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Niger : les Occidentaux inquiets de perdre une carte majeure au Sahel

Borrell et Bazoum

Les pays voisins du Niger vont-ils intervenir militairement dans ce pays ? C’est la menace qu’a brandie la Cedeao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest), le 31 juillet, cinq jours après qu’une junte, dirigée par le général Tiani, eut pris le pouvoir à Niamey, la capitale. Une menace soutenue par Paris, qui ne souhaite pas apparaître trop directement, mais qui redoute de devoir retirer les troupes françaises sur place – 1 500 hommes environ, ainsi que du matériel et des équipements lourds et sophistiqués.

Outre la mise en place de sanctions économiques, la Cedeao avait fixé un ultimatum qui expirait le 6 août. Elle exigeait la libération du président déchu, Mohamed Bazoum, et le « rétablissement de l’ordre constitutionnel ». Pour l’heure, la possibilité d’une telle action armée reste toujours sur la table, mais elle apparaît comme de moins en moins probable.

D’abord parce que le soutien populaire au régime militaire se renforce. Ensuite parce que les conditions extérieures d’une intervention armée se compliquent. Officiellement, les dirigeants de l’organisation sub-régionale ont mis en avant leur unanimité. En réalité, deux pays importants – le Mali et le Burkina Faso, suspendus de la Cedeao pour cause de coups d’Etat militaires (2020, 2021, 2022) – se sont solidarisés avec leurs collègues nigériens insurgés, menaçant même de soutenir militairement le Niger si celui-ci était attaqué. Surtout, même parmi les pays « légalistes », la perspective de l’utilisation de la force suscite la crainte d’un embrasement régional. Ainsi, au Nigéria, la principale puissance militaire et démographique de la région, et probable chef de file d’une éventuelle intervention, les sénateurs se sont dits opposés à une telle perspective.

En outre, l’Union africaine a refusé de soutenir le principe d’une telle action. L’Algérie, le grand voisin du nord, a également fait connaître son opposition. Et tout récemment, Washington a engagé des pourparlers discrets avec la junte, probablement dans l’espoir de sauver les meubles – à savoir la présence stratégique US, forte de 1 000 militaires. Le Secrétaire d’Etat US a même estimé qu’il n’y avait « pas de solution militaire acceptable », suscitant la colère discrète mais virulente de Paris, scandalisé par cette rupture de l’« unité » du camp occidental.

De fait, le Niger est le quatrième pays du Sahel en trois ans qui, après un soulèvement militaire au nom du rétablissement des intérêts nationaux, rompt avec sa soumission fidèle au camp occidental. Ce pays était vu, il y a quelques semaines encore, comme un allié d’autant plus crucial que les forces françaises avaient été sommées de quitter le Mali puis le Burkina. Le président nigérien déchu, et présentement détenu, a du reste agité la menace d’un « basculement » de l’ensemble du Sahel dans la sphère d’influence russe, lors de propos rapportés par le Washington Post.

A Bamako puis à Ouagadougou, les importantes manifestations populaires soutenant les putschs avaient dénoncé l’incapacité des militaires tricolores à mettre fin au fléau terrible du terrorisme djihadiste – raison officielle initiale de leur présence dans ces pays. Certains secteurs de la population, particulièrement touchés par la terreur des groupes islamistes, avaient même accusé Paris de complicité avec ces derniers. Et de nombreux manifestants en avaient appelé ouvertement à l’aide de la Russie.

Le soutien populaire massif à la junte s’explique avant tout par la dramatique situation économique et sociale du pays

Si ces préoccupations sécuritaires sont également présentes au Niger, le soutien populaire massif à la junte s’explique avant tout par la dramatique situation économique et sociale du pays, l’un des plus pauvres du monde malgré la présence de quantités de richesses naturelles.

