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Les dirigeants européens scandalisés et indignés par les manifestants pro-Trump

Macron capitole

Le 20 janvier, Joseph Biden va remplacer Donald Trump dans le bureau ovale. Une transition qui s’opère dans un climat particulièrement tendu : le président sortant ne reconnaît pas la réalité de sa défaite ; il est accusé d’avoir appelé ses partisans à marcher, le 6 janvier, sur le Capitole ; son compte Twitter a été supprimé par décision du géant de la « Big Tech » ; enfin, il fait l’objet d’une nouvelle procédure de destitution qui, ne pouvant aboutir, a tout d’une vengeance politique.

Il est vrai que ses adversaires – en particulier l’establishment politico-médiatique démocrate – ont mené dès son élection en 2016 une guérilla permanente pour le décrédibiliser et le destituer. Rappeler cela ne revient nullement à sympathiser avec la politique qu’il a menée, et dont de nombreux peuples ont eu à subir les terribles conséquences, de la Syrie à l’Iran, en passant par la Palestine ou le Venezuela. L’hôte de la Maison Blanche n’a, en revanche, engagé aucune nouvelle guerre, ce qui le distingue de ses prédécesseurs. Et il a profondément déstabilisé les dirigeants occidentaux, vassaux volontaires habitués à prendre Washington pour boussole ultime de leurs « valeurs » existentielles.

Sans doute est-ce ainsi que peuvent s’expliquer les réactions parfois hystériques de ceux-ci aux événements de ces derniers jours. Car si l’on comprend bien que les Etats-Unis sont marqués par une politique intérieure clivée à l’extrême, on peut s’étonner des attitudes et déclarations pour le moins inhabituelles et peu diplomatiques de nombreux chefs d’Etat et de gouvernement européens, de l’UE elle-même, ainsi que de la grande presse qui partage leur idéologie. Face aux « émeutes » de la capitale fédérale, les nouveaux indignés ne se recrutent pas, cette fois, parmi les gueux, mais au sein du Conseil européen.

Le président français s’est à cet égard particulièrement illustré en enregistrant en pleine nuit une vidéo mise en ligne quelques heures après l’intrusion de centaines de manifestants au sein du bâtiment du Congrès, à 6 000 kilomètres de Paris. Emmanuel Macron a ainsi affirmé que « la France, avec Alexis de Tocqueville, a reconnu les Etats Unis d’Amérique comme un emblème de la démocratie », pour finalement marteler : « nous ne cèderons rien à la violence de quelques-uns qui veulent remettre en cause cela ».

Certes, l’envahissement du parlement américain n’est pas anodin, et a même provoqué la mort de cinq personnes. Mais qui peut sérieusement affirmer, comme n’ont cessé de le clamer l’hôte de l’Elysée, ses amis et ses porte-voix, que la « démocratie américaine a vacillé » ? Comme si le pouvoir avait été vacant, comme si un putsch avait été concocté pour s’en emparer, alors même que la foule repartait ensuite tranquillement.

Surtout, ce qui frappe, c’est que le chef de l’Etat français s’est senti directement visé par les manifestants de Washington. Manifestement, et même si le contenu politique est bien différent, le spectre des Gilets jaunes le hante toujours, lui qui confiait alors, pour s’en effrayer, que le peuple français n’a jamais regretté d’avoir coupé la tête au roi.

« Nous sommes encore sous le choc des évènements qui ont eu lieu aux Etats-Unis (…) la démocratie est fragile, elle est sujette à des attaques internes et externes »

Vera Jourova, vice-présidente
de la Commission européenne

Cette assimilation entre les troubles de la capitale américaine et les « risques » que courraient les démocraties sur le Vieux continent est également patente dans un texte rédigé par Vera Jourova, vice-présidente de la Commission européenne chargée des « valeurs et de la transparence » (sic !). La responsable politique tchèque commence ainsi sa tribune (publiée en plusieurs langues sur le site Euractiv) : « nous sommes encore sous le choc des évènements qui ont eu lieu aux Etats-Unis (…) la démocratie est fragile, elle est sujette à des attaques internes et externes ». Passons sur les « attaques externes » dont chacun comprend qu’elles émanent de la Russie, habituelle suspecte de tous les désordres occidentaux. Mais force est de constater que pour la Commission européenne, quand la démocratie est attaquée « en interne » d’un côté de l’Atlantique, elle l’est forcément de l’autre.

La dirigeante bruxelloise pointe ensuite (à juste titre, du reste) le rôle néfaste des grands réseaux sociaux et leur pouvoir arbitraire, mais c’est pour conclure que « nous devons cesser d’accepter les attaques contre les valeurs européennes » – une phrase censée tirer les leçons des événements… de Washington. L’explication de ce paradoxe réside sans doute à la fin du texte où l’auteur alerte : « nous ne pouvons pas laisser la population sur le banc de touche ». C’est un aveu explicite qui reconnaît le fossé grandissant entre les élites occidentales et les peuples. Un fossé fait d’arrogance de classe et de mépris du peuple qu’avait caricaturalement incarnés Hillary Clinton en 2016, et qui lui avaient coûté la victoire.

« La question concerne toutes les démocraties libérales. Elle est celle de la défiance croissante dont nos institutions semblent être l’objet »

Alain Frachon, Le Monde (15/01/2021)

Un fossé qui croît également au sein de l’Union européenne. Au point qu’en France par exemple, une chroniqueuse du Monde titrait son analyse (30/12/2020) : « Et maintenant, l’ombre du Frexit »… Alain Frachon, l’un des éditorialistes de politique étrangère du même quotidien, notait pour sa part (15/01/2021), après les événements de la capitale américaine, que le « mystère Trump est (…) dans les dizaines de millions d’Américains – compétents, intelligents, couvrant un vaste spectre d’origine sociale et professionnelle – qui sont convaincus que l’élection a été volée ». Et de conclure : « la question concerne toutes les démocraties libérales. Elle est celle de la défiance croissante dont nos institutions semblent être l’objet ».

On peut sourire sur l’emploi du terme « semblent », mais au fond, c’est exactement cela : la grande peur commune de la caste oligarchique, c’est cette défiance populaire croissante – non certes envers la démocratie, mais envers les institutions et les hommes qui prétendent indûment l’incarner.

De nombreux commentateurs pro-Bruxelles tentent de se rassurer en voyant dans les affres américaines une raison supplémentaire de construire un « modèle européen » distinct, reposant sur une intégration plus poussée de l’UE capable de « peser » dans le monde. Le discours n’est – hélas pour eux – pas nouveau. Il revient toujours à ce théorème : ce qui n’a pas marché en faisant l’Europe marchera en faisant plus d’Europe encore.

Bon courage !

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