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Ursula von der Leyen va recevoir le Prix Charlemagne

Charlemagne

Etait-ce une blague ? Un poisson d’avril avant l’heure ? L’invention facétieuse d’un site parodique ? Pas du tout. L’information a bien été confirmée : Ursula von der Leyen vient d’être désignée pour recevoir, en mai prochain, le Prix Charlemagne, la plus prestigieuse distinction de l’Union européenne.

Décernée chaque année sous l’égide de la municipalité d’Aix la Chapelle où siégea Charlemagne, cet honneur récompense « des personnalités ou institutions ayant contribué à l’Europe et à son unification ». Que l’actuelle présidente de la Commission européenne soit distinguée pour son œuvre en faveur de l’Europe devrait surprendre les plus naïfs de ses partisans. Après tout, n’est-ce pas précisément pour cela qu’on la paye (cher) ?

En réalité, les autocongratulations endogamiques sont une activité dont Bruxelles raffole. Cela entretient l’entre soi. Certains des prédécesseurs de Mme von der Leyen avaient déjà été ainsi honorés. On peut notamment citer Jean-Claude Juncker (en 2006) ; l’inévitable Jacques Delors (en 1992) ; ou bien le premier titulaire du poste, l’Allemand Walter Hallstein (1961), qui fut officier de la Wehrmacht en France pendant la guerre avant de se blanchir aux Etats-Unis (où il enseigna à l’université Georgetown) pour finalement revenir en Europe dans les années 1950 comme diplomate.

L’ancienne ministre allemande de la Défense va donc rejoindre une cohorte de militants s’étant illustrés par leur « engagement européen ». Outre ceux déjà cités, les plus illustres sont par exemple Jean Monnet, Konrad Adenauer, François Mitterrand, Helmut Kohl, Valéry Giscard d’Estaing, Angela Merkel, et plus récemment, Emmanuel Macron. Mais les bienfaiteurs de l’UE se recrutent également de l’autre côté de l’Atlantique : George Marshall (qui donna son nom au plan éponyme), Henry Kissinger, William Clinton…

Plus original, le pape François, de même que l’euro en tant que monnaie, ont également été distingués. Enfin, en 2023, nul ne s’étonnera que Volodymyr Zelinsky se soit vu accorder le podium d’Aix la Chapelle.

José Manuel Barroso avouait qu’on pouvait comparer l’Union européenne à « un empire, mais pacifique »

Ces petites fêtes de la bulle bruxelloise pourraient être jugés anecdotiques. Plus intéressant, en revanche, est que la suprême distinction de l’UE ait été baptisée du nom du célèbre empereur. Une sorte d’aveu implicite de la nature impériale du projet européen.

La plupart des dirigeants s’en défendent, mais quelques uns d’entre eux ont laissé entendre que cette hérédité pouvait bien être assumée. José Manuel Barroso – un des prédécesseurs de Mme von der Leyen à Bruxelles – avouait qu’on pouvait comparer l’Union européenne à « un empire, mais pacifique ». Une assertion reprise quelques années plus tard par Bruno Le Maire, alors ministre français des finances.

Les dépenses croissantes en matière militaire, qui devraient s’accélérer encore dans les années qui viennent, accréditent cette analyse. Dans une récente tribune publiée par le quotidien Le Monde, un expert de l’institut Jacques Delors tente cependant de la contester. Sébastien Maillard oppose ainsi le brutal expansionnisme impérial manifesté par Donald Trump dès sa prise de fonctions – vis-à-vis du Panama, du Groenland, voire du Canada – à une UE qui, « bien que continuellement en voie de s’étendre, se définit comme l’inverse d’un empire ».

Sauf que les arguments employés sont pour le moins fragiles. Ainsi, affirme l’expert, « aucun Etat n’est membre de l’Union contre son gré mais, au contraire, y est entré par un choix démocratique souverain ». Choix démocratique ? Aucun peuple des six pays fondateurs (de ce qui était alors la CEE) n’a jamais été consulté par référendum sur l’appartenance à L’UE, certains dirigeants avouant d’ailleurs qu’une telle consultation eût été suicidaire.

En outre, selon M. Maillard, « le Brexit a démontré qu’aucun membre n’y est retenu par la suite ». On reste pantois devant une telle assertion, qui laisse entendre que la sortie du Royaume-Uni a été un chemin tranquille entre gentlemen… Faut-il rappeler les manœuvres et menaces qui ont été déployées, durant quatre ans, pour tenter de faire échouer le choix des électeurs britanniques ? Quitter l’UE allait provoquer les pires cataclysmes économiques et politiques que le pays et le continent aient jamais connus (qui ne se sont finalement jamais produits).

Surtout, la démonstration de l’expert a été percutée, à peine quelques jours plus tard, par une personnalité allemande de premier plan, qui plus est sociale-démocrate, c’est-à-dire de la même famille idéologique que M. Maillard. Dans un entretien à l’hebdomadaire Focus, Sigmar Gabriel, qui fut chef du SPD, vient de proposer que l’UE intègre… le Canada.

C’est bien sûr une réponse directe aux ambitions de la Maison Blanche. Mais M. Gabriel argumente rationnellement : les Canadiens « sont de toute façon plus européens que certains Etats membres. Ils ne se trouvent certes pas géographiquement en Europe. Mais nous pourrions aménager quelques règles pour cela ». Et l’ancien vice-chancelier fédéral insiste sur les « valeurs universelles de l’Occident » qui pourraient de cette manière être promues.

Nul doute qu’Ursula von der Leyen pourrait souscrire à cet état d’esprit, et, qui sait, en faire le thème du discours qu’elle prononcera à Aix la Chapelle. Ce sera le 29 mai prochain. C’est-à-dire précisément vingt ans, jour pour jour, après le Non des Français au référendum portant sur le traité constitutionnel européen. Un Non que les dirigeants européens ont finalement annulé.

Face à une bulle bruxelloise qui, dans quatre mois, communiera sous le patronage de l’ancien empereur d’Occident, des manifestations en faveur de la liberté des peuples seraient sans doute les bienvenues…

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