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Élections européennes : vingt-sept scrutins nationaux

Bureau de vote vide

La dissolution de l’Assemblée nationale française, annoncée au soir du 9 juin par Emmanuel Macron, a eu le mérite de confirmer qu’il n’y a pas de paysage politique européen homogène, tout simplement parce qu’il n’existe pas de peuple européen. Du 6 au 9 juin se sont donc déroulés vingt-sept scrutins nationaux hétéroclites, même s’ils visaient tous à envoyer des élus à Strasbourg.

Après le coup de théâtre français, certains commentateurs ont finalement renoué avec leurs analyses des différents scrutins. Et ont ausculté les conséquences quant à l’évolution des différents groupes au sein du « parlement » européen. Ce dernier a toujours été dirigé par une coalition droite (Parti populaire européen, PPE) / gauche (sociaux-démocrates, SD), flanquée, depuis 2019, des Libéraux. Cela ne devrait pas changer.

Parmi les commentaires les plus courants figure l’assertion selon laquelle le groupe PPE sortirait renforcé. Selon les estimations actuelles, il disposerait de 189 sièges, soit un léger gain d’une dizaine de sièges par rapport à l’assemblée sortante – mais qui comptait 15 sièges de moins. En réalité, cette apparente stabilité résulte de mouvements contraires. Par exemple, les Grecs de Nouvelle Démocratie, avec 28%, perdent 5 points par rapport au scrutin de 2019 ; au même moment, les Espagnols du Parti populaire (PP) passent de 20% à 34%. Les deux partis adhèrent au même PPE, mais dans des situations nationales complètement différentes.

Au sein des Vingt-sept, en moyenne, un électeur sur deux a boudé les urnes

Y a-t-il cependant des tendances qui se dégagent globalement ? On peut en citer trois, qui admettent cependant des exceptions. La première est la persistance d’une très forte abstention. Entre 2019 et 2024, le taux de participation passe de 50,7% à 51%, soit un très minime gain de 0,3 points. Le fait marquant reste qu’au sein des Vingt-sept, en moyenne, un électeur sur deux a boudé les urnes – certains pour refuser de donner un semblant de légitimité à un « parlement » sans peuple.

Et il convient de préciser que dans quelques pays, le vote est obligatoire. En outre, en Belgique et en Bulgarie, les citoyens renouvelaient leurs députés le même jour que les élections européennes (ces élections nationales mériteront une analyse spécifique), ce qui fait grimper mécaniquement la participation ; de même, d’autres, comme la Roumanie, votaient pour des assemblées régionales.

En France, la participation a été de 51,5% (+1,4 point par rapport à 2019) ; en Allemagne de 64,8% (+ 3,4) ; mais en Espagne, elle a chuté de 60,7% à 49,2% ; en Italie elle est passée de 54,5% à 48,3% ; et en Pologne de 45,7% à 40,6%. La Lituanie arrive en queue de peloton, avec 28,3% de participation ( – 25,2 points).

Certains ont découvert que l’objectif affiché de « protéger la planète » cachait des projets de transformation profonde des modes de vie

La deuxième caractéristique qu’on retrouve dans plusieurs pays est la retombée de la « vague verte » qui avait été fêtée par certains avec enthousiasme en 2019 (il est vrai qu’il est dans la nature d’une vague de retomber !…). Ce succès des mouvements écologistes n’avait en réalité été constaté il y a cinq ans que dans sept pays sur vingt-huit (à l’époque). Mais comme il s’agissait notamment de grands pays, de nombreux élus Verts avaient été envoyés à Strasbourg.

Cette fois, les Verts allemands (qui font partie de la coalition gouvernementale) doivent se contenter de 11,9%, soit un plongeon de 8,6 points ; leurs collègues français, de 5,5%, une perte de 8 points. Des chutes analogues ont eu lieu en Belgique, au Luxembourg, en Autriche. Les pays scandinaves font exception, mais sont loin de compenser la tendance. Aux Pays-Bas, les écologistes faisaient liste commune avec les socialistes, ce qui empêche toute comparaison directe ; mais les deux partis pris ensemble obtiennent moins de voix que leur résultat cumulé de 2019.

Depuis cinq ans, l’état d’esprit a changé chez nombre d’électeurs. Certains ont découvert que l’objectif affiché de « protéger la planète » cachait en réalité des projets de transformation profonde des modes de vie, avec des conséquences directes sur le pouvoir d’achat et l’emploi.

La troisième tendance constatée a été la plus commentée

Enfin, la troisième tendance constatée lors de ces scrutins a été la plus commentée : la progression globale des forces regroupées sous le terme d’extrême droite, même si certaines d’entre elles contestent ce qualificatif. Ce dernier englobe en réalité des partis très hétéroclites de par leurs origines, leurs orientations et leurs stratégies [lien sur mon article précédent].

C’est évidemment en France que la poussée est la plus spectaculaire : avec 34,1% des suffrages, le Rassemblement national arrive non seulement en tête (ce qui fut déjà le cas en 2014 et 2019), mais progresse de plus de 8 points par rapport à 2019. Surtout, il distance de près de 17 points la liste arrivée en deuxième, celle des partisans d’Emmanuel Macron. A cela peuvent s’ajouter les 5,5% de la liste véritablement d’extrême droite, soutenue par Eric Zemmour.

