Un influent député chrétien-démocrate allemand trouve Emmanuel Macron trop gentil avec la Russie, et s’indigne que les Etats aient leur propre politique.
Norbert Röttgen sera-t-il le prochain chancelier allemand ? L’actuel président de la commission des affaires étrangères du Bundestag ne cache guère ses ambitions, même si ses chances sont, à ce stade, plutôt minces. Il est en tout cas l’un des candidats en campagne pour succéder à Angela Merkel à la tête de la CDU (le parti chrétien-démocrate) lors du congrès prévu en décembre prochain. Et il ne néglige pas de soigner son image à l’extérieur des frontières, comme vient d’en témoigner sa récente interview accordée au Monde (08/10/202).
L’homme passe pour un ultra-atlantiste, et confirme l’image qu’il entend donner de lui-même : celle d’un gros dur. Ainsi, en matière économique, il persiste à défendre le Pacte de stabilité qui lie les Etats de la zone euro dans une austérité éternelle afin d’assurer la survie de la monnaie unique. Certes, le Pacte (qui contraint notamment chaque pays à maintenir un déficit budgétaire inférieur à 3%) est pour l’heure suspendu pour cause d’épidémie. Le secrétaire d’Etat français aux affaires européennes estimait récemment que ledit pacte ne devrait jamais être remis en place. Interrogé sur ce point, M. Röttgen remet fermement le ministre français à sa place : la situation et les mesures exceptionnelles « ne doivent pas être un prétexte pour abandonner le principe d’une politique financière stable à laquelle l’Allemagne – et cela ne concerne pas que la CDU – restera très attachée ». Avis à ceux qui auraient eu un doute.
Après le désengagement (relatif) de l’Oncle Sam, l’UE devra faire respecter l’ordre dans son voisinage
Mais c’est naturellement sur la politique internationale que le président de la commission des affaires étrangères insiste. Il note que « le ‘pivot asiatique’ des Etats-Unis, amorcé par Clinton et Obama, deviendra enfin une réalité et ce, quel que soit le résultat du scrutin ». Le « pivot asiatique », c’est-à-dire l’intérêt prioritaire que Washington accorde à l’Asie plutôt qu’à l’Europe. Loin de s’en offusquer, le dirigeant chrétien-démocrate en tire une conclusion : « les Etats-Unis compteront que les Européens assument leurs responsabilités envers leurs voisins » (sans préciser quelle instance divine a confié à « l’Europe » ces « responsabilités »). En d’autres termes, après le désengagement (relatif) de l’Oncle Sam, l’UE devra faire respecter l’ordre, y compris par la force, dans son voisinage – au sud, et surtout à l’est. Et pour cela, « l’Europe doit absolument s’affirmer comme puissance géopolitique » martèle Norbert Röttgen.
Ce dernier se vante du reste d’avoir contribué à faire évoluer les positions de son parti et de la chancelière. Dans l’affaire Navalny – cet avocat et blogueur russe que Vladimir Poutine aurait voulu faire assassiner, selon les dirigeants européens – il se félicite que le gouvernement allemand n’ait pas d’emblée exclu, en représailles, de suspendre la construction du gazoduc Nord Stream II. Cette option n’est pour l’instant pas retenue, mais M. Röttgen avait été l’un des premiers à la proposer, suscitant immédiatement une approbation de nombreux responsables politiques. La chancelière n’avait pas écarté par principe cette hypothèse. C’est nouveau et c’est bien, jubile en substance le candidat.
Même amour pour la Chine. L’interviewé rappelle qu’il avait très tôt demandé, d’abord en vain, d’exclure la firme chinoise Huawei du déploiement de la 5G, avant que cette exigence ne soit finalement reprise dans un projet de loi en préparation.
Interrogé sur le type de coalition qui pourrait gouverner le pays après les élections prévues en septembre de l’année prochaine, il se montre peu enthousiaste quant à la reconduction de l’actuelle alliance avec les sociaux-démocrates, car il juge ceux-ci coupables de « dénoncer à la moindre occasion le retour du militarisme ». En revanche, se réjouit-il, « les Verts se sont recentrés sur ces sujets. Sur la Russie ou sur la Chine, par exemple, leurs positions sont souvent assez proches des nôtres ».
« Si chaque pays mène sa politique, l’Europe est en danger », s’indigne Norbert Röttgen
Enfin, celui qui se rêve en futur chancelier ne ménage pas le partenaire français. Ainsi, sur l’affaire Navalny, « la France a réagi trop timidement par rapport à l’Allemagne. Cette passivité française est regrettable car cette affaire est une épreuve de vérité pour l’Europe qui, si elle veut peser face à la Russie, doit avoir une stratégie cohérente ». Plus généralement, « Emmanuel Macron a eu tort de proposer un ‘dialogue stratégique’ avec la Russie ».
Certes, « que la France et l’Allemagne ne défendent pas exactement les mêmes positions est normal », concède Norbert Röttgen. Mais c’est pour regretter cependant que « les divergences se sont creusées, ces derniers temps ». Et de conclure, magistral et menaçant : « si chaque pays mène sa politique, l’Europe est en danger ».
Que chaque pays songe à mener sa propre politique ? Quel cauchemar, quelle absurdité, quel scandale ! Heureusement, l’Europe veille…