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Royaume-Uni : la conspiration des caciques Tories pour faire chuter Boris Johnson

Sunak et Truss

Le 5 septembre, le nom du nouveau premier ministre britannique sera connu. Durant le mois d’août en effet, les adhérents du Parti conservateur (« Tory ») sont invités à voter pour départager les deux finalistes dans la course à la tête de ce parti, le gagnant devenant automatiquement le chef du gouvernement. Lors du mois de juillet, les parlementaires Tories avaient successivement éliminé les différents candidats pour ce poste – il y en avait initialement une douzaine – avant que n’ait lieu ce duel final.

Ce dernier se joue entre le chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances) du cabinet de Boris Johnson, Rishi Sunak ; et sa collègue des Affaires étrangères, Elisabeth Truss. Le premier était un « Brexiter » de la première heure, tandis que la seconde ne s’est ralliée à la sortie de l’UE qu’après le référendum de juin 2016. Paradoxalement, celle-ci est soutenue par l’aile la plus favorable au Brexit, son concurrent étant présenté comme plus « mou » par ses adversaires.

Bien sûr, le Brexit est effectif et irréversible ; ce thème n’est donc plus l’enjeu, si ce n’est pour les négociations conflictuelles, en cours et futures, avec Bruxelles sur la mise en œuvre de l’accord de divorce et de celui de libre échange.

Cette compétition en vue de remplacer Boris Johnson a été lancée le 7 juillet, quand ce dernier a été littéralement contraint de démissionner au terme d’une longue conjuration ourdie par de nombreux caciques du parti. Cette péripétie peut surprendre : en décembre 2019, M. Johnson avait fait figure d’homme miracle qui avait mené le Parti conservateur à un véritable triomphe électoral, puis permis la réalisation du Brexit qui se heurtait depuis trois ans et demi à une véritable guérilla des partisans de l’Union européenne.

L’ampleur du succès Tory dans les urnes et donc en nombre de parlementaires avait, dans un premier temps, condamné au silence les nombreux ennemis du premier ministre. Ceux-ci se trouvaient parmi les Conservateurs adversaires du Brexit, mais aussi parmi les Tories « traditionalistes » dont la référence politique reste Margareth Thatcher.

C’est peu dire que le locataire de Downing street a poursuivi une politique opposée à celle qu’avait menée en son temps la « dame de fer »

Or c’est peu dire que le locataire de Downing street a poursuivi une politique opposée à celle qu’avait menée en son temps la « dame de fer ». Là où cette dernière prônait un ultralibéralisme appuyé sur l’individualisme forcené (« la société n’existe pas »), son lointain successeur a engagé une démarche d’inspiration « keynésienne » : annonce d’investissements publics massifs, de travaux d’infrastructures, de renflouement financier pour les services publics (notamment pour le système de santé, également la renationalisation d’un réseau de chemins de fer), de relance industrielle et technologique, et de rattrapage pour les régions ouvrières déshéritées, notamment le centre et le nord de l’Angleterre.

Non que l’ancien maire de Londres fût devenu soudain un gauchiste radical, loin de là. Mais il mettait ainsi en œuvre une stratégie électorale visant à conserver les électeurs de ces anciens bastions travaillistes qui s’étaient tournés vers Boris Johnson du fait de sa promesse de réaliser enfin le Brexit. Maintenir dans le camp Tory les électeurs ouvriers et les couches populaires, tel était l’objectif – qui coïncidait sur ce plan avec une perspective de développement du pays désormais libéré de la tutelle bruxelloise.

Sauf que cela était incompatible avec les vues de nombreux dirigeants de son parti. A peine la crise du Covid passée, une fronde a commencé à s’organiser en sourdine, et s’est développée sur fond de crise économique – inflation, hausse vertigineuse des factures d’énergie, chute de croissance – d’ampleur mondiale.

La question du pouvoir d’achat est du reste devenue si cruciale que des grèves importantes se développent depuis juin dans tout le pays, notamment avec la mobilisation massive des cheminots. A noter cependant que la chute de l’immigration liée au Brexit a entraîné un certain manque de main d’œuvre, avec comme conséquence une hausse de nombreux salaires… au grand désespoir du patronat.

