« Si on appelle à un cessez-le-feu, la cohérence, c’est de ne pas fournir les armes de la guerre ». Il aura donc fallu attendre un an, quasiment jour pour jour, avant qu’Emmanuel Macron ne prononce cette phrase qui devrait pourtant relever de l’évidence. Le 5 octobre, le président français affirmait dans la même interview : « aujourd’hui, la priorité, c’est qu’on revienne à une solution politique, qu’on cesse de livrer les armes pour mener les combats sur Gaza ».
Tout indique pourtant que l’Etat hébreu peut compter sur la fidélité de ses fournisseurs occidentaux. C’est notamment ce que détaille une analyse récemment publiée par le SIPRI, un institut indépendant suédois qui fait autorité dans l’étude de la production, de la possession et des ventes d’armes dans le monde entier.
Dans cette note, les chercheurs rappellent d’abord à quel point Tel-Aviv, même si son industrie militaire nationale est loin d’être négligeable, dépend de ses fournisseurs d’armements pour mener ses opérations militaires : « au cours de la dernière décennie, Israël a considérablement augmenté ses importations d’armes ». De 2009 à 2013, il était le 47ème importateur d’armes mondial. De 2019 à 2023, le pays s’est hissé au 15ème rang…
Durant cette dernière période, trois puissances ont exporté la plus grande partie des armes majeures achetées par l’Etat hébreu : les États-Unis, l’Allemagne et l’Italie. Mais, précise l’étude, « de nombreux autres pays ont fourni des composants militaires, des munitions ou des services ».
Sans surprise, Washington est le premier fournisseur, avec 69% des importations d’armes israéliennes. Depuis 2008, il est même inscrit dans la loi américaine que l’Oncle Sam doit fournir à son fidèle allié de quoi disposer d’un « avantage militaire qualitatif » dans la région.
Parmi les matériels et équipements vendus figurent des avions, des véhicules blindés, des missiles et des navires. Le SIPRI précise que « tous les avions de combat actuellement en service dans l’armée de l’air israélienne ont été fournis par les États-Unis avec des modifications spéciales pour l’usage israélien ». De plus, « les industries d’armement israélienne et américaine coopèrent étroitement dans différents domaines, notamment la défense antimissile ».
On apprend en outre que, dès le surlendemain de l’offensive israélienne sur Gaza, les États-Unis ont transféré 1 000 bombes guidées GBU-39, une livraison accélérée dans le cadre d’un contrat signé précédemment. La même accélération a été appliquée pour la livraison d’avions de combat F-15 et F-35.
L’Allemagne a fourni 30% des importations israéliennes d’armes majeures
Cependant, les Etats-Unis ne sont pas les seuls à soutenir les guerres que mène Israël contre les Gazaouis mais aussi contre le Liban. Certains pays européens ne sont pas en reste. A commencer par l’Allemagne, dont les ventes ont représenté 30% des importations israéliennes d’armes majeures lors de la période 2019-2023. Selon le SIPRI, ces achats étaient particulièrement destinés aux forces navales : « 81 % des transferts concernaient des frégates et 10 % des torpilles. Les 8,5 % restants étaient des moteurs de véhicules blindés, y compris ceux des véhicules blindés utilisés lors de la guerre de Gaza ».
Dès octobre 2023, le chancelier allemand confirmait cette volonté politique : « nous avons livré des armes à Israël et nous n’avons pas pris la décision d’arrêter de le faire ». Le mois suivant, le gouvernement fédéral mettait en place un comité interministériel chargé d’accélérer les livraisons demandées par Israël.
Un an plus tard, lors d’un débat au Bundestag le 10 octobre, Olaf Scholz martelait à nouveau : « nous avons livré des armes et nous en livrerons », affirmant même qu’avaient été prises des décisions « qui garantissent également qu’il y aura prochainement d’autres livraisons ».
Une telle insistance répondait aux critiques de l’opposition chrétienne-démocrate qui s’inquiétait d’un ralentissement des transferts d’armes lors des neuf premiers mois de 2024. Le leader de la CDU, Friedrich Merz, a même osé accuser le gouvernement de tiédeur : « que valent vos déclarations de solidarité envers l’Etat d’Israël si vous refusez en même temps de lui apporter une aide essentielle dans sa situation si précaire ? ».
Pour sa part, le gouvernement italien est plus prudent. Le ministre des Affaires étrangères, Antonio Tajani déclarait en janvier 2024 « avoir suspendu, depuis le début des hostilités, toutes les livraisons de systèmes d’armes ou de matériel militaire de quelque nature que ce soit ». Cependant, deux mois plus tard, son collègue de la défense précisait que « les exportations vers Israël ont continué, mais uniquement les livraisons effectuées dans le cadre de contrats signés avant le 7 octobre ».
L’Espagne, quant à elle, a précisé qu’elle n’avait exporté aucune arme vers Israël depuis le début de la guerre menée contre Gaza. Quant à la France, son ministre des armées, Sébastien Lecornu, indiquait en février 2024 que Paris cherchait à être « irréprochable » en matière d’exportations militaires.
Pourtant, en juin 2024, rapporte le SIPRI, « l’organisation d’enquête indépendante Disclose a allégué que le gouvernement français avait autorisé l’exportation vers Israël d’équipements électroniques utilisés dans les drones Hermes 900 (photo) qui avaient peut-être été déployés pour surveiller l’évolution de la situation sur le terrain à Gaza ». Et si Paris n’était pas, durant la période 2019-2023, un exportateur d’armes majeures vers Israël, il fournissait tout de même des composants nécessaires à la mise en œuvre de certains armements – une situation qui perdure probablement.
La plupart des pays de l’UE réaffirment un « soutien indéfectible à Israël »
Si le positionnement des Etats membres de l’UE en matière d’aide militaire à l’Etat hébreu n’est pas homogène, la plupart d’entre eux réaffirment quoi qu’il en soit un « soutien indéfectible à Israël », selon les mots d’Emmanuel Macron. Et ce, dans un contexte où Tel-Aviv mène des opérations aux conséquences effroyables.
Dans la bande de Gaza, le nombre de civils tués par les bombardements a depuis longtemps dépassé les 40 000. Hôpitaux et écoles sont délibérément pris pour cibles et largement détruits. La population ne cesse d’être déplacée et erre sans endroit épargné. Si l’on prend en compte le siège imposé à ce territoire, siège qui vise à créer une situation de disette et d’épidémies, c’est en centaines de milliers que se comptent les victimes. Et aucun cessez-le-feu n’est envisagé par les dirigeants israéliens.
Ceux-ci ont ouvert un second front au Liban, désormais lui aussi massivement bombardé, avec à la clé plusieurs milliers de civils tués, et plus d’un million de déplacés. Une vaste incursion terrestre sur le territoire de cet Etat souverain a été engagée. Benyamin Netanyahou a menacé ouvertement de réduire le pays en cendres, à l’image des ruines de Gaza. En outre, ne reculant devant aucune arrogance, il a sommé la force d’interposition des Nations Unies de se retirer. Des positions des casques bleus ont été visées, plusieurs d’entre eux ont été blessés.
Rien de tout cela ne serait possible sans le soutien sans faille des plus fidèles alliés de Tel-Aviv. Ceux-ci portent donc une responsabilité majeure au regard du droit international. Et pour sa part, l’UE, bien trop occupée à multiplier les sanctions à l’égard de la Russie, et récemment encore de l’Iran, laisse en place le Conseil de coopération qui la lie à Israël depuis 1995.
Jamais le « deux poids – deux mesures » n’aura été aussi patent.