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Élection présidentielle en Slovaquie : une mauvaise nouvelle pour Bruxelles

Robert Fico et Viktor Orban

A l’heure où les Palestiniens de Gaza meurent chaque jour sous les bombes ou de famine provoquée ; à l’heure où le gouvernement israélien n’hésite pas à pilonner une ambassade iranienne, provoquant une réaction mesurée de Téhéran ; à l’heure où malgré cette retenue, les dirigeants de Jérusalem annoncent une nouvelle escalade, susceptible de plonger tout le Moyen-Orient dans la guerre avec de possibles conséquences mondiales, est-il encore opportun de s’intéresser à l’élection présidentielle en Slovaquie, dont le deuxième tour a eu lieu le 6 avril ?

A Bruxelles, comme à Berlin et à Paris, la réponse est oui. Et les dirigeants européens, de même que les grands médias qui leur sont proches, ne sont pas à la fête. Ainsi, pour le quotidien français « de référence » Le Monde, la victoire de Peter Pellegrini « n’est une bonne nouvelle ni pour la cohésion de l’Union européenne, ni pour le soutien à l’Ukraine ».

Avec plus de 53% des suffrages, M. Pellegrini bat assez nettement l’ancien diplomate Ivan Korcok (46,9%) qui était unanimement reconnu comme le candidat fidèle à Bruxelles. Une victoire d’autant plus nette que ce pays d’Europe centrale de 5,5 millions d’habitants connaît généralement des taux de participation faibles. Ainsi, la présidente sortante, la pro-UE Zuzana Caputova, avait recueilli 58% des suffrages en 2019, mais avec une participation de seulement 42% ; cette année, plus de 61% des électeurs se sont déplacés.

Ivan Korcok était vu comme celui qui pouvait freiner les orientations affichées par le gouvernement en place depuis octobre 2023 avec à sa tête Robert Fico (ce dernier, le premier ministre slovaque, est à droite sur la photo, en compagnie de son homologue hongrois lors du Conseil européen du 22 mars). M. Fico est revenu au pouvoir après avoir été premier ministre de 2006 à 2010, puis de 2012 à 2018. A cette date, accusé par ses adversaires d’entretenir des liens avec le crime organisé, il avait dû démissionner après d’importantes manifestations provoquées par le meurtre d’un jeune journaliste, adversaire de M. Fico.

Il avait alors été remplacé à ce poste par M. Pellegrini. Les deux hommes sont issus du même parti d’origine sociale-démocrate, le SMER-SD, un parti frère très mal vu par les sociaux-démocrates de l’UE qui lui reprochent des alliances passées avec un parti de droite nationaliste. En 2020, M. Pellegrini avait dû à son tour quitter le pouvoir suite à des élections remportées par une coalition « pro-occidentale ». Il fonda alors un parti social-démocrate dissident, le HLAS.

Les deux partis concurrents ont cependant reformé une coalition à l’issue des élections de septembre 2023, avec le concours du parti nationaliste SNS. Ce retour au pouvoir s’explique pour une large part par la guerre en Ukraine : M. Fico a mené sa campagne sur l’opposition aux livraisons d’armes à Kiev, un thème sensible pour une majorité de Slovaques qui ne souhaitent pas être associés à une guerre contre la Russie.

« Je ferai tout pour que la Slovaquie reste toujours du côté de la paix, et non de la guerre »

Peter Pellegrini

Les prérogatives du chef de l’Etat sont certes limitées, même s’il est formellement le chef des armées, et ratifie (et le cas échéant peut ralentir) les actes législatifs. Mais le choix des électeurs le 6 avril était considéré comme un test : allaient-ils conforter le pouvoir en place depuis l’automne, comme le souhaitait M. Fico ; ou bien infirmer leur choix de 2023 en portant à la tête de l’Etat un « contrepoids » ?