Le scandale baptisé « Partygate » a servi de prétexte à l’insurrection de parlementaires du Parti contre leur chef

Dès lors, le scandale baptisé « Partygate » a servi de prétexte à l’insurrection de parlementaires du Parti contre leur chef : ce terme recouvre la révélation que le chef du gouvernement avait laissé ses équipes faire la fête (et y avait lui-même pris part) au moment même où le pays se voyait imposer le confinement. Face à ces accusations, M. Johnson a tenté de se défendre en alignant des excuses maladroites, des demi-vérités et de vrais mensonges. Ultime goutte d’eau : il a cru bon de défendre un de ses amis politiques impliqué dans un scandale de mœurs, avant de devoir rétropédaler.

Pourtant, le 6 juin, le premier ministre croyait encore pouvoir sauver sa peau lorsqu’il remportait une majorité lors d’un vote de défiance dans ses propres rangs. Cependant, même minoritaire, le nombre important de votes en faveur de son départ (149 sur 359) avait amené de nombreux commentateurs à estimer que le chef du gouvernement était fragilisé.

Un constat qui s’est finalement concrétisé lors des deux journées des longs couteaux : les 5 et 6 juillet, ses propres ministres se sont mis à démissionner en nombre, y compris certains de ceux qui venaient d’être nommés la veille par ses soins pour boucher les trous. Avec un mot d’ordre : Boris Johnson n’est plus en situation de mener le parti à une nouvelle victoire lors d’élections prévues pour 2024 au plus tard. Tout cela ne lui laissait guère d’autre choix que d’annoncer sa démission. Il garde cependant la barre jusqu’à ce que soit connu le nom de son successeur.

Les deux finalistes rivalisent de promesses d’esprit thatchérien

Pour l’heure, les deux finalistes rivalisent de promesses d’esprit thatchérien avec un thème obsessionnel : renouer avec les baisses d’impôts et surenchérir sur l’ampleur de celles-ci. Sur ce terrain, censé séduire les adhérents de base, Mme Truss a pris de l’avance et semble largement favorite. Elle pousse même le zèle jusqu’à calquer son attitude et ses goûts vestimentaires sur ceux de Lady Thatcher. M. Sunak, de son côté, promet également de faire chuter la pression fiscale, mais, ancien grand argentier, il se garde de s’engager à très court terme, sachant les besoins des finances publiques.

Quoiqu’il en soit, les besoins collectifs – sociaux et salariaux, notamment – risquent de sortir exsangues d’un tel revirement. Par exemple, Elizabeth Truss a un jour proposé de revoir à la baisse les salaires des fonctionnaires résidant hors de la capitale au motif que le coût de la vie est moindre en province (avant finalement d’abandonner cette idée). C’est peu dire que de telles perspectives achèveraient d’éloigner les électeurs des couches populaires que M. Johnson comptait bichonner.

Ce dernier n’a peut-être pas dit son dernier mot. Une pétition de ses fidèles a circulé pour que son nom soit ajouté à la liste des finalistes. Cette revendication avait très peu de chance de voir le jour, mais, à terme, le locataire sortant de Downig Street ne semble pas décidé à prendre sa retraite. Il a conclu son annonce de démission en s’exclamant : « hasta la vista, baby » (en référence au film Terminator, et qu’on pourrait traduire par « ce n’est qu’un au revoir »). Précédemment, il avait dénoncé les agissements d’une « Etat profond » opposé à sa politique, une référence plus habituelle chez ceux qui mettent en cause les systèmes occidentaux, alors même que M. Johnson n’est évidemment pas anti-OTAN (et menait une orientation très antirusse que promettent d’ailleurs de poursuivre ses successeurs potentiels)

Dans l’immédiat cependant, le Royaume-Uni va probablement engager un nouveau cours en politique intérieure qui va décevoir, voire désespérer, les catégories populaires, celles-là même qui avaient voté pour le Brexit.

Ce dernier ne peut pas entraîner automatiquement une politique en faveur du monde du travail. Mais, en se libérant des règles et contraintes de l’UE, il la rend possible… le moment venu.

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