Le 5 mai dernier, Emmanuel Macron, flanqué de la présidente de la Commission européenne et de plusieurs commissaires, avait choisi le cadre prestigieux du grand amphithéâtre de la Sorbonne pour présenter un double plan, qui se voulait spectaculaire, baptisé – évidemment en anglais : « choose France for Science », et « choose Europe for Science » (« choisir la France pour la science », « choisir l’Europe pour la science »).
Ambition affichée : rien de moins que sauver la recherche scientifique des coups que lui porte Donald Trump ; et plus précisément appeler les chercheurs américains dont les projets sont annulés ou restreints à venir se réfugier sur le Vieux continent.
On comprend bien le « coup de com » : l’Union européenne serait une terre d’asile pour la science aujourd’hui malmenée par l’obscurantisme de Washington. Et il est vrai que la Maison Blanche n’a pas caché vouloir conditionner le financement des travaux universitaires américains à des critères idéologiques.
Au regard des initiatives européennes passées et des sommes en jeu, on peut sérieusement douter que les annonces faites à la Sorbonne aboutissent à des résultats significatifs. Et on comprend l’indignation des chercheurs français qui ont subi, tout récemment encore, des coupes drastiques dans leurs propres budgets. Mais surtout, il faut s’interroger sur la légitimité des objectifs affichés.
Sur ce dernier point, il convient de rappeler que la responsabilité de la promotion de la recherche scientifique incombe aux Etats. Et que ces derniers sont fondés à encourager et à favoriser les coopérations internationales ; or celles-ci vont bien au-delà des frontières étroites de l’Union européenne. Parmi les nombreux exemples figurent le CERN (recherche nucléaire, avec le Royaume-Uni, la Serbie et la Suisse), l’ISS (station spatiale internationale, à laquelle contribuent les agences américaine, russe, canadienne, japonaise et européenne), ou bien encore ITER (fusion nucléaire, qui intègre Chine, Russie et Inde notamment).
Mais pour Ursula von der Leyen comme pour son compère français, toutes les occasions sont bonnes pour faire de la publicité – trompeuse – pour l’Union européenne, qui serait toujours « du bon côté de l’Histoire » : la science, l’Ukraine, la paix, la justice et la prospérité…
Rien que pour l’année en cours, 387 millions d’euros viennent d’être retirés du budget recherche
Concrètement, Paris a annoncé 100 millions d’euros et une plateforme publiant des offres d’accueil universitaire pour des chercheurs étrangers, notamment américains. Cela devrait concerner des projets de trois à cinq ans, et abonderait des propositions des universités et organismes publics.
De son côté, la présidente de la Commission a mis sur la table (ou plutôt promis, pour la période 2025-2027) 500 millions pour améliorer « l’attractivité européenne ». A l’instar de son collègue français, elle s’est engagée à « inscrire la liberté de la recherche scientifique dans la législation via une nouvelle loi sur l’espace européen de la recherche ».
Le rappel de certains chiffres ramène ces annonces à la mesure de la réalité. Ainsi, quand l’UE fait miroiter quelques centaines de millions d’euros, le budget américain de la recherche s’élève pour sa part à un ordre de grandeur de 200 milliards de dollars.
Et en ce qui concerne la France, la générosité soudaine de l’Elysée tranche avec les restrictions massives de crédits qu’ont subies les universités françaises dans la période récente, notamment du fait des contraintes budgétaires pilotées par Bruxelles.
Rien que pour l’année en cours, ce sont 387 millions d’euros qui viennent d’être retirés du budget recherche 2025 (pas plus tard que le 25 avril !). Et si l’on compte depuis janvier 2024, ce sont 1,6 milliard d’euros qui ont été supprimés… On comprend, dans ces conditions, la colère des chercheurs (français et étrangers travaillant en France) à qui l’on annonce que des confrères américains devraient être racolés et débauchés. Même si, bien sûr, le chef de l’Etat se défend de prévoir un remplacement des uns par les autres.
Les restrictions de crédits, sous pression de Bruxelles, ne sont évidemment pas une exception française. A des degrés divers, elles concernent tous les Etats de l’UE. L’Italie, de même que la Belgique et les Pays-Bas, sont en particulier cités pour leurs coupes dans leurs budgets de recherche.
Le coup de pouce financier annoncé par le président français et la chef de l’exécutif européen est donc en trompe l’œil. Rien de très surprenant à cela : cela fait un quart de siècle qu’un objectif de 3% du PIB de l’Union est fixé pour les dépenses de recherche, et tout indique qu’il sera loin d’être atteint en 2030.
D’autant que les premières discussions sur le cadre communautaire pluriannuel 2028-2034 commencent. Et d’après de premières indications, le programme-cadre de recherche qui existait jusqu’à présent pourrait bien disparaître en tant que tel, pour être intégré dans des programmes globaux dits de « compétitivité ».
La Commission plaide pour accélérer le « passage de la recherche fondamentale à l’entreprise et au marché »
Dès lors, l’annonce de la Sorbonne ne recouvre pas seulement un faux-semblant budgétaire. Elle est également trompeuse quand elle vante la « liberté académique ». Certes, celle-ci ne serait pas limitée par les critères idéologiques imposés outre-Atlantique. Mais elle pâtirait d’une contrainte au moins aussi pernicieuse : la soumission de la science à la « compétitivité ».
En d’autres termes, Ursula von der Leyen s’est félicitée d’un « retour sur investissement incomparable de la science » ; mais elle a regretté que le « passage de la recherche fondamentale à l’entreprise et au marché » ne soit pas assez « rapide ». Bref, vive la liberté académique, pourvu que celle-ci profite vite aux entreprises, essentiellement aux grands groupes. Et ce, qui plus est, dans le cadre de la rivalité entre blocs géopolitiques – ce qui explique les rodomontades face à Donald Trump.
Derrière la noblesse des objectifs mis en scène à la Sorbonne apparaît donc la réalité des intérêts et des rivalités. Et tant pis pour la masse des chercheurs qui souhaiteraient légitimement que leur travail soit simplement utile au progrès de l’humanité.