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L’éternel retour de Charlemagne

Zelensky reçoit le prix Charlemagne

Les autorités de l’UE ont de longue date institué le 9 mai comme « le jour de l’Europe ». Rien à voir, bien sûr avec la chute du Troisième Reich. Il s’agit de rendre hommage à la « déclaration Schuman » rendue publique le 9 mai 1950, et souvent considérée comme le point de départ de l’intégration européenne.

C’est peu dire que cette « fête de l’Europe » s’est, une nouvelle fois, déroulée dans la plus totale indifférence des peuples. Même au sein des pays censés être les plus favorables à l’UE, il ne se trouve guère de foules prêtes à manifester leur liesse pour cette soi-disant « grande aventure », en réalité cette tentative historique de conforter le camp ouest-européen dans le contexte de la guerre froide. Pour ne rien dire de l’Autriche, de la Bulgarie, de la Suède ou de la Slovaquie où le sentiment « anti-UE » gagne du terrain, au grand dam des eurocrates.

Ces derniers ne sont pourtant pas avares en autocélébrations. Le 13 mai en effet s’est déroulée en grande pompe la remise du « Prix Charlemagne », la plus haute distinction de l’Union européenne, qui récompense chaque année des personnalités qui se sont distinguées par leur engagement en faveur de l’« unité européenne », autrement dit qui ont milité pour l’effacement des souverainetés nationales (et de la démocratie dont elles sont inséparables).

Parmi les héros chéris par Bruxelles, on trouve ainsi des Français comme Jean Monnet (1953), Simone Veil (1981), François Mitterrand (1988), Valéry Giscard d’Estaing (2003) ou Emmanuel Macron (2018) ; des Allemands tels que Konrad Adenauer (1954), Walter Hallstein (1961), Helmut Kohl (1988), Angela Merkel (2008), Wolfgang Schäuble (2012) ou Martin Schulz (2015) ; et même des Britanniques comme Winston Churchill (1955) ou Anthony Blair (1999). On y trouve également de grands promoteurs américains de l’intégration européenne tels que George Marshall (l’homme du plan éponyme, 1959), Henry Kissinger (1987), ou William Clinton (2000). En 2002, c’est même la monnaie, l’euro, qui a été décorée…

La dénomination même du prix, une référence à l’empereur qui régna jadis des deux côtés du Rhin, en dit long sur l’état d’esprit qui animait les « Pères de l’Europe » : une ambition impériale. Celle-ci fut d’ailleurs explicitement revendiquée par quelques hauts dirigeants européens comme José Manuel Barroso, l’ancien président de la Commission, et, plus récemment par Bruno Le Maire, l’actuel ministre français des finances. Selon eux et quelques autres, l’UE ne doit pas avoir peur de se sentir un empire, mais un empire « pacifique » s’empressaient d’ajouter ces zélateurs de l’idée européenne.

« Pacifique » ? Cela, c’était avant février 2022. Depuis cette date, Bruxelles assume de multiplier les plans pour prélever, acheter et accélérer la fabrication de munitions et d’armements en faveur de Kiev. Et a promis au président ukrainien son intégration à l’empire.

En attendant l’hypothétique réalisation de cette promesse, Volodymyr Zelensky a été désigné comme le lauréat 2023 du Prix Charlemagne, et sera ainsi honoré le 13 mai à Aix-la-Chapelle, siège historique du trône impérial où se déroule depuis 1950 cette cérémonie fréquentée par la jet-set bruxelloise.

On notera qu’en 1950, l’on n’avait pas hésité à recycler la référence à Charlemagne, cinq ans seulement après la disparition de la « 33. Waffen-Grenadier-Division der SS Charlemagne (französische Nr. 1) », en français plus simplement la « division Charlemagne », c’est-à-dire la troupe créée en 1943 qui rassemblait majoritairement des Français engagés volontaires pour combattre sous l’uniforme allemand. Des Banderas français, en quelque sorte. Le président ukrainien, qui s’appuie chez lui notamment sur des forces héritières des alliés des nazis, ne devrait pas être trop traumatisé par cette si malencontreuse homonymie…

Le temps n’est plus où les successeurs de Charlemagne étaient les maîtres du globe

Hélas pour les Occidentaux, pendant qu’ils tentent de consolider l’empire carolingien du 9ème siècle, le monde évolue. Le temps n’est plus où les successeurs de Charlemagne étaient les maîtres et le centre du globe. Même sous la férule de l’Oncle Sam, le camp occidental voit sa domination défiée de toutes parts.

Par exemple, le Forum composé du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du sud – les « BRICS » – prend de la vigueur et gagne en force d’attraction. Les pays ainsi associés sont très hétéroclites tant par leur histoire que par la nature de leur système économique et social, ou la couleur politique de leurs dirigeants. Mais ils ont un point en commun, essentiel : leur refus d’un monde dominé par l’hégémonie occidentale.

Leur prochain sommet, prévu pour août prochain à Durban (Afrique du Sud), aura notamment à examiner les demandes d’une vingtaine de pays qui souhaiteraient être associés ; ils devraient également progresser sur la voie d’échanges économiques non soumis au dollar (et à l’euro).

Et tant pis pour les nostalgiques de Charlemagne…

Pierre Lévy

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