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Nouvelles inquiétudes de Bruxelles après la réélection triomphale du président croate

Milanovic

Le 12 janvier, le président croate a été triomphalement reconduit dans ses fonctions à l’issue du second tour où il a rassemblé 74,7% des suffrages. Lors du premier tour, Zoran Milanovic (photo) avait frôlé la victoire en obtenant 49,1%, alors qu’il y a cinq ans, il avait d’abord dû se contenter de 29,5% des suffrages, puis avait finalement gagné de justesse (52,7%).

Jamais la Croatie, un pays de 3,8 millions d’habitants issu de l’éclatement de la Yougoslavie, n’avait élu un chef de l’Etat avec un tel score. M. Milanovic, qui fut premier ministre social-démocrate de 2011 à 2016, était soutenu par une coalition incluant son ancien parti, mais a forgé sa popularité par une tonalité que ses adversaires dénoncent comme « populiste ». Certains le surnomment même « le Trump des Balkans ».

Il a notamment tiré argument de scandales de corruption ayant largement éclaboussé le gouvernement actuel. Le ministre de la santé a par exemple été arrêté en novembre car soupçonné de blanchiment d’argent, d’abus de pouvoir et de trafic d’influence.

Le gouvernement, et tout particulièrement le premier ministre Andrej Plenkovic, subissent symétriquement une cinglante défaite. Le candidat qu’ils soutenaient, Dragan Primorac, un ancien ministre de l’éducation, a dû se contenter le 12 janvier de moins de 26% des voix, dans un scrutin marqué par une faible participation : 44,2% des inscrits.

Le HDZ (droite) au pouvoir essuie donc un nouveau revers après avoir reculé de 4,1 points (34,4%) aux élections législatives d’avril dernier. Ce parti, qui fut la formation du « père de l’indépendance », Franjo Tudjman, a dirigé le pays depuis 1991, à de rares parenthèses près. C’est le HDZ qui a engagé la Croatie dans la voie de l’UE à laquelle elle a été le dernier pays à adhérer, en 2013.

M. Plenkovic, qui dirige le gouvernement depuis 2016, est donc un fervent défenseur de l’intégration européenne et de l’OTAN. Son inimitié avec le chef de l’Etat est de notoriété publique, notamment depuis que ce dernier avait tenté, l’année dernière de se présenter comme candidat député dans la propre circonscription du premier ministre. La Cour constitutionnelle avait finalement empêché cette candidature inattendue, ce qui avait amené le président à traiter les juges de « paysans illettrés ».

Milanovic dénonce une Commission européenne « autocratique et non représentative »

Mais ce n’est pas le franc-parler souvent provocateur du président qui hérisse le gouvernement et la majorité de droite, mais plutôt ses prises de position très critiques vis-à-vis de Bruxelles ; il dénonce ainsi la Commission européenne comme « autocratique et non représentative ». Surtout, son refus que le pays soit embarqué dans le soutien militaire à Kiev amène nombre d’électeurs à apprécier son rôle de contrepoids.

Certes, le chef de l’Etat ne détient pas de la réalité du pouvoir ; celle-ci appartient au gouvernement. Mais il représente la Croatie à l’étranger et a son mot à dire sur la conduite de la politique étrangère. Il est en outre commandant en chef des armées.

Cela lui donne un certain poids et lui a notamment permis de s’opposer à l’envoi d’armes en Ukraine ainsi qu’à la participation des militaires nationaux à la formation de soldats ukrainiens sous l’égide de l’OTAN. « Tant que je serai président de la République, aucun soldat croate n’ira faire les guerres des autres » a-t-il ainsi récemment martelé.

Il n’en fallait évidemment pas plus pour déclencher la fureur de M. Plenkovic. Le chef du gouvernement a dénoncé le style « dictatorial et pharaonique » de son rival, et l’a accusé de faire le jeu de Moscou, d’éloigner Zagreb de ses alliés euro-atlantiques, et donc de déstabiliser le pays. Bref, a mis en garde le premier ministre peu avant le scrutin, « la différence entre Zoran Milanovic et Dragan Primorac est simple : l’un nous conduit vers l’Est et l’autre vers l’Ouest ». Et M. Plenkovic d’insister : « nous avons besoin d’un président de la République qui va ancrer la Croatie en Occident ».

Le président avait pourtant condamné la décision de la Russie de lancer une guerre en Ukraine. Mais son refus de laisser le pays prendre sa part dans le soutien à Kiev a déclenché à son encontre les accusations de « marionnette de Moscou ».

Que, dans ces conditions, près de trois votants sur quatre aient choisi de le réélire est tout sauf anodin. Bien sûr, les scandales de corruption, mais aussi la situation économique et sociale ont contribué à déterminer les électeurs. La Croatie a en effet la plus forte inflation de la zone euro. Et l’immigration vers d’autres horizons est massive, posant de graves pénuries de main d’œuvre dans le pays.

Mais le rejet de l’alignement sur les pressions de l’UE et de l’OTAN a certainement joué un rôle dans l’élection, d’autant qu’à la différence de la politique intérieure, le président dispose de prérogatives dans le domaine diplomatico-militaire.

La Croatie rejoint le camp des Etats de l’UE où le soutien militaire et politique à Kiev est contesté

La Croatie semble donc, par son vote du 12 janvier, rejoindre le camp des Etats de l’UE où le soutien militaire et politique à Kiev est significativement contesté, un camp désormais de plus en plus fourni.

La Hongrie avait donné l’exemple la première, le chef du gouvernement Viktor Orban ayant triomphé sur cette base lors des élections de 2022. Le premier ministre slovaque, Robert Fico (issu comme M. Milanovic de la famille sociale-démocrate, qui l’a cependant rejeté), a suivi un chemin comparable, d’autant que Bratislava souhaiterait la reprise des livraisons de gaz russe. Dans ce pays, un sondage a affirmé que l’opinion selon laquelle la Russie serait une menace sécuritaire aurait baissé de 68 % à 49 %.

En Autriche, le FPÖ, qui plaide pour des relations pacifiées avec Moscou, pourrait bien décrocher le poste de chancelier, même si d’immenses pressions s’exercent pour empêcher cette hypothèse.

En Roumanie, l’élection présidentielle de novembre 2024 a été tout simplement annulée après que le candidat « pro-russe » fut arrivé en tête à la surprise générale ; elle devrait désormais se tenir en mai.

De leur côté, les électeurs bulgares vont très probablement voter pour la huitième fois en quatre ans, sur fond de renforcement continu des partis accusés d’être des affidés du Kremlin. Même le très pro-UE Boïko Borissov, qui dirigea longtemps le pays, vient de mettre en doute l’opportunité de signer un accord de coopération entre Sofia et Kiev, pourtant négocié depuis de longs mois.

Enfin, dans les mois qui viennent, l’Allemagne et la République tchèque vont convoquer leurs électeurs aux urnes, respectivement en février et en octobre. Dans le premier cas, l’AfD, qui critique radicalement l’engagement guerrier du gouvernement actuel, pourrait obtenir un score sans précédent. Et dans le second, les observateurs prévoient la victoire d’Andrej Babis, politiquement proche de M. Orban.

Mais pour l’heure, la liste vient déjà d’être complétée par la Croatie. Il est difficile d’imaginer qu’une telle succession relève d’une pure coïncidence.

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