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Avec Biden, l’Europe vassalité ? (éditorial paru dans l’édition du 23/11/2020)

Relations transatlantiques

Et maintenant ? C’est peu dire que les dirigeants européens et la presse qui leur est fidèle ont festoyé dès lors que s’est confirmée la victoire du prétendant démocrate à la Maison Blanche. Le chef de la diplomatie de l’UE a salué « un jour formidable pour les USA et pour l’Europe », son collègue de l’OTAN surenchérissait, tandis que le président de l’europarlement soulignait « les valeurs communes » des USA et de l’UE. De son côté, Pablo Iglesias, vice-premier ministre espagnol et chef de la « gauche radicale » (!) s’est réjoui : « Trump a perdu l’élection, c’est une très bonne nouvelle pour la planète, l’extrême droite globale perd son parrain politique le plus important ».

Mais, passée l’euphorie du moment, les uns et les autres sont conscients que, si le ton à Washington s’annonce plus aimable et plus cordial, l’amour de l’Europe ne sera pas la priorité du futur président. Les négociations commerciales demeureront d’autant plus un sujet d’affrontement que c’est l’engagement d’Hillary Clinton pour le libre échange qui avait causé la défaite de cette dernière en 2016 – la leçon a été retenue. Quant à l’exigence que les alliés européens consacrent 2% aux dépenses militaires dans le cadre atlantique, elle ne risque pas d’être abandonnée : elle avait été affichée par Barack Obama dès 2014, Joseph Biden étant alors vice-président.

Une large part des futurs rapports transatlantiques se décidera en Allemagne, cible prioritaire de Donald Trump pendant quatre ans. La classe politique de ce pays a la fidélité atlantique dans ses gênes. La chancelière a ainsi estimé – et les mots ont un sens – que « l’amitié transatlantique est irremplaçable ». Son ancien ministre de la défense, Ursula Von der Leyen, devenu la patronne de la Commission européenne, a pour sa part martelé que « les Etats-Unis et l’UE sont des alliés et des amis, nos citoyens partagent les liens les plus profonds »…

Deux tendances se dessinent cependant à Berlin. L’une à laquelle appartient l’actuel ministre de la défense, une fidèle d’Angela Merkel, plaide pour rattraper quatre ans de servilité contrariée, et réclame ainsi d’« en finir avec les illusions de l’autonomie stratégique européenne », ce qui a profondément agacé Paris. L’autre tendance considère que le meilleur service à rendre à Washington est au contraire de développer ladite autonomie européenne : les alliés européens, donc l’UE, devraient ainsi prendre la responsabilité de policer leur voisinage – les Balkans, l’Europe orientale, la Méditerranée… – ce qui permettrait à l’Oncle Sam de se concentrer sur sa priorité stratégique, l’Asie. Norbert Röttgen, le puissant président de la commission des affaires étrangères du Bundestag, lui aussi atlantiste connu, se réjouissait ainsi que Washington se tourne « enfin » prioritairement vers l’Asie, et confie le soin aux Européens d’« assumer leurs responsabilités » envers leurs propres voisins.

Le ministre de l’économie, Peter Altmaier, un très proche de la chancelière, est allé plus loin en estimant que « l’Europe a ses propres intérêts à défendre contre les Etats-Unis ». Sans doute pensait-il notamment au projet de gazoduc Nord Stream 2 qui doit relier la Russie à l’Allemagne. L’ouvrage est construit à plus de 90%, mais Washington bloque son achèvement à coup de pressions et de menaces. Les différences d’approche ne sont pas cantonnées à l’intérieur de l’Union chrétienne-démocrate. Le social-démocrate Heiko Maas, ministre des affaires étrangères, a plaidé dans le même sens : la complémentarité transatlantique impose un « travail d’équipe » (et non une soumission).

L’épouvantail Trump parti, la tentation de renouer avec une sage vassalité européenne ne manquera pas de revenir dans certaines capitales, hélas pour l’Elysée

L’homologue français de M. Altmaier, Bruno Le Maire, est allé dans le même sens en martelant : « il est temps que les Européens assument leurs responsabilités ». Une déclaration qui s’inscrit dans la ligne élyséenne : Emmanuel Macron n’a cessé de plaider pour bâtir ce qu’il nomme une « souveraineté européenne ». De ce point de vue, et paradoxalement, le président français a quelques raisons de craindre les conséquences du départ de Donald Trump : l’épouvantail parti, la tentation de renouer avec une sage vassalité ne manquera pas de revenir dans certaines capitales – et tant pis pour le lyrisme macronien d’une Union européenne autonome et majeure.

Ces deux orientations sont aussi néfastes l’une que l’autre. Plus le monde est instable, plus les peuples ont intérêt à rejeter tant la soumission à un suzerain que l’intégration dans un bloc.

Et à reconquérir le seul atout d’avenir qui vaille : l’indépendance nationale.

Pierre Lévy

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