lui n’ont abouti qu’à maintenir le pays trois mois dans le chaos.

A Bruxelles, on n’en a donc pas fini avec les cauchemars. D’autant que c’est le modèle politique de l’UE – deux ou trois partis, classés « centre droit » et « centre gauche », alternant au pouvoir, ou l’exerçant ensemble – qui semble prendre l’eau dans un nombre grandissant de pays…

Partager :