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Anxieuse pour les exportations européennes, la Commission modère son néo-colonialisme vert

deforestation

Les ONG affirmant défendre la planète, de même que les lobbys « verts » ne cessent de pousser des cris d’orfraie. Ils dénoncent le « détricotage » du « Pacte vert » que la Commission européenne avait fait passer lors du premier mandat de sa présidente, Ursula von der Leyen. Cette dernière est désormais accusée de traîner les pieds pour mettre en œuvre les dizaines de directives et de règlements, adoptés entre 2019 et 2024, censés répondre aux « défis environnementaux » et au « changement climatique ».

Certains textes, accusent les ONG, sont menacés. Parmi les exemples récents figure l’annonce, le 23 septembre, d’un nouveau report d’un an (après un premier décalage décidé l’année dernière) du texte « anti-déforestation » (photo). Ce dernier a pour but d’interdire la commercialisation au sein de l’UE de produits tels que l’huile de palme, le cacao, le café, le soja et le bois, s’ils proviennent de terres déboisées après décembre 2020.

Bruxelles justifie ce retard en pointant les problèmes techniques qui risquent de survenir si les firmes tenues de déposer les informations justifiant l’origine de leurs produits saisissent des millions de données dans des systèmes informatiques pour l’instant sous-dimensionnés.

En réalité, personne n’est dupe. Bruxelles travaille en effet à la révision de ses priorités passées. De nombreux autres indices en témoignent. Ainsi, les rumeurs se multiplient qui laissent entendre que l’interdiction de vente des véhicules neufs thermiques édictée pour l’horizon 2035 (au profit des véhicules électriques) pourrait être assouplie, voire remise en cause (une interdiction que de nombreux professionnels jugent en tout état de cause irréaliste).

Autre exemple : alors que l’Union européenne se targuait d’être une « élève modèle » en ce qui concerne l’accord de Paris, notamment en visant la « neutralité carbone » en 2050, elle n’a pas été en mesure de présenter à l’ONU, comme elle le prévoyait ce mois de septembre, des objectifs intermédiaires et s’est contentée d’intentions vagues.

Bruxelles cherche à relancer les négociations afin de créer de nouvelles zones de libre échange

Différentes explications concourent à ce changement de climat – si l’on ose dire – à Bruxelles. Tout d’abord, les élections européennes de 2024, qui sont certes restées marquées par une forte abstention, ont cependant connu une forte montée des partis classés populistes ou d’extrême droite.

Il se trouve que ces partis ont fait le choix de surfer sur le ras-le-bol face aux oukazes écolos qui se sont multipliés ces dernières années. Une sorte de retour de bâton dont les partis en question ont profité. Dans ces conditions, ceux-ci ont réussi à obtenir un nombre important de représentants au sein de l’europarlement – c’est du reste aussi le cas dans nombre de parlements nationaux.

Mais le facteur le plus important est ailleurs : il est lié à l’évolution des rapports de force internationaux, et au retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Celui-ci a engagé un redoutable bras de fer avec le reste du monde en matière de droits de douane. Les « tarifs » édictés par le président américains ont différents objectifs (économiques, budgétaires, politiques). Le premier d’entre eux est de favoriser les firmes américaines au détriment des importations étrangères.

Autrement dit, le marché d’outre-Atlantique va se réduire, au grand dam des dirigeants européens. La Commission a certes tenté de limiter la casse en acceptant fin juillet, un diktat de Washington qui pourra imposer des droits de douane à 15% sur la plupart des marchandises exportées vers les Etats-Unis, alors que l’UE acceptera de laisser entrer sans taxe les exportations de ce pays.

Mais Bruxelles cherche aussi, parallèlement, à relancer les négociations avec d’autres puissances dans le monde, afin de créer de nouvelles zones de libre échange, espérant de nouveaux débouchés pour les grandes firmes. C’est la raison pour laquelle la Commission tient tant à faire entrer en vigueur l’accord avec le Mercosur (cinq pays d’Amérique latine dont le Brésil et l’Argentine), quels que soient les dégâts prévisibles pour certaines agricultures nationales des Etats membres.

Elle espère conclure avec l’Inde d’ici la fin de l’année. Et a triomphé – le jour même où le texte sur la déforestation était officiellement reporté ! – en rendant public un accord avec l’Indonésie.

Brésil, Inde, Indonésie : ces pays, comme bien d’autres, avaient fait connaître leur aversion quant aux normes et règles environnementales que Bruxelles a longtemps voulu imposer. L’UE ne cachait pas sa volonté d’apparaître comme un parangon de vertu face au monde entier, et avait longtemps cherché à promouvoir ce « soft power » à coup de leçons de morale environnementale.

Une attitude que Brasilia, New Delhi, Djakarta, et bien d’autres pays du Sud global – y compris en Afrique – ont vécu comme de l’arrogance, voire comme une sorte de néocolonialisme habillé de vert.

Mais désormais, face à des désastres commerciaux prévisibles quant aux produits européens, notamment du fait de l’Oncle Sam, et aussi du fait des pressions directes de Donald Trump, la Commission a choisi de baisser d’un ton ses sermons et ses exigences, notamment environnementales. Faut-il s’en offusquer ? Ou s’en réjouir ?

Le plus grave n’est pas les orientations néfastes, mais l’obligation dans laquelle se trouvent les Etats membres de s’y soumettre

En réalité, le problème n’est pas que Bruxelles change de priorité en donnant des grands coups de volant, dans un sens ou dans un autre. Mais plutôt qu’elle embarque les Etats membres dans ces trajectoires changeantes, sans possibilité pour eux de décider de politiques qui préservent leurs intérêts nationaux.

Dans un monde débarrassé des contraintes de l’UE, l’Allemagne serait libre de continuer à produire des véhicules à essence si cela correspond aux intérêts de son industrie automobile (qui voit aujourd’hui se profiler des vagues massives de licenciements).

L’Autriche et l’Italie auraient le droit de ne pas se soumettre aux contraintes liées à la déforestation dans des pays tiers si c’est contraire au fonctionnement de leurs économies comme elles l’ont affirmé (du reste la loi européenne anti-déforestation risque de pénaliser les petits producteurs par exemple indonésiens, sans vraiment gêner les gros, qui ont les moyens financiers).

Et la France et la Pologne devraient pouvoir se soustraire à l’accord avec le Mercosur si leurs agriculteurs – comme cela sera sans aucun doute le cas – en payent le prix fort à travers la concurrence de produits sud-américains non soumis aux mêmes contraintes, donc déloyale (des mobilisations au sein du monde paysan refont surface en France ces jours-ci).

Chaque mois apporte de nouveaux exemples de la nocivité des politiques européennes. Cependant, le plus grave n’est pas en soi ces orientations néfastes, mais l’obligation dans laquelle se trouvent les Etats membres de s’y soumettre.

Cette obligation – qui impose à tous un menu unique – est en réalité l’essence même de l’intégration européenne.

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