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Allemagne : victoire surprise des amis d’Angela Merkel aux élections régionales de Saxe-Anhalt

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Les électeurs du Land allemand de Saxe-Anhalt (centre est du pays) renouvelaient leur parlement régional le 6 juin. C’était l’ultime scrutin avant les élections générales de septembre prochain, après les deux tests de mars dernier, en Rhénanie-Palatinat et au Bade-Wurtemberg (cf. Ruptures du 29/03/21).

Les résultats dans ces deux Länder de l’Ouest avaient été marqués par une chute significative de la participation, et une baisse du parti d’Angela Merkel (l’Union chrétienne-démocrate, CDU), une tendance marquée depuis plusieurs années. En revanche, les électeurs de Saxe-Anhalt – un Land issu de l’ex-RDA, qui compte 2,2 millions d’habitants – ont voté quasiment aussi nombreux (60,3%) qu’au précédent scrutin de 2016 (61,1%). Surtout, ils ont créé la surprise en accordant à la CDU 37,1% des suffrages (46% chez les plus de 60 ans), soit + 7,4 points par rapport à il y cinq ans. Pour ce parti, une divine surprise que les sondeurs n’avaient pas vu venir.

Citoyens de deuxième classe

La formation qui perd le plus est Die Linke, souvent classée « gauche radicale », qui doit cette fois se contenter de 11%, soit – 5,3 points. En 2011 encore, cette formation, historiquement issue d’anciens du parti dirigeant de la RDA, puis rejointe par des syndicalistes de gauche, obtenait 23,7%. C’était l’époque où ce parti était considéré comme défendant les intérêts des habitants de l’Est, qui sont toujours plus de 60% à se sentir traités comme des citoyens de deuxième classe. Depuis cependant, Die Linke a opéré une profonde mutation, chevauchant des thèmes « sociétaux » (environnement, genre…) recopiés des Verts. Une évolution qui explique très probablement ses déconvenues dans les différentes élections.

Les Verts, justement, traditionnellement moins implantés dans les Länder de l’Est, doivent se contenter de 5,9%. Cette progression très modeste (+0,8%) est bien éloignée de la « vague verte » (qui semble également en recul dans les sondages nationaux récents, 22% contre 26% il y a quelques mois). Les dirigeants écolos n’ont pas caché leur déception. Quelques couacs ont pu contribuer à ce résultat, comme leur proposition ultra-atlantiste de fournir des armes létales à l’Ukraine – une suggestion qui avait de quoi choquer de nombreux anciens citoyens de la RDA ; de même, l’idée d’augmenter le prix des carburants de 16 centimes a heurté, surtout dans un Land où 75% des sondés considèrent qu’« il existe des problèmes bien plus importants que le changement climatique ». Les Länder de l’Est sont parmi les plus touchés par la fermeture programmée des mines de charbon (lignite).

Les sociaux-démocrates (SPD) poursuivent leur descente aux enfers constatée un peu partout : avec 8,4% des voix, ils baissent de 2,2 points. A l’évidence, le SPD, qui est associé avec la CDU et la CSU au sein de la « grande coalition » mais ne cesse de critiquer celle-ci, semble de plus en plus inaudible.

Les Libéraux du FDP, réussissent, avec 6,4% (+1,6 point) leur retour au sein de l’hémicycle régional. Mais c’était surtout le score de l’AfD (Alternative pour l’Allemagne, souvent classée à l’extrême droite) qui était attendu. Avec 20,8% (dont 26% chez les ouvriers, et 28% chez les 30-44 ans), elle recule de 3,4 points par rapport à 2016, une déception pour ses dirigeants, qui avaient un temps espéré arriver en première position.

Elle reste cependant en deuxième place, en gardant, de l’avis de la plupart des commentateurs qui lui sont pourtant peu favorables, un fort potentiel électoral. Dans les autres Länder de l’Est qui avaient connu des régionales en 2019, elle avait notablement progressé, mais le point de comparaison était 2014, soit un an avant la vague migratoire massive sur laquelle l’AfD avait surfé. En Saxe-Anhalt en revanche, la comparaison est faite avec 2016, une année où ce thème était dans l’actualité brûlante, et où l’AfD était à son zénith. Son présent résultat dans ce Land est en progrès par rapport à celui obtenu ici même lors des élections générales de 2017 (19,7%).

La culture politique des citoyens de l’ex-RDA reste insoluble dans celle de la République fédérale, trois décennies après le rattachement de la première à la seconde

Outre la dénonciation de l’immigration, un thème aujourd’hui passé au second plan (mais qui pourrait réapparaître cet été), l’AfD avait attaqué les mesures sanitaires jugées trop drastiques (la « corona-dictature »). Sur le plan national, les partisans de la sortie de l’UE se sont par ailleurs imposés lors du dernier congrès. L’élément le plus déterminant semble cependant la capacité du parti à se poser en défenseur de l’identité politique et culturelle de l’Allemagne de l’Est, au fur et mesure que Die Linke abandonnait de fait ce statut.

Paradoxalement, c’est sans doute aussi cet attachement identitaire qui a le plus contribué au succès de la CDU de Saxe-Anhalt. Tout en refusant par avance toute alliance avec l’AfD, le ministre président sortant, Reiner Haseloff, n’avait pas caché, ces dernière années, ses critiques envers ses camarades au pouvoir à Berlin : un accueil trop généreux des réfugiés, une politique d’Angela Merkel trop stricte en matière sanitaire, et trop « centriste » sur le plan sociétal. Les analystes soulignent également sa forte popularité personnelle dans son Land. Avec désormais six partis représentés à Magdebourg (la capitale régionale), il peut reconduire sa coalition sortante avec les sociaux-démocrates et les Verts, ou bien faire rentrer le FDP dans le jeu.

Mais toute leçon du vote du 6 juin en vue des élections nationales de septembre est à tirer avec grande prudence. Armin Laschet, le candidat chancelier de la CDU qui vise à succéder à Angela Merkel, voit cependant sa campagne bénéficier d’un coup de pouce, alors qu’elle avait commencé de manière calamiteuse.

Quoiqu’il en soit, la culture politique des citoyens de l’ex-RDA reste insoluble dans celle de la République fédérale, trois décennies après le rattachement de la première à la seconde, au-delà même des inégalités économiques et sociales.

C’est du reste ce qu’avait exprimé en mai, à sa manière, le délégué gouvernemental chargé de l’Est. Marco Wandersitz – un homme de l’Ouest – n’avait pas hésité à affirmer que beaucoup de citoyens des nouveaux Länder ayant été « socialisés dans une dictature, un large part des électeurs sont hélas perdus pour la démocratie ». La chancelière avait immédiatement exprimé son désaccord avec son camarade de parti. Mais ce dernier n’avait fait que dévoiler l’état d’esprit des élites restées ouest-allemandes, à l’exception de Mme Merkel elle-même.

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