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Crise politique en France : la responsabilité de Bruxelles

Macron à Bruxelles avec Montenegro

A l’heure où ces lignes sont écrites, la France n’a toujours pas de nouveau premier ministre. Une situation qui pourrait évoluer très prochainement, ou durer encore quelques jours, en attendant le choix d’Emmanuel Macron – qui décide seul et sans contrainte, selon la Constitution. Avant d’analyser les conséquences de cette décision à venir, on peut s’interroger sur la crise que traverse le pays.

A Paris, analystes, journalistes et personnalités politiques sont de plus en plus nombreux à s’émouvoir d’une attente interminable. La gauche, pour sa part, feint d’avoir gagné les élections des 30 juin et 7 juillet (alors qu’elle a réalisé au premier tour un score historiquement bas, puis a bénéficié au second des désistements de la droite et du centre au nom de la lutte contre le Rassemblement national), et s’indigne donc de ne pas être appelée à former le nouveau gouvernement.

En réalité, la situation institutionnelle est-elle si grave ? On peut après tout noter qu’un gouvernement qui expédie les affaires courantes est moins apte à imposer des mesures ou des réformes de régression sociale qu’un cabinet de plein exercice. Surtout, la crise politique ne semble pas si spécifique à la France. De nombreux pays voisins ne sont guère mieux lotis, même si les formes changent, du fait de la diversité des institutions et des cultures politiques.

La Belgique a voté le 8 juin, et la formation d’une coalition n’est toujours pas en vue ; cela pourrait prendre encore des semaines, voire des mois. En 2010-2011, le pays était resté 541 jours sans gouvernement – un record olympique.

Aux Pays-Bas, les citoyens ont dû attendre sept mois entre leur vote de novembre 2023 et l’entrée en fonction d’un nouvel exécutif. En outre, la stabilité de ce dernier, finalement composé de ministres « techniques » et non politiques, est loin d’être assurée.

Pour certains politologues français, l’Allemagne fait figure de modèle, avec le principe d’accords de coalition négociés après les élections, et non avant comme en France (du moins dans la tradition de la cinquième République). Un modèle qui semble pourtant désormais dysfonctionnel. En 2021, l’accouchement de la coalition avec les sociaux-démocrates, les Verts et les Libéraux avait péniblement duré plus de deux mois. Sans que cette lenteur soit une garantie de stabilité : les trois partis de l’alliance multiplient désormais les querelles. Au point que certains doutent que l’attelage aille jusqu’à son terme normal de 2025.

En Autriche, les rapports entre la droite et les Verts qui gouvernent aujourd’hui ensemble sont exécrables, au point qu’une ministre a, lors d’un Conseil de l’UE, décidé d’inverser la position de son propre gouvernement…

En Espagne, le gouvernement du socialiste Pedro Sanchez ne survit que grâce au soutien parlementaire des indépendantistes catalans, un soutien ni éternel ni gratuit. La liste des pays en crise politique ouverte ou larvée n’est pas exhaustive. Sans même évoquer la Bulgarie dont les citoyens sont appelés aux urnes en octobre… pour la septième fois depuis trois ans ; et qui a collectionné les gouvernements transitoires durant cette période.

Les pays membres de l’UE sont en quelque sorte pilotés en « double commande » 

Chaque situation nationale est évidemment particulière. Et les crises politiques ne sont pas une exclusivité européenne. Cependant, il n’est pas interdit de s’interroger sur la responsabilité de l’Union européenne en tant que l’une des causes de ces crises dont la forme varie mais qui pourraient bien avoir une racine commune.

Car les pays membres de l’UE sont en quelque sorte en « double commande » : ils sont pilotés par leur capitale et Bruxelles. Cette dernière (en particulier le Conseil européen, où siègent les chefs d’Etat et de gouvernement) décide des grandes orientations (photo : Emmanuel Macron à Bruxelles embrassant le premier ministre portugais, lors du Conseil de juin) ; tandis que la première fixe les modalités de mise en œuvre.

En d’autres termes, les électeurs sont – dans le meilleur des cas – appelés à se prononcer sur la nuance d’application (par exemple la plus ou moins grande coloration sociale), mais le cadre général, lui, est intangible, inséparable des traités, règles et « valeurs » de l’UE. C’est même la raison d’être de l’intégration européenne.

Une des illustrations les plus actuelles de cette loi d’airain est à chercher du côté des contraintes budgétaires qui s’imposent à chaque Etat membre, tout particulièrement à ceux de la zone euro. Par exemple Paris est sommé de présenter à la Commission européenne, d’ici au 20 septembre, une feuille de route « redressant la trajectoire des finances publiques ». En clair, un plan d’austérité poursuivant et amplifiant celui de 10 milliards d’euros de coupes dans les dépenses décidé en urgence en février dernier.

Une telle exigence s’imposera à tout nouveau premier ministre. Et peu importe que le programme du Nouveau front populaire proclame fièrement « refuser le pacte de stabilité budgétaire », feignant ainsi de croire que ce dernier est facultatif. En réalité, tant que la gauche restera fidèle à l’appartenance de la France à l’UE, le cadre européen bridera les électeurs.

Une large partie de ceux-ci, en France et dans de nombreux autres pays, le sentent plus ou moins consciemment. Conséquence : ils s’abstiennent, ou bien alors répartissent leurs voix sur des partis « hors système » (ou prétendus tels), ce qui complique ou interdit la formation de majorités parlementaires.

La formation du futur gouvernement français risque donc d’être particulièrement laborieuse. Et peu durable.

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