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Trump a déjà réussi à diviser les dirigeants européens

trump von der leyen

Le quarante-septième président des Etats-Unis a pris ses fonctions le 20 janvier. L’événement a connu un écho planétaire. Il va surement, en effet, inaugurer une période de ruptures. Mais lesquelles ? Les évidences s’arrêtent là. A ceux qui ont déjà tout compris, tout analysé, et donc tout prévu, il serait raisonnable de conseiller un peu de prudence. Pour deux raisons au moins.

La première concerne les forces internes qui ambitionnent d’influer sur Donald Trump, tout particulièrement du côté de ceux qui possèdent les capitaux, et qui n’ont pas les mêmes intérêts, loin de là : les industries « traditionnelles » (automobile, sidérurgie…) ; celles productrices d’énergie (pétrole, gaz, charbon) ; le secteur de l’armement et des équipements militaires – qui est rarement réduit à la portion congrue outre-Atlantique ; et bien sûr tout le secteur émergent de la « Tech » (microprocesseurs, réseaux sociaux, plateformes, intelligence artificielle…) et de la finance qui l’accompagne.

Ce dernier semble avoir le vent en poupe. Il a réussi à placer beaucoup d’éminents représentants – et pas seulement l’emblématique Elon Musk – au sein des équipes du pouvoir qui se met en place. Mais les rapports de force sont encore mouvants.

La seconde raison tient à la complexité de la politique internationale. Celle-ci repose naturellement sur les stratégies rationnelles des différentes puissances, mais pas seulement. D’autres facteurs, nullement secondaires, entrent en ligne de compte : l’opportunisme (la capacité à profiter d’occasions non provoquées), l’improvisation, sans compter les égos des dirigeants. Ce dernier aspect s’applique particulièrement au nouveau maître de la Maison-Blanche.

L’homme a un côté « imprévisible », ce qui constitue une bonne nouvelle pour ceux qui ne satisfont pas de la perspective d’un monde irrémédiablement dominé par « l’Occident ». Ainsi, s’il est très peu probable que le président Trump engage son pays vers une sortie de l’OTAN, le seul fait que cette épée de Damoclès soit évoquée déstabilise considérablement les alliés atlantiques. Ceux-ci vont désormais vivre dans l’angoisse permanente d’un texto iconoclaste du président américain. Si ce dernier n’a qu’une qualité, celle-là est inappréciable…

Car c’est peu dire que la majorité du camp atlantiste voit d’un œil affolé la perspective de quatre années pendant lesquelles le « boss » du « monde libre » va être incontrôlable, et en jouer. Dans quel sens ? Rien n’est écrit d’avance.

Le retour de Donald Trump a donc déclenché d’innombrables analyses et commentaires. Certains experts prédisent un retour de Washington à son impérialisme décomplexé du XIXème siècle. D’autres, effrayés, incluent désormais le golfeur milliardaire dans une « bande des trois » en formation : avec Xi Jiping et Vladimir Poutine, il rejoindrait ainsi les voyous qui traitent leurs voisins ou partenaires sans scrupule et avec la dernière brutalité.

D’autres encore, sur le Vieux continent, rêvent – totalement en vain – que, face à ces manières de rustre, les « citoyens européens » se prennent soudain d’amour pour une Union européenne qui, à l’inverse des Etats-Unis, pratiquerait une intégration politique non impériale, douce et respectueuse…

Le flou subsiste sur les initiatives et les projets géopolitiques du nouveau président

Même si le flou subsiste sur les initiatives et les projets géopolitiques du nouveau président pour ces prochains mois, celui-ci a déjà réussi une prouesse alors qu’il ne siégeait même pas encore dans le bureau ovale : diviser les dirigeants européens.

Il les a littéralement sidérés en fanfaronnant son souhait de prendre le contrôle, si ce n’est par la guerre, au moins par la contrainte, du Panama, du Groenland (présentement sous souveraineté danoise), et même du Canada. Une provocation comme il les affectionne.

De son côté, celui qui fait (pour l’instant) figure de plus proche conseiller, M. Musk, n’a pas hésité à s’ingérer directement dans les élections allemandes en indiquant l’AfD comme le bon choix ; et à mettre sous pression le gouvernement britannique accusé de laxisme face aux gangs pédo-criminels dirigés par des hommes d’origine pakistanaise – le premier ministre s’est finalement incliné en diligentant une nouvelle enquête…

Face à tout cela, les dirigeants européens se divisent schématiquement en quatre groupes. Le premier groupe pourrait s’intituler « le chef a toujours raison ». Inféodés pour des raisons historiques à Washington, les gouvernants polonais ou baltes, notamment, se rangent par principe derrière l’Oncle Sam, quel que soit l’homme aux commandes.

Le deuxième groupe se range également du côté du président américain, mais pour des raisons très différentes, voire opposées : non par conformisme déférent et vassal, mais par proximité idéologique avec la vision trumpienne de la société. Une vision qui regroupe ce que le président français a qualifié d’« internationale réactionnaire », en réalité hostile à l’immigration et ennemie des thèses mondialistes (celles du « parti de Davos »).

Ce groupe comprend le premier ministre hongrois, Viktor Orban, pour lequel Donald Trump n’a jamais été avare de louanges. L’Italienne Giorgia Meloni entre également dans cette catégorie. Cette dernière a même été invitée à la cérémonie de Washington, où elle s’est finalement rendue, provoquant une sourde colère dans de nombreuses autres capitales de l’UE dont les chefs n’avaient pas été conviés.

Pour sa part, Emmanuel Macron est emblématique du troisième groupe. Tout en tentant de mettre en scène sa relation avec son homologue américain (invité à l’inauguration de Notre-Dame, sans être payé de retour), il tire parti du tournant politique que ce dernier semble vouloir opérer – le détachement par rapport aux liens atlantiques vieux de quatre vingt-ans – pour vanter son cheval de bataille préféré : la « souveraineté européenne ». Seul le renforcement d’une UE porteuse d’« autonomie stratégique » permettrait de parler d’égal à égal avec Washington. L’Espagne du socialiste Pedro Sanchez pourrait entrer également dans cette catégorie.

Enfin, le dernier groupe rassemble des pays tiraillés entre plusieurs logiques. C’est typiquement le cas de l’Allemagne (mais aussi, hors UE, du Royaume-Uni). Pour des raisons historiques (qu’on pourrait presque qualifier d’ataviques), Berlin (après Bonn) cultive son ADN atlantiste. Mais les dirigeants allemands ont aussi des intérêts à défendre, notamment industriels, auxquels le locataire de la Maison-Blanche s’est juré de s’attaquer. Dans ces conditions, le chancelier Scholz, ne peut guère rallier la bannière trumpienne, encore moins en période électorale.

Reste le cas de l’UE en tant que telle. Si les conseillers de Donald Trump lui ont soumis une liste d’invités potentiels à son investiture incluant Ursula von der Leyen, il a probablement feint de répondre : « Ursula qui ? », et évidemment rejeté cette proposition. La présidente de la Commission européenne aurait certainement fait le déplacement si elle avait été conviée. L’ancienne ministre allemande de la Défense, chrétienne-démocrate, est connue pour son tropisme atlantiste. Elle doit cependant composer avec les contradictions entre Etats membres.

Ceux-ci devraient connaître de nouveaux affrontements internes dans la prochaine période, dès lors qu’il faudra réagir aux positions et initiatives américaines. Mais pour Donald Trump, l’essentiel est ailleurs : comment imposer un rapport de force face à la Chine, grand rival probable pour les deux décennies à venir…

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