Si la passation de pouvoir entre le précédent président Mahamadou Issoufou et son poulain Mohamed Bazoum s’était réalisée pacifiquement au terme de l’élection présidentielle de 2021 – argument répété sans cesse par les autorités françaises (et de l’UE) – le mécontentement et la frustration n’en ont pas moins grandi depuis cette date, notamment devant l’ampleur de la corruption et du népotisme. Les fortunes considérables amassées par des caciques du pouvoir sortant apparaissent d’autant plus insupportables que le salaire minimum ne dépasse pas 45 euros par mois.

Cela explique le soutien qu’ont apporté le principal parti d’opposition et la centrale syndicale aux militaires. Le général Tiani pouvait ainsi justifier la mise en place du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie par « les problèmes de corruption généralisée et d’impunité, de gabegie, de détournement des deniers publics, de clanisme partisan (…), d’atteintes aux droits et libertés démocratiques, de dévoiement du cadre étatique au profit des intérêts privés et étrangers, d’école en crise et d’effondrement du système de santé ». De fait, l’« ordre constitutionnel », tant vanté par les dirigeants de la Cedeao et leurs parrains occidentaux, incluait tout de même l’emprisonnement ou l’exil de dirigeants de l’opposition – des détails qui n’avaient pas empêché Emmanuel Macron, en 2020, de qualifier le Niger d’« exemple pour la démocratie »… Ni troublé le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, qui avait été reçu en grande pompe à Niamey les 5 et 6 juillet derniers (à gauche sur la photo, embrassé par l’ex-président Bazoum).

Car que pèsent ces considérations dès lors que l’enjeu, pour les Occidentaux, est de garder un certain contrôle stratégique sur le Sahel, a fortiori quand ils voient avec angoisse la Russie appelée à l’aide par des milliers de manifestants ? Même s’il faut se garder d’interpréter de manière trop unilatérale les slogans proférés, force est de constater qu’au Mali comme au Burkina, les dirigeants voient là une perspective de sortir de la sujétion qu’avaient imposée les Occidentaux.

Le discours prononcé par le Burkinabé Ibrahim Traoré, lors de sa visite du à Saint-Pétersbourg le 27 juillet, était à cet égard impressionnant dans sa dénonciation implacable des impérialistes. Etonnant retour de l’Histoire, celui-ci s’est réclamé du dirigeant Thomas Sankara, assassiné en 1987, qui a laissé une empreinte historique parmi tous les Africains épris d’indépendance et de progressisme.

Et si le général Traoré a été reçu avec respect et chaleur par Vladimir Poutine, c’est bien au soutien que l’Union soviétique a apporté pendant un demi-siècle aux progressistes du continent que le dirigeant africain entendait se référer. Un hommage dont la portée était d’autant plus remarquable pour l’avenir que le jeune officier général n’avait que trois ans lors de la chute de l’URSS. Cette dernière a donc marqué de nombreux peuples et pays africains plus qu’on ne croit, ce qui n’est pas franchement pour réjouir les chancelleries occidentales.

Au nom de quelle légitimité les dirigeants voisins du Niger et leurs parrains européens s’autoproclament-ils défenseurs de « l’ordre constitutionnel » nigérien ?

Une dernière question mérite d’être pointée : au nom de quelle légitimité les dirigeants voisins du Niger et leurs parrains européens, à commencer par Paris, s’autoproclament-ils défenseurs de « l’ordre constitutionnel » nigérien ? Ils font valoir des protocoles juridiques au sein de la Cedeao (qui ont servi plusieurs fois ces dernières années). Preuve s’il en était besoin qu’une organisation régionale prétendant intégrer politiquement des pays au nom de leur proximité géographique est par nature porteuse d’ingérence, de perte de souveraineté.

En va-t-il différemment pour l’Union européenne ? Si demain un nouveau mouvement des Gilets Jaunes émergeait et s’imposait en France, voire envisageait de faire subir à Emmanuel Macron le sort de son lointain prédécesseur Louis XVI, le Conseil européen déciderait-il d’envoyer des troupes européennes contre l’insurrection ? Certes, l’hypothèse d’un soulèvement populaire en France – ou en Allemagne, ou ailleurs – est très théorique.

Pour l’instant.

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