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La vraie catastrophe du Brexit : des augmentations de salaires

Y aura-t-il de la dinde à Noël ?

Des rayons de supermarchés en berne, des stations essence en rupture de stock, et, pire que tout, la perspective d’une pénurie de dindes à Noël… Les médias dominants de l’Union européenne feignent de s’apitoyer sur ces pauvres Britanniques, mais jubilent : là voilà enfin, la catastrophe du Brexit mille fois annoncée !

Évidemment, ces médias ne font pas toujours dans la nuance (quitte, parfois, à propager des images truquées). Dans la réalité, le carburant est distribué sans problème dans les trois quarts des stations du Royaume ; les sujets de sa Gracieuse Majesté ont toujours accès à plus de 95% des produits antérieurement distribués ; et nul n’a encore vu des Anglais en haillons se disputer les ultimes quignons de pain délaissés par les moineaux.

Ce qui est vrai, en revanche, c’est qu’il y a bien, non un manque de matières ou de marchandises, mais des perturbations dans la transformation et, plus encore, le transport et la distribution de celles-ci. Précisément les secteurs dont les conditions de travail sont peu enviables, et les salaires à pleurer.

Autant d’emplois qui étaient tenus, jusqu’à présent, par des travailleurs étrangers, issus pour une très large part de l’Est de l’UE. En 2004, lors de l’élargissement de cette dernière, le premier ministre d’alors, Anthony Blair, avait fait le choix radical de ne même pas mettre en œuvre les garde-fous temporaires qui ont (un peu) limité l’arrivée de Polonais, de Lettons ou d’Estoniens sur le Continent. Des centaines de milliers d’entre eux sont venus chercher l’eldorado en Grande-Bretagne, à la grande joie du patronat britannique, avide d’une main d’œuvre prête à accepter des jobs au rabais, faute de pouvoir trouver chez eux – après la « transition post-communiste » – de quoi vivre.

Parmi les secteurs les plus concernés figuraient en particulier l’agro-alimentaire et le transport routier. A la faveur de la pandémie, très nombreux ont été ceux qui sont retournés dans leur pays d’origine, et n’ont pas fait le choix de revenir ensuite dans un État qui ne joue plus le jeu de la « libre circulation de la main d’œuvre ».

Résultat : un nombre considérable d’emplois « à bas coût » ne sont plus pourvus. Quelque peu paniqués, les employeurs ont implicitement admis qu’ils devraient consentir des salaires plus décents – que n’y avaient-ils pas songé plus tôt ? Et en juillet par exemple, les chaînes de magasins Asda et Tesco ont même promis une prime de 2 000 livres aux nouveaux chauffeurs qu’elles se proposaient d’embaucher.

Ce mois-là, la moyenne des salaires, tous secteurs confondus, a grimpé – hors primes – de 7,4% en rythme annualisé, un record jamais atteint depuis un quart de siècle. S’il fallait une illustration imparable de la pression qu’impose aux rémunérations la présence de travailleurs immigrés – au détriment, du reste, des Anglais comme des étrangers eux-mêmes – le Royaume-Uni post-Brexit la fournirait aussi clairement qu’une expérience de laboratoire. Sous des formes qui ont certes évolué, le phénomène est aussi ancien que le capitalisme lui-même.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les gros bataillons des électeurs favorables aux Brexit se sont recrutés chez les ouvriers et plus généralement dans les milieux populaires, confrontés quotidiennement au dumping social importé.

En finir avec la libre circulation de la main d’œuvre, et donc avec le rapport de force si déséquilibré qu’elle engendre au profit du patronat

Certes, le gouvernement de Boris Johnson prend, à court terme, des mesures provisoires – permis de travail exceptionnels valables jusqu’à la fin de l’année – pour fluidifier cette période de transition. Mais à moyen et long terme, là était bien un des horizons du Brexit, et compris comme tel par le monde du travail : en finir avec la libre circulation de la main d’œuvre, et donc avec le rapport de force si déséquilibré qu’elle engendre au profit du patronat.

Ce qui est en revanche inédit, c’est le conflit qui se confirme avec le gouvernement Tory. Depuis près de deux siècles d’existence, le parti conservateur ne s’était pas illustré par sa défense du monde du travail, mais plutôt par sa proximité avec les maîtres du capital. Il est vrai qu’en décembre 2020, c’est plutôt le premier – notamment au nord et au centre de l’Angleterre laborieuse – qui a assuré la victoire de Boris Johnson.

La Conférence annuelle des Conservateurs, du 3 au 6 octobre, a à cet égard fournit un spectacle étonnant : celui de ministres conservateurs accusant le patronat, affolé de devoir augmenter les rémunérations, d’être devenu « ivre de main d’œuvre bon marché ».

Les salaires augmentent, et ce n’est sans doute pas fini. Pour certains, à Bruxelles notamment, c’est sans doute là que réside le véritable cataclysme post-Brexit…

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