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Pour Macron, il n’y avait pas dix solutions

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« Coup de poker », « pari osé », « saut dans le vide »… C’est peu dire que la dissolution de l’Assemblée nationale, annoncée par Emmanuel Macron une heure seulement après l’annonce des premiers résultats français du scrutin du 9 juin, a sidéré les commentateurs et analystes politiques. Tout comme elle a désarçonné – et inquiété – de nombreuses personnalités de l’UE, même si ces dernières sont restées discrètes.

Le président français a pris prétexte du très haut score du Rassemblement national – 31,4% – pour convoquer les Français aux urnes les 30 juin et 7 juillet prochain. Preuve, au passage, qu’il n’y a pas eu une élection européenne, mais vingt-sept scrutins nationaux dans des pays qui diffèrent par le contexte, l’actualité, les conséquences, mais aussi l’histoire et la culture politiques nationales (même s’il convient d’analyser quelques tendances globales dominantes).

Naturellement, le maître de l’Elysée n’a pas fait ce choix en quelques minutes. Il y songeait depuis des mois, selon les confidences de certains de ses proches ; il semble que la décision ait mûri lors d’un déjeuner avec quelques conseillers le 20 mai. Les sondages prédisaient déjà un très fort résultat pour le Rassemblement national, et une catastrophe pour la liste macroniste, conduite par la libérale Valérie Hayer. Celle-ci a finalement obtenu 14,6% des suffrages, en deuxième position mais moyennant un écart abyssal avec celle du vainqueur, Jordan Bardella.

Dans sa brève allocution, le chef de l’Etat a été contraint de reconnaître implicitement son échec cinglant. Il s’était en effet fait réélire en mai 2022 avec l’objectif affiché d’affaiblir le RN, qualifié de « nationaliste » et d’« anti-européen », au profit d’une stratégie de poursuite de l’intégration européenne qu’il incarne depuis 2017.

Certes, le RN a mis beaucoup d’eau dans son vin, espérant être admis dans le cercle des élites jugées acceptables pour gouverner. Sa cheffe historique, et déjà candidate à l’Elysée, Marine Le Pen, a officiellement renoncé à consulter les Français sur l’appartenance à l’UE – en réalité, son parti ne s’était jamais engagé à sortir de celle-ci. De même, le parti a juré qu’il serait désormais fidèle au soutien occidental à l’Ukraine.

Mais il n’empêche : pour de très nombreux électeurs, le RN continue d’incarner l’opposition à Bruxelles. Et il garde l’image d’un parti moins hostile à Moscou et plus favorable à la paix que les forces politiques traditionnelles – c’est du reste ce que ces dernières n’ont cessé de lui reprocher. Dans ce contexte, le résultat du 9 juin constitue un revers non seulement pour Emmanuel Macron, mais pour « l’idée européenne » à laquelle ce dernier s’est identifié.

Les stratèges de l’Elysée ont estimé que la gifle électorale pouvait servir d’occasion pour rebattre les cartes

Cette monumentale gifle ne pouvant être dissimulée, les stratèges de l’Elysée ont estimé qu’elle pouvait servir d’occasion pour rebattre les cartes. Car, depuis 2022, Le chef de l’Etat ne dispose plus d’une majorité à l’Assemblée nationale. Dès lors, chaque projet, chaque loi nécessite d’interminables tractations pour être adopté. Et parfois, ces négociations parlementaires se terminent dans l’impasse, contraignant le gouvernement à utiliser des astuces constitutionnelles pour imposer des textes sans vote.

Cela a été le cas pour faire passer en force la très impopulaire réforme des retraites. Même l’adoption de textes budgétaires relève du casse-tête. Bref, depuis de longs mois, la paralysie de l’action politique s’installait. Et ce, au moment où l’UE exige la reprise des « réformes » et des restrictions budgétaires. Du reste, le président français, qui cherche à asseoir son influence à Bruxelles, est handicapé par l’image d’un pays irréformable et perpétuellement en déficit.

L’objectif stratégique du président consiste donc à sortir de cette situation. Pour ce faire, il n’avait pas dix solutions.

Accessoirement, des buts tactiques ont également joué leur rôle : Emmanuel Macron, qui ne peut se représenter en 2027, cherche à garder la main sur le choix de son successeur. Cela suppose de prendre de court certains prétendants qui étaient déjà quasiment en campagne.

Le pari du chef de l’Etat a-t-il une chance de réussir ?

Reste évidemment une question : compte tenu du désastre électoral du 9 juin, et de sa très grande impopularité qui y a contribué, le pari du chef de l’Etat a-t-il une chance de réussir ? A ce stade, il est trop tôt pour répondre de manière certaine.

En particulier en ce qui concerne la viabilité des calculs présidentiels. Ceux-ci reposent sur le slogan : « moi ou le chaos », le « chaos » étant ici représenté par le spectre fantasmé du retour de la « peste brune » et des « heures les plus sombres de notre histoire ». Un spectre contre lequel il conviendrait de faire l’union sacrée. Cet appel vise au premier chef le parti de la droite classique, Les Républicains (LR).

Le président espère ainsi capturer de larges pans de LR sous sa bannière, d’autant que des ralliements ponctuels ont déjà eu lieu, parfois récompensés par des portefeuilles ministériels (comme la nomination de Rachida Dati comme ministre de la culture). Il est vrai qu’aucun obstacle idéologique n’existe entre les amis d’Emmanuel Macron et LR (un parti qui, avec 7,2% des suffrages, reste électoralement exsangue).

Il n’y a pas non plus de fossé idéologique avec le Parti socialiste (dont la liste a obtenu 13,8% des suffrages, un score rachitique eu égard à l’histoire, mais tout de même le double de 2019). De ce côté cependant, le calcul macroniste est différent. En imposant la plus courte campagne possible, l’Elysée espère sans doute prendre de vitesse tout regroupement à « gauche ».

Certes, les différents partis de cette mouvance appellent tous à un « Front populaire » contre le RN. Mais entre le PS, fidèlement aligné sur les dogmes de l’UE, et La France insoumise (LFI) qui tient un langage plus radical et insiste sur la nécessité de s’entendre sur un programme clair, les tensions, qui se sont renforcées ces derniers mois, sont de plus en plus vives. Dès lors, au-delà de la déclaration commune signée le 11 juin par quatre partis, sera-t-il possible d’établir, comme en 2022 mais cette fois en quelques jours, des candidatures et un programme communs ?

Et quel sera le profil de la prochaine Assemblée nationale : dotée d’une majorité absolue de députés pro-Macron ? Conquise par une majorité de gauche hétéroclite ? Dominée par le RN ? Ou éclatée et plus ingouvernable encore que la chambre sortante ?

Aucune de ces hypothèses n’est à ce jour exclue. Les deux dernières ne sont pas les plus improbables – et sont précisément celles qui sont redoutées à Bruxelles. Car pour une Union européenne déjà plombée par ses divisions et contradictions entre Etats membres sur des sujets majeurs (contraintes budgétaires, emprunts communs, politiques industrielle et commerciale, environnement, élargissement, immigration…), la « déstabilisation » de la deuxième puissance du club constituerait un handicap majeur supplémentaire.

Accessoirement, la dissolution de l’Assemblée nationale française complique d’ores et déjà les tractations entre Etats, discrètes et déjà complexes, visant à choisir les titulaires des plus hauts postes de l’UE (présidents de la Commission et du Conseil, Haut représentant…).

Quoi qu’il en soit, compte tenu de la brièveté de la campagne, on y verra plus clair bientôt.

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