Le coup de tonnerre était certes attendu, puisque le candidat Donald Trump avait annoncé, lors de sa campagne, qu’il ferait de la hausse des droits de douane l’une de ses plus hautes priorités.
Et dès ses premières semaines de retour au pouvoir, le président américain (photo) avait décidé de premières hausses sur les droits taxant les importations de véhicules automobiles (hausses entrées en vigueur le 3 avril) ainsi que d’acier et d’aluminium (depuis le 12 mars), quel que soit le pays d’origine. Mais la suite allait déclencher un véritable tsunami de réactions dans le monde – déclarations politiques indignées, et dégringolade des bourses.
Le locataire de la Maison Blanche avait prévenu : le 2 avril serait « le jour de la libération ». Ce jour là, brandissant un immense tableau, il a triomphalement énuméré les taux des « tarifs », individualisés pays par pays, que les Etats-Unis menaçaient d’appliquer aux exportations de leurs amis, alliés, partenaires et concurrents. Si ces mesures s’appliquaient en l’état, les droits de douane perçus par les Américains sur les importations du reste du monde passeraient, en moyenne, de 2,5 % à 25 %…
Dès le 5 avril, une hausse uniforme de 10% a été appliquée. Et le 9 avril, une seconde vague devait être lancée : par exemple 34 % de droits sur les importations chinoises (en plus des 20 % imposés en janvier), 32 % sur celles de Taïwan, 24 % sur celles du Japon, et 20 % sur celles en provenance des pays de l’UE. Finalement, ce même 9 avril, nouveau coup de théâtre : Donald Trump suspend pour quatre-vingt-dix jours cette seconde vague, tout en laissant en place les 10%.
L’épée de Damoclès reste donc en place. Et pour sa part, la Chine est une exception : les dirigeants américains lui imposent une taxation à… 125%, conséquence d’un bras de fer engagé spécifiquement par Washington mais lors duquel Pékin à refusé de se soumettre et a pris des contre-mesures.
Pour justifier ce que des commentateurs ont décrivent comme « une guerre commerciale déclarée au monde entier », Donald Trump a martelé : « notre pays a été pillé, saccagé, violé et dépouillé par des nations proches et lointaines, des alliés comme des ennemis ». Une thèse que le promoteur immobilier déclamait déjà il y a quelques décennies.
Deux objectifs
Concrètement, il ne cache pas les deux objectifs visés par cette politique qui tourne officiellement le dos à quatre-vingts ans d’idéologie libre échangiste (selon laquelle la libéralisation du commerce international conduit à la prospérité générale). Pour mémoire, le libre échange était un point clé dudit « consensus de Washington » imposé par un Occident hyper-dominant, surtout soucieux de maximiser les profits des multinationales américaines et européennes.
Depuis quelques années cependant, ce modèle a connu ses premières limites et contradictions. Aux Etats-Unis, les dirigeants républicains mais aussi démocrates n’ont pu faire l’impasse sur la désindustrialisation et le mécontentement populaire qui en ont découlé. Et à l’échelle de la planète, de premiers signes de « démondialisation » ont commencé à se faire jour.
Cependant, le choix radical du président américain constitue, par son ampleur (sans précédent depuis un siècle) une véritable révolution. Il devrait aboutir – c’est le premier objectif affiché par Donald Trump – à un flux massif d’investissements vers le sol américain de la part d’entreprises étrangères : en délocalisant vers les USA leurs activités, notamment industrielles, ces dernières échapperaient aux droits de douane, et profiteraient ainsi d’occasions « de s’enrichir comme jamais ». Des grands groupes français (Total, CMA CGM…) ont déjà manifesté un intérêt en ce sens.
Deuxième objectif : faire rentrer des centaines de milliards dans les caisses du Trésor US. 600 milliards par an, selon le conseiller américain au commerce. Avec à la clé « un nouvel âge d’or », c’est-à-dire surtout de nouvelles baisses d’impôts… essentiellement pour les plus riches.
En réalité, il est extrêmement difficile d’évaluer, même approximativement, l’ordre de grandeur des bénéfices tant vantés par la Maison Blanche, de même que des dégâts tant redoutés par les gouvernements et économistes du monde entier. Outre la chute à court terme des marchés boursiers, qui connaissent en ce moment de brutales fluctuations, ces dégâts devraient concerner une relance de l’inflation, avec ses conséquences sur le pouvoir d’achat, un ralentissement de la croissance, de même qu’une hausse des taux d’intérêt.
