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Réforme de la fiscalité internationale : une fausse bonne idée

fiscalité mondialisation

Les ministres des finances du G7, réunis le 5 juin, se sont mis d’accord sur les grandes lignes d’un projet qui modifierait la fiscalité mondiale. Ce consensus semble ouvrir la voie à une réforme qui devrait cependant passer par de nombreuses étapes : au sein de l’OCDE (issue à l’origine de la sphère occidentale, et qui rassemble 139 pays), de l’Union européenne, ainsi que du G20. Un sommet de cette dernière instance est prévu pour les 9 et 10 juillet : ce thème devrait y être débattu.

Schématiquement, la réforme envisagée repose sur deux piliers : l’établissement d’un impôt minimum de 15% sur les bénéfices des grandes sociétés multinationales ; et une répartition complexe de cet impôt : aujourd’hui le prélèvement est réalisé par le pays où les entreprises ont leur siège, demain, les pays où les entreprises ont leur marché pourraient avoir leur part du gâteau. Le but affiché est de limiter l’évasion fiscale qui passe aujourd’hui par des « paradis fiscaux », c’est-à-dire des Etats où les grands groupes peuvent établir leur siège pour bénéficier d’une taxation réduite, voire inexistante.

Présenté ainsi, il est difficile de rejeter d’un revers de main un plan qui semble viser plus de justice et réduire les abus. D’ailleurs, même les géants du numériques – tels que Google, Apple, Facebook ou Amazon – ont salué l’intention, alors même qu’ils seraient les premiers concernés.

Il n’est cependant pas interdit de regarder de plus près, et de se poser quelques questions.

Un aspect fondamental, par exemple, concerne la souveraineté des pays. Historiquement, les parlements nationaux ont été créés sur une prérogative qui fondait leur raison d’être : voter l’impôt. C’est au fond la base de toute politique nationale : quelles contributions les citoyens et les entreprises doivent apporter à la collectivité nationale ? Si des règles devaient s’imposer de l’extérieur – quoi qu’on pense de celles-ci par ailleurs – ce principe fondamental de la démocratie serait mis en cause.

Joseph Biden aurait-il soudain basculé dans ladite « gauche radicale » ?

Une deuxième question mérite réflexion. L’initiative décisive pour relancer cette réforme régulièrement évoquée est venue cette fois de Washington. Berlin et Paris n’ont pas manqué d’afficher leur soutien enthousiaste. Joseph Biden aurait-il soudain basculé dans ladite « gauche radicale », lui qui a passé un demi-siècle dans la politique américaine avec un profil « centriste », c’est-à-dire en réalité défenseur de la primauté absolue de la libre entreprise et de l’exportation de la puissance américaine sur la planète, les armes à la main (économiques, militaires et culturelles) ?

Angela Merkel a-t-elle soudain renoué avec son engagement de jeunesse dans le parti dirigeant de la RDA ? Emmanuel Macron, l’ancien banquier de chez Rothschild, vient-il d’avoir un coup de foudre pour les œuvres complètes de Marx et d’Engels ? Et au-delà, les classes politiques des pays européens sont-elles à l’orée d’une révolution culturelle, alors même qu’en leurs rangs, dirigeants publics et grands patrons privés alternent et échangent leurs responsabilités ? Symbole de ce petit monde oligarchique, la banque Goldmann Sachs a formé un nombre impressionnant de politiciens, et recruté ensuite une quantité non moins imposante d’élus de haut niveau au sortir de leur mandat.

Certes, on évoque ici ou là l’état des finances publiques, exsangues à la suite de la pandémie et des récessions qui en ont résulté. Il conviendrait dès lors de trouver des ressources pour les renflouer, ce que permettrait la réforme. Depuis longtemps cependant, les dirigeants occidentaux n’hésitaient nullement, pour ce faire, à aggraver l’austérité envers ceux qui vivent de leur travail, plutôt que de toquer à la porte des multinationales.

Le problème est que l’image de celles-ci n’a cessé de se dégrader un peu partout parmi les peuples. L’arrogance des grands groupes pharmaceutiques, dont les bénéfices n’ont désormais vraiment pas à se plaindre du virus ; celle des géants de l’Internet qui, non contents de faire des profits faramineux, règnent en maîtres sur les réseaux sociaux et ont droit de vie ou de mort sur des pans de la liberté d’expression ; sans parler de la toute puissance du secteur financier qui régente une large part de l’économie mondiale… tous ces empires et bien d’autres commencent à susciter un rejet croissant de la part des citoyens de nombreux pays.

Pire, pour les maîtres du système : ce ne sont pas seulement les sociétés transnationales qui sont conspuées, mais potentiellement le système lui-même dont la raison d’être est précisément s’assurer le règne de celles-ci. Pour les oligarchies mondialisées – celles-là même qui donnent le ton idéologique occidental, de la libre circulation des capitaux à la « protection de l’environnement » en passant par l’agressivité croissante, y compris militaire, à l’égard des pays non soumis à leurs normes – la priorité absolue est d’assurer la pérennité dudit système. Quitte à savoir faire la part du feu, à travers des mesures fiscales.

La fiscalité pourrait bien servir de couverture pour éviter que les vrais enjeux soient dévoilés et questionnés

Ainsi, la fiscalité pourrait bien servir de couverture pour éviter que les vrais enjeux soient dévoilés et questionnés. Car c’est bien l’existence même de trusts transnationaux qui constitue le problème, non simplement leurs « excès ». Pfizer, Facebook, Goldmann Sachs et tous leurs semblables n’ont jamais eu, et n’auront jamais l’ambition de servir l’intérêt général, mais, par construction même, de maximiser leurs profits. Faut-il dès lors les taxer un peu plus et les « réguler », ou bien récupérer leurs activités dans le domaine public ? Un peu comme si on se demandait s’il convenait de civiliser ou de taxer la mafia plutôt que de l’éliminer.

A l’ère de la mondialisation – dont les multis constituent la raison d’être – la question pourrait bien être, non pas d’aménager celle-ci pour la sauver, mais de renouer avec le principe même de nationalisation. Ce qui suppose, bien sûr, que chaque pays récupère sa souveraineté politique, sans laquelle le respect du choix des peuples reste vide de sens.

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