Le « serment de Strasbourg ». C’est ainsi qu’Emmanuel Macron a baptisé, en toute simplicité, le discours qu’il prononça le 9 mai devant l’hémicycle des eurodéputés. Le (jusqu’au 30 juin) président du Conseil de l’UE ambitionnait ainsi de clore la « Conférence pour l’avenir de l’Europe » lancée il y a un an tout juste. Vous l’ignoriez ? Depuis des mois, 800 « citoyens européens » travaillent d’arrache-pied et ont finalement abouti à 49 « propositions citoyennes » déclinées en 325 mesures… Les participants de base ont été bien sûr tirés au sort ; ce dernier faisant décidément bien les choses, toutes les suggestions exigent fiévreusement plus d’Europe. Et ce, dans les domaines les plus variés, de la défense à l’éducation, en passant par une réforme des institutions dans un sens plus fédéral.
Comme le ridicule ne tue pas ceux qui font mine de s’extasier devant cette europhilie spontanée, le président français a plaidé pour une Europe « plus indépendante » et « plus efficace ». Le premier terme doit se traduire, selon lui, dans les domaines militaire, écologique, alimentaire, et informationnel. Quant à l’efficacité, elle doit être renforcée « par une réforme aussi de nos textes, c’est évident », et donc la convocation d’une convention de révision des traités – lointain successeur de la convention Giscard qui accoucha du projet de constitution européenne, avec le succès que l’on sait. Le président français s’est attiré les hourrah des dirigeants européens les plus fédéralistes, d’Ursula von der Leyen qui préside la Commission européenne, au président du Conseil italien, Mario Draghi, favorable à un « idéalisme fédéraliste ».
Mais à peine avait-il prononcé son discours que treize Etats membres (scandinaves, et de l’Est) publiaient une lettre commune rejetant toute perspective de modification des traités. Qu’à cela ne tienne, certaines idées macroniennes ne nécessitent pas ce détour. Il en va ainsi par exemple de la mise en place de listes transnationales pour les prochaines élections européennes. Mais il y a surtout un point qui mobilise à Bruxelles, et tout autant à Berlin : la fin des décisions prises à l’unanimité. Cette règle, qui permet à un ou quelques pays de bloquer un projet qu’ils jugent contraire à leur intérêt, ne s’applique déjà plus, en réalité, qu’en matière sociale et fiscale, et en politique étrangère.
C’est bien dans ce dernier domaine que ce verrou doit sauter, martèlent en particulier les dirigeants allemands, avec une insistance redoublée depuis la guerre en Ukraine. Et pour cause : pour l’heure, la Hongrie traîne notoirement les pieds dès lors qu’il est question de se priver du pétrole ou de gaz russe, d’autant que Budapest est soupçonné de nourrir des sentiments insuffisamment hostiles à Moscou. Mais, hors réforme des traités, passer à la règle de la majorité nécessite… l’unanimité des Vingt-sept. Improbable.
Une dernière proposition a marqué le plaidoyer du maître de l’Elysée : la création d’une « Communauté politique européenne » qui associerait aux Etats membres de l’UE actuelle les pays souhaitant la rejoindre, en particulier l’Ukraine. Car, estime le président français, leur adhésion proprement dite prendra des années voire des décennies. Agacé, le président ukrainien a déploré une intégration au rabais. Enfin, Emmanuel Macron a suggéré qu’au sein même des Vingt-sept, des pays « plus avancés » constituent des « avant-gardes », comme c’est déjà le cas pour l’euro ou Schengen.
Les prétendues nouveautés exhumées par Emmanuel Macron renvoient étrangement aux décennies 1990 et 2000
Convention pour une UE plus fédérale, Europe à plusieurs vitesses, confrontation entre partisans de l’élargissement et supporters de l’approfondissement : les prétendues nouveautés exhumées par Emmanuel Macron renvoient étrangement aux décennies 1990 et 2000. Mais aujourd’hui avec des lignes de fracture et des querelles bien plus exacerbées. Les réformes rêvées sont donc une nouvelle fois mort-nées.
D’autant que, malgré la volonté de décrire la Russie sous les traits les plus repoussants, l’UE a encore moins de charme aux yeux des peuples aujourd’hui qu’hier. Et ce sera très probablement pire demain, dès lors que les dirigeants européens s’engagent dans une voie outrageusement belliciste conduisant inexorablement à des hausses sans précédent des prix de l’énergie et à la « sobriété », faux-nez d’une austérité décuplée.
Cette dernière pourrait être imposée plus aisément si elle est habillée de vert, estime-t-on sans doute à Bruxelles. Mais ce faisant, la Commission prend surtout le risque de récolter un peu partout du jaune. Celui des gilets.
Pierre Lévy