Éditorial paru dans l’édition du 23/02/2022, soit avant l’entrée des troupes russes en Ukraine
Misère de l’euro-macronisme. On se souvient qu’Emmanuel Macron avait pris ses fonctions au son de l’hymne de l’UE. Cinq ans plus tard, il chante toujours les louanges de l’intégration européenne : pour peu qu’elle soit unie, l’Europe peut assumer un rôle majeur dans le monde – tel est le credo lyrique du maître de l’Elysée, en parfaite harmonie avec le catéchisme bruxellois. Il vient pourtant lui-même de faire la démonstration du contraire dans deux dossiers brûlants et cruciaux.
Le premier concerne sa décision de mettre fin à la présence de soldats français au Mali. L’annonce a certes été mise en scène, le 17 février, en associant partenaires européens et africains. Mais qui doute un instant que c’est à Paris qu’a été prise la décision de « réarticuler » l’opération Barkhane ? Et de sonner le glas, par voie de conséquence, de la mission Takuba qui associait pourtant des forces spéciales d’une dizaine d’Etats européens (Italie, Estonie, Tchéquie, Suède…).
Ce choix contraint laisse évidemment ouverte la question de la lutte contre l’islamisme radical qui n’a cessé de métastaser au Sahel puis en Afrique de l’Ouest. Il constitue en tout cas l’aboutissement d’une dégradation rapide des rapports entre Paris et Bamako, dès lors que l’« aide » armée s’est accompagnée de la persistance (voire du renforcement) de l’arrogance et de l’ingérence. Ce que les pays africains supportent de moins en moins.
La diplomatie française n’a ainsi pas eu de mots assez durs vis-à-vis de la junte malienne arrivée au pouvoir dans la foulée des coups d’Etat d’août 2020 puis de mai 2021. Elle a mis en cause la légitimité des officiers désormais à la tête du pays – qui bénéficient pourtant d’un large soutien populaire – et exigé d’urgence des élections, avec l’appui de Bruxelles qui a fait ce qu’il sait bien faire : imposer de lourdes sanctions, allant jusqu’au blocus du pays. Comment s’étonner dès lors qu’une large partie du peuple malien ait fêté le départ des soldats français ? Ce même rejet des réprimandes infligées par l’ex-puissance coloniale se retrouve au Burkina Faso et en Guinée, où des militaires ont chassé des régimes corrompus ou impuissants.
Et ce n’est certes pas le sommet UE-Union Africaine des 17 et 18 février (dont Ruptures rendra compte dans une prochaine édition) qui aura regagné les bonnes grâces des peuples africains. 150 milliards d’euros d’investissements ont été promis, en déclamant que le lien Europe-Afrique constitue « le grand projet géopolitique des décennies à venir ». Evidemment sous condition de « transparence », de « bonne gouvernance », et d’écologie. Ce qui n’augure pas d’une coopération d’égal à égal.
A Bruxelles, on ne cache pas qu’il s’agit en réalité de faire pièce aux grands projets chinois d’infrastructures (dits « routes de la soie »), et à une présence militaire russe souhaitée par plusieurs capitales africaines. En coulisse se joue aussi une rivalité entre Paris et Berlin dès lors qu’il s’agit d’accéder aux immenses ressources et marchés africains (la chancelière Merkel avait fait plusieurs tournées fructueuses sur le Continent noir, y compris dans le « pré carré » français).
Quand c’est important, l’UE ne peut faire que de la figuration, le cas échéant en aboyant.
Que les Etats reprennent la main lorsque le défi est essentiel, le président français l’a également démontré dans le second cas, la crise ukrainienne. Il s’était ainsi rendu à Moscou en proclamant vouloir être un « faiseur de paix » par le rapprochement des points de vue. Dans ce dossier, l’Union européenne, dont les Etats membres dissimulent difficilement leurs divergences, ne sait qu’ânonner ad nauseam les éléments de langage belliqueux élaborés à Washington. Et personne ne croit sérieusement qu’Emmanuel Macron ait fait le déplacement en tant que « président de l’UE » (ce qu’il n’est nullement, la France coordonne seulement, ce semestre, les travaux des Conseils des ministres des Vingt-sept). Vladimir Poutine l’a reçu, comme il l’a fait pour le chancelier allemand, mais a évidemment snobé le vrai président (permanent) du Conseil européen, Charles Michel. Quand c’est important, l’UE ne peut faire que de la figuration, le cas échéant en aboyant.
Las, le maître de l’Elysée a jugé bon de se concerter mille fois, avant et après son déplacement, avec ses pairs européens ainsi qu’avec l’Oncle Sam, comme s’il redoutait finalement de parler au nom d’une France majeure et indépendante. S’il l’avait fait, peut-être aurait-il réussi avec son hôte une percée diplomatique en faveur de la paix, et évité le camouflet final de Moscou.
N’est pas de Gaulle qui veut.
Pierre Lévy