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Bruxelles finance généreusement des milliers d’« ONG »

Marta Kos

Il y a quelques jours paraissait un rapport intitulé « Transparence des financements accordés par l’Union européenne à des ONG ». Rédigé par la Cour des comptes de l’UE, ce document se présente comme critique des pratiques actuelles de financement. Il ne remet cependant nullement en cause le principe de ces dons, à l’heure où Bruxelles et les gouvernements nationaux tentent pourtant d’imposer partout des coupes drastiques dans les dépenses publiques.

Au contraire, il soutient la nécessité de poursuivre les subventions. Il pointe cependant l’absence de vérifications portant sur la fidélité aux « valeurs européennes » des structures et associations bénéficiaires. Et il s’émeut du « manque de transparence » des choix, procédures et contrôles concernant ces dernières.

En matière de transparence pourtant, le document de la Cour des comptes n’est pas vraiment exemplaire. Par exemple, on chercherait en vain dans le texte des exemples de noms ou raisons sociales de groupes qui bénéficient ainsi de la manne bruxelloise. Aucun n’est cité.

On découvre en revanche l’ampleur globale de la générosité. Les rapporteurs rappellent que « la plupart des financements accordés par l’UE à des ONG prennent la forme de subventions auxquelles différents types de destinataires sont éligibles ».

Ils précisent que la Commission a engagé en faveur d’ONG, « au cours de la période 2021-2023, 3,4 milliards d’euros sur les financements gérés directement pour les politiques internes, ainsi qu’1,4 milliard d’euros pour des actions gérées indirectement par l’intermédiaire de ses partenaires chargés de la mise en œuvre ». Ces montants « ont été perçus par 5 000 ONG ». Des sommes vraiment pas négligeables.

En outre, en ce qui les concerne, « les États membres ont déclaré avoir octroyé à quelque 7 500 ONG 2,6 milliards d’euros provenant des deux principales sources des financements accordés par l’UE au cours de la période 2021-2023, à savoir: 2,2 milliards d’euros au titre du FSE+, et 0,4 milliard d’euros au titre du FAMI ». Le FSE+ désigne ici le Fonds social européen, et le FAMI, le Fonds Asile, migrations et intégration.

Les ONG bénéficiaires, précise le rapport, sont impliquées dans les domaines « de l’inclusion sociale, de l’égalité des chances, de l’égalité de genre, de la protection du climat et de l’environnement, ainsi que de la recherche et de l’innovation ». Des domaines faussement anodins.

D’autant que les auteurs précisent : « nous avons exclu la politique extérieure de l’étendue de notre audit car elle a été couverte par notre rapport de 2018 ». Autrement dit, les dons aux multiples organismes, associations et médias qui ont pour but de faire vivre et renforcer la « société civile » dans certains Etats membres, mais surtout dans les pays candidats à l’adhésion, viennent en plus de ceux explicitement étudiés.

C’est dommage, car ces bénéficiaires méritent une attention particulière. Ils sont même au cœur de la raison d’être d’une ONG : faire concurrence aux structures étatiques nationales qui, elles, reposent, au moins en principe, sur le vote des citoyens.

« De nombreuses ONG en Serbie ne survivraient pas sans notre soutien, j’ai décidé de leur allouer 16 millions d’euros supplémentaires »

Marta Kos

Tout cela peut paraître abstrait au premier abord. Mais une intervention récente de la Commissaire européenne à l’élargissement (chargée de suivre les « pays candidats ») éclaire de manière crue les véritables objectifs poursuivis.

Le 28 mars, la Slovène Marta Kos (photo) a accordé une interview à la radio publique de son pays d’origine ; elle s’y est notamment exprimée sur la Serbie. Ce pays est officiellement candidat à l’adhésion à l’UE depuis 2012. Mais son président, Aleksandar Vucic, n’est guère en odeur de sainteté à Bruxelles, où il est considéré comme pro-russe. De son côté, ce dernier soupçonne ouvertement des ONG financées par l’UE d’œuvrer à son renversement en encourageant les manifestations actuelles contre son gouvernement.

Une accusation que Mme Kos juge « inacceptable ». Mais elle enchaîne immédiatement : « sans participation de la société civile, il ne peut y avoir de processus d’élargissement ». Et d’ajouter, sans guère de précaution de langage : « je fais confiance au peuple serbe pour guider ses hommes politiques de telle sorte que la Serbie puisse devenir membre de l’Union européenne ».

« Guider » ? Difficile d’affirmer plus clairement que la Commission mise sur les ONG qu’elle subventionne pour faire pression sur le gouvernement en place à Belgrade. Du reste, elle ne le cache pas : « je suis bien plus en contact avec les ONG, que j’ai rencontrées à Bruxelles, qu’avec le gouvernement de Serbie ou son président »… Ce dernier a pourtant été élu par les citoyens, ce qui n’est pas vraiment le cas des ONG.

Ingénument, la Commissaire confirme à sa manière le doute sur l’assise réelle de ces organisations : « de nombreuses ONG en Serbie ne survivraient pas sans notre soutien, et c’est précisément en raison de l’importance exceptionnelle des ONG que j’ai décidé de leur allouer 16 millions d’euros supplémentaires pour la période allant de cette année jusqu’à la fin de 2027 ».

L’aplomb avec lequel Bruxelles affiche sa générosité en faveur de ses protégés censés « guider » les dirigeants politiques serbes va de pair avec le rôle qu’elle s’attribue pour déterminer qui doit diriger le pays. Ainsi, dans la même interview, elle plaide pour écarter du gouvernement en passe d’être formé le socialiste Alksandar Vulin (qui occupa différents postes ministériels de 2013 à 2023) : « j’espère que M. Vulin ne sera pas membre du nouveau gouvernement, car qui agit en anti-européen ne peut conduire la Serbie dans l’UE ». Elle sera finalement exaucée. Aleksandar Vulin avait eu le tort d’évoquer la candidature du pays au groupe des BRICS…

La Serbie n’est qu’un exemple. Le premier ministre hongrois pointe de son côté les financements européens bénéficiant aux ONG combattant les orientations « illibérales » de son pays.

Dès les années 2000, de nombreuses ONG ukrainiennes s’étaient vu apporter pour leur part de substantielles aides européennes, toujours au nom de la consolidation de la « société civile », cette dernière devant faire contrepoids au pouvoir politique, du moins si celui-ci n’est pas fidèle à Bruxelles.

On connaît la suite…

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