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Bulgarie, Slovaquie, voire Tchéquie, et bien sûr Hongrie : l’Europe centrale inquiète Bruxelles

Europe centrale

A l’Est, du nouveau ? Alors que les dirigeants de l’UE ne cessent de renforcer leur appui à Kiev, les perspectives politiques dans certains pays d’Europe centrale commencent à leur donner des sueurs froides. Cela vaut en Bulgarie, en Slovaquie, voire en République tchèque, tandis que la Hongrie reste le mouton noir honni par Bruxelles.

La Bulgarie n’a toujours pas de gouvernement de plein exercice. Les électeurs étaient appelés aux urnes le 2 avril dernier… pour le cinquième scrutin consécutif depuis 2021. Cette fois encore, aucune majorité parlementaire claire ne s’est dégagée.

Pour simplifier, le pays – en proie à d’immenses difficultés économiques et sociales, et où la pauvreté est endémique – voit s’affronter deux coalitions aussi atlantistes l’une que l’autre, mais qui ont toujours exclu de s’allier, du moins jusqu’à présent.

La première est dirigée par Boïko Borissov, chef du parti GERB (droite, pro-UE) et qui fut premier ministre de 2009 à 2013, de 2014 à 2017, puis de 2017 à mai 2021. A cette date il connut une lourde défaite électorale, conséquence d’un long mouvement lors de l’été 2020 où la mobilisation fut forte contre son pouvoir, accusé de corruption, de clientélisme, de détournement de fonds, voire de pratiques mafieuses.

Les jeunes formations politiques issues de ce mouvement hétéroclite n’ont cependant pas conquis de majorité lors des votes d’avril, juillet puis novembre 2021. Lors de ce dernier scrutin émergea alors un mouvement qui, sous la direction de deux jeunes diplômés d’universités américaines, dont Kiril Petkov (formé à Harvard), arriva en tête et forma un gouvernement minoritaire qui dura jusqu’en août 2022.

Le tout jeune premier ministre promettait un euro-libéralisme tout aussi fidèle que son prédécesseur, mais s’engageait à éradiquer la corruption et l’autoritarisme de M. Borissov. Il promettait de ne jamais passer d’accord avec ce dernier, symbole de la « pourriture » politique. Son fragile gouvernement chuta finalement sur une motion de censure.

Les scrutins d’octobre 2022, et plus encore d’avril 2023 connurent une nouveauté, liée à la situation en Ukraine : la progression du parti Renaissance (Vazrazhdane), souvent qualifié de « pro-russe » ou d’« ultra-nationaliste » – des qualificatifs que son leader récuse. Kostadin Kostadinov se réclame plutôt de l’intérêt de la Bulgarie à ne pas être en guerre contre la Russie. Le grand frère slave fut un allié historique du pays, tant au sein du Pacte de Varsovie, dans la deuxième moitié du vingtième siècle, que pour se libérer du joug ottoman, à la fin du dix-neuvième.

Quoiqu’il en soit, Renaissance est passé de moins de 5% des suffrages à 9% en 2022, puis à 13,6% en avril dernier. Joint aux résultats d’autres formations classées pro-russes par les Occidentaux (dont le Parti socialiste bulgare, à 8,6%), ce score témoigne d’une nouvelle polarisation au sein de la société entre ceux qui approuvent le chemin géopolitique porté par l’UE et l’OTAN, et ceux qui y résistent. L’existence puis le développement de cette mouvance hétérodoxe empêche que l’une des deux forces pro-Bruxelles obtienne une majorité absolue.

Les pourparlers malgré tout engagés fin avril entre celles-ci, probablement sous la discrète pression de Bruxelles, aboutiront-ils ? Ou les électeurs retourneront-ils aux urnes une sixième fois ?

L’instabilité politique vient de s’aggraver en Slovaquie, où des élections sont prévues pour septembre.

Pour l’heure, l’inquiétude des dirigeants européens se porte également sur la Slovaquie. Le gouvernement (minoritaire) ainsi que la chef de l’Etat sont acquis aux thèses atlantistes et s’efforcent même de faire du zèle dans les livraisons d’armes à Kiev. Mais la société elle-même est loin de ce consensus : les enquêtes d’opinion révèlent qu’une part de la population préfèrerait une attitude moins agressive vis-à-vis de Moscou. L’histoire joue son rôle, la situation sociale également.

Or l’instabilité politique vient de s’aggraver à Bratislava, la capitale : suite à un scandale de subventions, plusieurs ministres ont démissionné, suivis finalement par le chef du gouvernement. Des élections sont prévues pour septembre.

Divers sondages montrent que les forces dites « pro-russes » ont le vent en poupe. C’est le cas de SMER-SD, de l’ancien premier ministre Robert Fico, et d’un groupe dissident de ce dernier, HLAS. Ces deux partis, issus de la mouvance social-démocrate mais souvent classés « nationalistes de gauche », voire « populistes », arrivent en tête dans les intentions de vote (avec respectivement 18% et 15%). Pour sa part, le parti OLANO, qui avait gagné les élections de 2020 avec 25% des suffrages et qui dirigeait donc le gouvernement de coalition, ne dépasse guère 5% de sympathie parmi les sondés.

Au point qu’à Bruxelles, on alerte (officieusement) : le retour de M. Fico au pouvoir serait une catastrophe dans un pays « de la ligne de front ».

Pire : cela pourrait avoir un effet sur la République tchèque voisine. A Prague, le pouvoir est partisan du soutien, y compris militaire, à l’Ukraine, encore plus depuis l’élection en mars d’un ex-commandant de l’OTAN à la tête de l’Etat.

Mais Andrej Babis, l’ancien premier ministre distancé d’extrême justesse en octobre 2021, n’a pas renoncé à revenir au pouvoir. Certes, il serait excessif de le qualifier de pro-russe, mais il s’était notamment appuyé, lors de sa campagne, sur les importantes manifestations populaires en faveur de la paix et de la fin des livraisons d’armes, qui avaient rassemblé des dizaines de milliers de personnes à l’automne 2022.

M. Babis est en outre un proche de Viktor Orban, le chef du gouvernement hongrois. Ce dernier ne cesse de prôner le dialogue avec Moscou – une hérésie pour Bruxelles – et de dire tout le mal qu’il pense des sanctions. Tout en continuant à les voter, cependant. C’est que Budapest dépend beaucoup de l’argent européen, et Bruxelles se sert de ce levier pour faire pression, dans ce domaine comme dans d’autres. Reste que M. Orban s’était fait triomphalement réélire en avril 2022 en se positionnant « pour la paix » et « contre la gauche pro-guerre ».

En réalité, l’essentiel n’est pas la sincérité d’âme ou la probité intellectuelle de tel ou tel dirigeant politique. Ce qui mérite d’être noté, c’est que certains d’entre eux enfourchent des thèmes pacifistes, et qu’il se trouve de larges secteurs populaires pour les suivre – et, le cas échéant, leur assurer le succès.

Le consensus euro-atlantique, dont Bruxelles a tant besoin, est loin d’être unanimement partagé au sein des peuples des Vingt-sept. Et la moindre fausse note pourrait faire boule de neige…

Pierre Lévy

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