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Les thèses de l’OTAN font de nouveaux adeptes

Manon Aubry

Si la Russie attaque la Pologne, « nous avons un devoir d’assistance mutuelle, (…) nous devrons les aider à se défendre ». Dans le climat russophobe installé par les grands médias, cette déclaration, qui date du 3 avril, apparaît tristement banale. Elle reflète fidèlement le principal argument de l’UE : aider militairement l’Ukraine serait nécessaire pour dissuader Moscou d’avaler tout cru ses voisins. Jusqu’à l’Oder et au Danube. Et pourquoi pas jusqu’au Rhin, puis qui sait jusqu’à la pointe de la Bretagne ?

Ce qui aurait dû attirer l’attention sur la scène politique française est l’auteur de la phrase. C’est en effet Manon Aubry (photo), eurodéputée sortante et tête de liste pour les élections européennes de La France insoumise (LFI), qui rejoint ainsi un camp déjà bien fourni : celui des partisans de l’OTAN vue comme l’outil de défense collective de l’Occident menacé par les ambitions du Kremlin. Jusqu’à présent, le mouvement créé par Jean-Luc Mélenchon, et qui revendique l’étiquette de « gauche radicale », s’était plutôt distingué par son opposition de principe à l’Alliance atlantique.

Le programme de LFI affirmait ainsi son intention de « proposer le retrait immédiat de la France du commandement intégré de l’OTAN puis, par étapes, de l’organisation elle-même ». Une volonté qui semble aujourd’hui oubliée. Désormais, pour l’eurodéputée, « si demain un pays européen est attaqué, bien sûr qu’il faudra faire preuve de solidarité ». Une solidarité armée, naturellement.

Difficile, dans ces conditions, de ne pas voir dans la déclaration de Mme Aubry un demi-tour politique et idéologique. Un tel ralliement devrait être en tout cas apprécié par les dirigeants de l’OTAN qui se préparent à fêter, du 9 au 11 juillet à Washington, les 75 ans de l’organisation. Beau cadeau d’anniversaire, assurément.

La proposition du RN d’éloigner la France de l’OTAN n’est plus à l’ordre du jour dans le contexte où « la guerre est toujours en cours »

D’autant qu’il ne vient pas seul. A l’autre bout du spectre politique, le Rassemblement national (RN) vient de rendre publique une évolution très comparable. Régulièrement, le parti de Marine Le Pen est accusé par ses adversaires d’être « pro-russe », voire d’être financé par le Kremlin.

Jordan Bardella, le jeune président du parti, et qui mène sa liste au scrutin de juin prochain, a ainsi indiqué, quelques jours avant Manon Aubry, que la proposition du RN de sortir la France du commandement intégré de l’OTAN n’était plus à l’ordre du jour dans le contexte où « la guerre est toujours en cours ». L’argument est paradoxal : c’est précisément parce que la guerre est en cours qu’il devrait être urgent de ne pas s’y laisser entraîner par un alliance dont la principale caractéristique n’est pas de chercher l’apaisement.

On peut dès lors s’interroger : qu’est-ce qui conduit les deux derniers partis parlementaires français qui avaient jusqu’à présent cultivé une image d’opposition au bellicisme « mainstream » à afficher un ralliement de fait ?

L’opportunisme, c’est-à-dire la crainte qu’une dénonciation trop molle de la Russie, ne leur fasse perdre des voix ? C’est possible, même si c’est en réalité un calcul douteux qui sous-estime l’existence d’un sentiment pacifiste chez de nombreux citoyens non soumis à l’idéologie dominante.

Ou bien une conversion de fond ? Celle-ci pourrait bien être favorisée par l’imprégnation lente résultant de l’immersion continue de leurs dirigeants au sein des institutions européennes – ici l’europarlement. Le phénomène est connu : ce ne serait pas la première fois que des opposants « radicaux » – ou se faisant passer pour tels – investissent une institution de l’UE en proclamant leur intention de « la transformer de l’intérieur », et finissent… par être transformés eux-mêmes.

Les deux explications ne s’excluent pas, et pourraient même être complémentaires. De quoi, en tout cas, réjouir le Secrétaire d’Etat américain récemment en tournée sur le Vieux continent. De passage à Paris le 2 avril, Antony Blinken a plaidé pour que les Européens renforcent leur production d’armements, de munitions et d’équipements en faveur de l’Ukraine. Car, a-t-il martelé, « il s’agit d’investissements en nous-mêmes ».

Un argument qui semble désormais partagé par Mme Aubry et M. Bardella.

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