Ces facteurs sont tellement imbriqués, les effets directs et indirects s’articulent de manière tellement complexe – un peu comme dans un billard à cinq bandes – que toute prévision est sujette à caution.
Les appels angoissés à « l’unité européenne » se sont multipliés
Ce qui est certain, en revanche, est que les conséquences pour les pays de l’UE risquent d’être douloureuses. Notamment pour une raison de fond : en matière de commerce international, c’est la Commission qui dispose de la compétence exclusive. Autrement dit, les Etats membres doivent se plier à ses choix, quels que soient leur situation et leurs intérêts.
Bruxelles évalue à 380 milliards d’euros la valeur des exportations européennes concernées par les annonces du 2 avril, soit 81 milliards d’euros de taxes qui seraient perçues par les douanes américaines (contre 7 milliards actuellement) à supposer que les volumes exportés restent constants.
Les appels angoissés à « l’unité européenne » se sont donc multipliés ces derniers jours… indice infaillible que les contradictions et divergences entre capitales sont légions.
Emmanuel Macron a ainsi réuni le 3 avril de nombreux grands patrons à l’Elysée, avec notamment un mot d’ordre : « travailler en Européens afin d’éviter les échappées solitaires ». Le président français plaide pour une ligne ferme face à Washington, et préconise par exemple de geler les investissements aux Etats-Unis, le temps que les mesures américaines se décantent. Certains experts estiment en effet que la brutalité des décisions trumpiennes constitue en réalité une méthode pour peser sur de futures négociations commerciales. Dans cette hypothèse, les droits de douane annoncés ne seraient pas immuables.
A l’inverse, à Berlin, on semble privilégier tout ce qui peut concourir à l’apaisement avec Washington. Le patronat de l’industrie (BDI) a exhorté Bruxelles à « rester prêt à négocier ». Sa fédération de la chimie (VCI) suggérait pour sa part de « garder la tête froide ». Idem du côté de celle de l’industrie automobile (VDA) qui a invité l’Europe à « signaler qu’elle est prête à négocier ». Ces deux secteurs, et plusieurs autres, assurent encore à l’Allemagne une base industrielle solide.
Cet état d’esprit semble partagé par la présidente de la Commission, l’Allemande Ursula von der Leyen, qui a martelé début avril : « il n’est pas trop tard pour négocier », et ce, alors même que le commissaire européen au commerce s’est rendu par deux fois à Washington sans rien obtenir. Une première série de mesures de rétorsion envisagées par Bruxelles avait déjà été décalée au 15 avril, une autre au 15 mai. Puis, après le gel partiel finalement annoncé par le président américain le 9 avril, ces décisions ont été suspendues.
Les profils et paramètres des économies des Etats membres sont très différents
La réalité est que les profils et paramètres des économies des Etats membres sont très différents : poids de l’industrie, part des usines d’assemblage, mix énergétique, place de l’agriculture, développement dans les services ou la finance, et bien sûr, volume des exportations outre Atlantique… En outre, certains pays voudraient amadouer Washington en promettant plus d’achats d’armes et d’équipements militaires américains – ce qui n’est pas du goût de Paris.
Bref, chaque capitale espère tirer son épingle du jeu… tout en sachant qu’elle sera finalement contrainte par des décisions de Bruxelles qui s’imposeront à tous.
Une situation qui rappelle une nouvelle fois l’absurdité de l’affirmation selon laquelle « ensemble, on est plus forts ». En l’espèce, il serait au contraire pertinent de souligner que c’est en étant indépendant qu’on est en meilleure position.
Une bonne illustration de cet atout est fournie par le Royaume-Uni. Londres avait d’emblée bénéficié d’un traitement de faveur qui ne lui aurait évidemment pas été accordé si le pays était toujours membre de l’UE : des taxes à 10% plutôt qu’à 20%. Et ne désespère pas, sur la base de ses propres négociations autonomes avec Washington, d’améliorer encore son sort.
Il n’est pas sûr que les idéologues pro-UE, qui n’avaient pas de mots assez catastrophistes pour décrire les conséquences du Brexit, insistent beaucoup sur ce point.