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Vaccin britannique et rancœur européenne (éditorial paru dans l’édition du 29/03/21)

AstraZeneca

C’est à peine croyable. Certes, face à une pandémie littéralement sans précédent, on peut accorder aux gouvernants le droit au tâtonnement. Mais la décision prise le 15 mars relève d’un tout autre registre. Ce jour-là, la France suspendait l’emploi du vaccin anglo-suédois AstraZeneca, au motif que quelques cas de thrombose avaient été détectés. En réalité sans lien avec l’injection : 37 incidents ont été répertoriés sur 17 millions de personnes ayant reçu une dose du produit mis au point par l’université d’Oxford, soit une proportion inférieure à celle qui prévaut dans la population non vaccinée. Ce simple constat aurait dû innocenter le produit. Il a cependant fallu attendre le 19 mars, lorsque l’Agence européenne du médicament (AEM) a rappelé l’évidence scientifique déjà martelée par l’OMS, pour que la plupart des capitales, dont Paris, lèvent l’interdit.

Pourtant, début mars, le mot d’ordre au sommet de l’Etat était d’accélérer à tout prix la cadence, tant il est vrai que la vaccination constitue le seul horizon de sortie de la crise sanitaire. Or dans l’inquiétante course de vitesse contre l’épidémie, chaque jour de retard se décline en vies humaines absurdement perdues. Pire : la volte-face gouvernementale, même provisoire, introduisait une nouvelle confusion et réalimentait ainsi la défiance, particulièrement au sein des classes populaires.

Trois éléments pourraient avoir joué dans ce choix irresponsable. Le premier se nomme « principe de précaution » (un terme qui relève ici de l’humour noir), au nom duquel chaque avancée scientifique ou technique devrait être conditionnée à l’anticipation préalable de toutes les conséquences possibles. Nous vivrions encore dans les cavernes si nos lointains ancêtres avaient fait preuve de cette étrange sagesse.

Le deuxième est européen. Et, pour une fois, la Commission n’y est pour rien. L’intégration européenne imprègne tellement les dirigeants que l’esprit moutonnier se déploie de lui-même. Le Monde (17/03/21) raconte ainsi la journée du 15 mars : « après le Danemark, la Norvège, les Pays-Bas ou l’Islande, la décision prise par l’Allemagne de suspendre à son tour l’usage de ce vaccin a tout emporté sur son passage. ‘La volte-face allemande ne nous permettait pas d’attendre’, soupire un ministre ». Ce que résume ingénument le député Pieyre-Alexandre Anglade, un proche de l’Elysée : « notre stratégie est européenne, il est normal de se placer dans ce cadre ». Tout est dit. A noter cependant que certains pays de l’est et la Belgique ne se sont pas alignés, le ministre belge de la santé signalant même, vachard, que si ses collègues avaient des vaccins en trop, il était preneur…

Le vaccin britannique fait les frais de la rancœur européenne contre le le spectaculaire succès du Royaume-Uni, redevenu indépendant

Le troisième élément est une hypothèse qui fait florès dans la presse d’outre-Manche : le vaccin britannique aurait fait les frais de la rancœur européenne contre le Brexit. Une rancoeur alimentée par le spectaculaire succès du Royaume-Uni redevenu indépendant, précisément en termes de campagne vaccinale. Là où l’UE, plombée par ses lourdeurs, traîne lamentablement.

Dès sa mise au point, l’efficacité du vaccin AstraZeneca a été mise en doute. Puis, après son autorisation par l’AEM, des rumeurs, notamment à Berlin et à Paris, ont prétendu qu’il ne protégerait pas les personnes de plus de 65 ans – une thèse qu’a soutenue Emmanuel Macron – avant que les résultats de terrain anglais et écossais ne prouvent le contraire. Enfin, la firme – qui vend aux Etats à prix coûtant (1,72 euros, comparé aux 15 euros de Moderna) grâce aux subventions publiques britanniques – a été accusée de livrer prioritairement au Royaume-Uni. Un crime inexpiable face auquel la Commission européenne menace de bloquer les exportations de fioles produites sur le continent.

Dans un autre registre, Bruxelles vient de lancer deux procédures contre Londres, coupable d’avoir prolongé unilatéralement de six mois la période de grâce pendant laquelle les Britanniques ne contrôlent pas les produits alimentaires transitant de Grande-Bretagne vers l’Irlande du Nord. Et l’exécutif européen multiplie les chicanes à bas bruit, des fruits de mer aux produits financiers…

En réalité, ce que les dirigeants européens ne pardonnent pas à Londres, c’est qu’après avoir quitté le club, aucune des catastrophes annoncées ne se soit produite. Et que le gouvernement britannique se sente libre de mener ses propres politiques, de la hausse à 25% des impôts sur les grandes sociétés au pivot géopolitique vers l’Asie-Pacifique. Bon ou mauvais ? Ce sera désormais au peuple de juger.

Pas à Bruxelles.

Pierre Lévy

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