Le scrutin s’annonçait serré puisque le candidat implicitement soutenu par Bruxelles était arrivé en tête au premier tour avec 42,5% des suffrages, alors que M. Pellegrini n’en obtenait que 37%. Les électeurs du troisième homme, le nationaliste Stefan Harabin (11,7%), ainsi que les abstentionnistes du premier tour, ont finalement fait la différence. A l’issue du scrutin, Peter Pellegrini a déclaré : « je serai le président qui soutiendra le gouvernement dans ses efforts pour améliorer la vie des Slovaques et je ferai tout pour que la Slovaquie reste toujours du côté de la paix, et non de la guerre ».

Et a précisé, en référence  à l’Ukraine : « la scène politique slovaque est divisée entre ceux qui sont en faveur de la poursuite de la guerre à tout prix et ceux qui exigent le début des négociations de paix. J’appartiens à cette dernière catégorie ». Une confirmation du rôle important qu’a pris la politique étrangère dans le choix des électeurs.

En face, on craint désormais que ce scrutin n’accélère le processus de « désintégration de la démocratie libérale ». M. Korcok et son camp (la plupart des partis pro-UE le soutenaient dès le premier tour) avaient notamment dénoncé de premières mesures du gouvernement Fico visant à réformer le code pénal dans un sens qui faciliterait selon eux la corruption.

Ils craignent surtout que la Slovaquie rejoigne la Hongrie de Viktor Orban dans une démarche qualifiée traditionnellement de « populiste » et d’« illibérale ». M. Pellegrini n’a nullement dissipé cette angoisse en proclamant sa volonté d’être « un président du peuple, pas un président des élites, des médias, des ONG et des pays étrangers ».

Le clivage slovaque est également géographique et social. Le gagnant l’a emporté largement dans sept des huit provinces du pays, mais a été distancé dans la capitale, Bratislava, où il n’a recueilli qu’un tiers du vote urbain.

Le vainqueur a cependant rappelé que « la Slovaquie est clairement ancrée dans l’Union européenne et dans l’Otan ». M. Fico lui-même n’est pas exempt de double langage. Face à ses électeurs, il plaide pour un cessez-le-feu entre Moscou et Kiev et pour des pourparlers de paix – ce qui suffit, pour ses adversaires, à le condamner comme « pro-russe ». Il avait même affirmé que l’adhésion de l’Ukraine à l’Alliance atlantique marquerait le début d’une troisième guerre mondiale. Et il a rapidement interrompu l’aide militaire de son pays à Kiev.

En revanche, siégeant au Conseil européen, il a avalisé le dernier paquet de sanctions anti-Moscou. Et a rencontré le 11 avril le premier ministre ukrainien en compagnie duquel il a jugé que « le recours à la force militaire par la Russie en Ukraine est une violation flagrante du droit international ». Il a dès lors affirmé que l’Ukraine a besoin de solidarité : « nous sommes là pour aider ». Il a même précisé qu’il ne mettrait pas de bâtons dans les roues à l’adhésion de Kiev à l’UE.

La suite dira donc quelle est la part de conviction, et la part d’opportunisme électoral, dans l’attitude du nouveau pouvoir slovaque. Quoi qu’il en soit, il convient de noter un fait majeur qui caractérise l’état d’esprit actuel de la majorité des Slovaques : c’est grâce à un discours s’opposant au bellicisme occidental qu’on remporte une élection dans ce pays.

Et c’est sans doute cela qu’on ne supporte pas à Berlin. Norbert Röttgen, un des responsables de la politique étrangère de la CDU au Bundestag, a réagi au choix des électeurs slovaques en martelant : « quiconque se range du côté de l’agresseur n’a pas sa place dans l’UE ». De son côté, Anton Hofreiter, pour les Verts, a menacé de couper les fonds européens à la Slovaquie si le gouvernement s’attaque à l’Etat de droit : « il est important que le gouvernement slovaque reçoive un signal d’alarme clair de Berlin et de Bruxelles ».

Une telle arrogance pourrait bien trahir une réelle inquiétude quant au risque de contagion de la dissidence au sein de l’Union européenne.

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