Dans une configuration politique totalement différente, l’AfD, en Allemagne, obtient, avec 15,9%, soit un bond de près de 5 points, la deuxième place après les chrétiens-démocrates dans l’opposition mais avant les trois partis associés au gouvernement. Un résultat d’autant plus notable que ce parti avait fait l’objet de plusieurs scandales récents mis en avant par les médias.

Par ailleurs, il est évidemment hors de question de classer le mouvement BSW, tout récemment lancé par Sarah Wagenknecht, une dissidente de Die Linke, à l’extrême droite : il défend d’abord le progrès social ; il refuse la fuite en avant « wokiste », et prône plus de fermeté face à l’immigration ; surtout, il s’oppose au consensus pro-Ukraine. Sur cette base, il réussit une percée à 6,2%, ce qui constitue sans doute un lancement prometteur. La plupart des médias français ont fait silence sur cette nouveauté originale en Europe.

En Autriche, la performance du FPÖ est notable : avec 25,4% des suffrages, il progresse de plus de 8 points et conquiert la première place. Un véritable séisme dans le petit pays alpin, d’autant que son leader, Herbert Kickl, ne cherche pas la « dédiabolisation », au contraire.

En Italie, la configuration est encore différente puisque la dirigeante du mouvement « post-fasciste » Frères d’Italie, Giorgia Meloni, est à la tête du gouvernement depuis fin 2022. En personnalisant le scrutin, elle a capitalisé sur sa popularité à hauteur de 28,8%, soit un bond de 20 points. Pour sa part, la Ligue dégringole de 34,3% à 10% (mais remonte légèrement la pente par rapport aux élections nationales de 2022).

Il faut citer aussi la Belgique, côté flamand, où le Vlaams Belang conquiert la première place avec 14,5% (+ 2,8 points). Quant aux Pays-Bas, le PVV de Geert Wilders passe, en cinq ans, de 3,7% à 17,7%. Un score en recul, cependant, par rapport aux 23,5% obtenus lors des élections nationales de novembre 2023. Depuis cette date, le PVV négociait avec trois autres partis pour former un gouvernement, ce qui vient d’être achevé. Mais au prix d’importantes concessions du PVV : le renoncement à un référendum sur la sortie de l’UE, et l’abandon d’une position plus équilibrée sur la guerre en Ukraine. Certains électeurs auraient-ils voulu exprimer une déception à cet égard ?

Les forces « populistes » ou « nationalistes » connaissent en revanche des baisses ou des déceptions en Suède, au Danemark et en Finlande. Les analystes citent aussi le cas du parti FIDESZ du premier ministre hongrois Viktor Orban, qui chute de 7,6 points par rapport à 2019, tout en restant, avec 44,9%, très loin devant ses concurrents. Ce recul est dû à l’émergence spectaculaire d’une personnalité dissidente du FIDESZ, qui a fait campagne contre la corruption, et qui obtient pas moins de 29,5%, écrasant l’opposition classique. A noter cependant que si Peter Magyar se veut anti-Orban, il partage son « euroscepticisme » et sa critique du soutien inconditionnel à l’Ukraine.

Enfin, des partis classés à l’extrême droite surgissent ou progressent dans trois pays de l’est particulièrement. En Pologne, la Confédération passe de 4,5% à 12,1% ; en Roumanie, l’Alliance pour l’unité de la Roumanie, qui n’existait pas en 2019, obtient 14,9% des voix ; et en Bulgarie, Renaissance, absente en 2019, rassemble 14% des voix. Ces deux derniers partis sont décrits comme ouvertement « pro-russe » par leurs adversaires.

De nombreux dossiers vont être à l’avenir encore plus explosifs dans le rapport de force de l’après 9 juin

Aussi hétérogènes que soient toutes ces forces, on peut raisonnablement penser que leurs électeurs ne sont pas des enthousiastes de l’intégration européenne, et même qu’une large partie d’entre eux y est réticente. Les résultats électoraux renforcent donc un climat de plus en plus difficile pour les supporters de « l’idée européenne ».

Pour l’heure, la « bulle bruxelloise » va se focaliser sur la constitution de groupes parlementaires, et surtout sur le choix des futurs dirigeants de l’UE : présidents de la Commission et du Conseil, du « haut représentant », ainsi que d’autres postes en vue. Après le dîner informel du 17 juin entre chefs d’Etat et de gouvernement (d’où Ursula von der Leyen s’est plainte d’être partiellement exclue), le Conseil européen (là où les grandes orientations se prennent) se réunira plus formellement les 27 et 28 juin. Les tractations discrètes et les manœuvres de couloir battent déjà leur plein.

Mais au-delà de cette « cuisine » interne, de nombreux dossiers vont être à l’avenir encore plus explosifs dans le rapport de force de l’après 9 juin : asile et migration, « Pacte vert », budget et emprunt communs, élargissement…

Sans même parler de l’engagement politique et militaire de l’UE au côté de Kiev. De nombreux électeurs ont, même de manière confuse, exprimé à cet égard leur volonté de paix. Est-ce totalement un hasard si c’est le dirigeant le plus va-t-en-guerre d’Europe occidentale, le président français, qui a été le plus brutalement sanctionné ?

Dans nombre de soirées électorales, notamment sur la chaîne franco-allemande Arte, des intervenants ont répété plusieurs fois : « Vladimir Poutine va se frotter les mains ». Et ce, sans même pouvoir pointer les « ingérences russes » qui étaient officiellement redoutées pour le jour du scrutin…

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