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L’UE est nécessairement inopérante sur la scène internationale – et c’est tant mieux

Délégation européenne à Washington

C’est le pire cauchemar des dirigeants européens : que l’Union européenne apparaisse sur la scène internationale pour ce qu’elle est. C’est-à-dire : rien. Et ce cauchemar est à nouveau en train de se réaliser.

Cette affirmation peut paraître paradoxale, tant ces dirigeants, aidés par les médias qui leur sont fidèles, répètent à satiété qu’ils comptent bien continuer à soutenir Kiev face à Moscou, et être partie prenante des éventuelles solutions qui seront trouvées au conflit. « L’Europe doit être à la table pour discuter d’elle-même et de son avenir », a par exemple martelé Emmanuel Macron.

L’Europe ? Le terme est volontairement vague – après tout, une partie de la Russie appartient également au continent européen. Mais l’UE en tant que telle est hors jeu.

S’il en fallait une preuve supplémentaire, la variabilité, l’hétérogénéité et la précarité des configurations censées « porter la voix de l’Europe » la fourniraient. La délégation baroque qui s’est déplacée le 18 août à Washington (photo), officiellement pour épauler le président ukrainien en visite chez son hôte américain, constituait un indice éloquent.

En faisaient partie le chancelier allemand, le président français, ainsi que le premier ministre britannique qui dirige un pays… qui n’est plus membre de l’UE. Etait également présente la présidente du Conseil italien, mais pas son homologue espagnol ; le chef de l’Etat finlandais (dont les gazettes rapportent qu’il a été sollicité parce qu’il entretient un commun amour du golf avec Donald Trump, et donc peut-être une influence sur ce dernier), mais pas le chef du gouvernement polonais, pourtant présent lors d’initiatives précédentes.

Le secrétaire général de l’OTAN (sur lequel l’Oncle Sam exerce théoriquement une co-autorité) était également du voyage, de même que la présidente de la Commission européenne. Mais Ursula von der Leyen semblait jouer un rôle décoratif, d’autant qu’en matière de politique extérieure de l’UE, c’est plutôt la Haute représentante Kaja Kallas qui aurait dû formellement apparaître, ou bien le président du Conseil européen, Antonio Costa.

Ce denier, de même que le Polonais Donald Tusk, étaient pourtant signataires de la déclaration publiée le 16 août, en réaction à la rencontre, la veille en Alaska, entre les présidents russe et américain.

Les médias dominants ont expliqué que la délégation qui s’est rendue outre-Atlantique était composée « des principaux dirigeants européens ». Merci pour les autres (dont certains n’ont même pas été tenus au courant), dans une UE à vingt-sept où chaque pays compte théoriquement pour un…

Le 14 août, puis le 17 août, c’est la « coalition des volontaires » qui s’est réunie et exprimée. Cette configuration forte d’une trentaine de membres représente « un format plus large » ont précisé les journalistes pro-UE. Elle avait été formée en mars 2025 pour se tenir prête à apporter des « garanties de sécurité » militaires si Kiev en exprimait la demande. On y trouve notamment le Royaume-Uni et la Norvège, hors UE, mais aussi le Canada et l’Australie, qui ne sont même pas géographiquement européens.

Un groupe plus restreint de pays – l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni – s’est autoproclamé leader de fait de ladite coalition. Et comme si ce n’était déjà pas assez complexe, on a appris le 19 août que si Paris et Londres envisageaient une force internationale de « réassurance » de quelques milliers d’hommes susceptibles d’être envoyée à Kiev ou à Odessa, en revanche, Berlin, Varsovie et Rome étaient très réticents quant à la prise de ce risque susceptible de mettre directement face à face des forces russes et occidentales.

La liste des « formats » improvisés n’est pas exhaustive. Ainsi, le 16 août, certains Etats ont éprouvé le besoin de faire de la surenchère : le Danemark, la Suède, la Finlande, les trois pays baltes (mais pas la Pologne), ainsi que l’Islande et la Norvège (hors UE) ont déclaré qu’ils restaient « inébranlables » dans leur soutien à l’Ukraine et asséné : « l’expérience a montré qu’on ne peut pas faire confiance à Poutine ».

On pourrait poursuivre l’énumération de ces configurations à géométrie variable. Le point important est que les institutions officielles de l’UE se sont révélées inopérantes. C’est le cas en particulier du Conseil européen (qui regroupe les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-sept) qui s’est contenté d’une brève visioconférence le 19 août sans conclusion collective. Une claque pour les partisans de l’intégration européenne, et donc une bonne nouvelle pour la souveraineté de chaque peuple.

Pour de nombreux pays, leur propre politique étrangère est « existentielle »

En réalité, il s’agit plus d’une confirmation que d’une surprise. Le temps est loin où l’UE martelait, en février 2022, que son principal atout, face à la Russie, était son « unité ». Plusieurs raisons concourent à cet état de fait.

Les commentateurs pro-UE accusent l’attitude de l’actuel locataire de la Maison-Blanche, qui ne nourrit pas, il est vrai, d’amour excessif pour l’Union européenne, et agit sans se préoccuper du bien-être politique de ses « alliés » historiques – au contraire.

Mais ce constat ne saurait suffire. Si l’UE progressait depuis le Traité de Rome (entré en vigueur en 1958), comme la propagande le martèle, en termes de force, d’unité, de cohérence et d’enthousiasme populaire, l’Oncle Sam serait bien en peine de faire obstacle tout seul à une si belle et puissante aventure…

D’aucuns pointent également la dissidence des deux pays qui font figure de moutons noirs : si la Hongrie et la Slovaquie n’étaient pas des empêcheurs de faire tourner la belle mécanique européenne, Bruxelles pourrait, selon eux, faire valoir son unité donc sa puissance sur la scène mondiale.

Il est vrai que Budapest et Bratislava font enrager leurs collègues, notamment dès lors qu’il est question des rapports avec la Russie, en prônant un apaisement avec cette dernière. Mais le problème est en réalité bien plus ample.

Car s’il est possible de mettre sur pied une gouvernance économique de la zone euro, puisque les dirigeants partagent grosso modo les mêmes fondamentaux (austérité, pression sur les droits des travailleurs, libéralisation…), il n’en va pas de même pour la politique étrangère. Pour de nombreux pays, celle-ci est « existentielle », au sens où elle est déterminée, au-delà de la succession des gouvernements de différentes couleurs, par leur histoire et leur culture propres.

Pour ne citer qu’un petit nombre d’exemples, ce n’est pas un hasard si l’Espagne, potentiellement confrontée au séparatisme catalan, n’a pas reconnu l’indépendance du Kosovo. Ce n’est pas un hasard si l’Irlande, longtemps soumise au joug britannique, affiche une certaine sympathie pour la cause palestinienne. Ce n’est pas un hasard, à l’inverse, si la classe politique allemande instrumentalise le génocide nazi contre les Juifs pour ériger aujourd’hui la défense d’Israël, malgré le génocide en cours, en « raison d’Etat ».

Dans un tout autre domaine, Emmanuel Macron est certes un partisan radical de l’intégration européenne. Mais pas au point d’accepter que le siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU détenu par la France soit offert à Bruxelles. La politique étrangère est bel et bien existentielle…

Pour que survienne une politique étrangère unique de l’UE (au sens de la monnaie unique), il faudrait donc que les Etats disparaissent. C’était le rêve des « pères fondateurs ». Soixante-dix ans plus tard, les aspirations des peuples en sont plus éloignées que jamais.

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