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Syriza, grand perdant des élections grecques

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Le scénario que prévoyaient de nombreux analystes politiques est bel et bien advenu : au terme des élections générales qui se sont déroulées en Grèce le 21 mai, le parti du Premier ministre sortant, Nouvelle Démocratie (ND, droite classique), est arrivé largement en tête, mais sans cependant disposer de majorité absolue dans le nouveau Parlement.

Kyriakos Mitsotakis ayant exclu un gouvernement de coalition, les 9 millions d’électeurs grecs vont très probablement retourner aux urnes, sans doute le 25 juin. Selon la loi électorale du pays en effet, le parti arrivé en tête bénéficiera lors de ce second scrutin d’un bonus de sièges, ce qui devrait permettre au chef du gouvernement de se succéder à lui-même ; et peut-être même d’obtenir un majorité qualifiée (soit 180 sièges sur 300) susceptible de lancer des changements constitutionnels.

M. Mitsotakis a ostensiblement triomphé le soir du vote, évoquant même un « séisme politique » en sa faveur. Une affirmation exagérée : avec 40,8% des suffrages, ND ne gagne que 0,9 point par rapport au scrutin de 2019. Mais il est vrai que les ultimes sondages ne lui accordaient que moins de 35% d’intentions de vote.

Le véritable événement du scrutin, en revanche, est la déculottée subie par le parti Syriza, que certains continuent, contre toute vraisemblance, à étiqueter « gauche radicale ». Avec 20,1%, le mouvement dirigé par Alexis Tsipras chute de 11,5 points par rapport à 2019 où il avait pourtant été battu au terme de quatre années à la tête du gouvernement.

Un grand nombre de ses électeurs ne lui avaient alors pas pardonné de s’être fait élire en janvier puis septembre 2015 en promettant de rompre avec l’austérité, et d’avoir finalement mis en œuvre cette dernière sous pression de l’Union européenne et du FMI (photo). Manifestement, M. Tsipras n’a pas regagné leur confiance. Syriza n’a effectué aucune autocritique sérieuse de ce qui est toujours ressenti comme une trahison.

Et manifestement, le rapprochement engagé par ce parti vers la social-démocratie européenne n’a pas aidé. Alexis Tsipras a même été reçu récemment par le chancelier allemand, le social-démocrate Olaf Scholz, ce qui a peut-être rappelé à nombre d’électeurs le rôle de Berlin dans la soumission de la Grèce aux « mémorandums » européens.

Syriza a vu une part de ses électeurs revenir vers des partis de gauche traditionnels. Ainsi, côté centre, le parti social-démocrate officiel, le PASOK, qui n’est pas passé loin de la disparition dans les années 2010, connaît un certain retour en grâce, avec 11,5%, soit une progression de 3,4 points. De son côté, le Parti communiste, dont certains pronostiquent régulièrement la chute finale, s’assure la quatrième place ; avec 7,2%, il gagne 1,9 point. Le KKE est classé comme « stalinien » par ses adversaires, et continue – seul dans le paysage politique grec – à défendre la sortie de l’UE.

Pour sa part, la formation de l’ancien ministre des finances de M. Tsipras, Yanis Varoufakis, passe sous la barre des 3% et n’obtient donc plus de députés. M. Varoufakis, qui avait quitté le gouvernement en juillet 2015 quand ce dernier céda complètement aux injonctions européennes, préconisait une double circulation monétaire (euro plus rétablissement de la monnaie nationale), mais sans rupture avec Bruxelles. Un positionnement qui n’a guère convaincu les électeurs.

Pour sa part, la droite nationaliste (EL) constitue, avec 4,4% le cinquième parti représenté au Parlement. Parmi les dizaines de groupe en lice qui n’obtiennent aucun siège, les Verts recueillent 0,6% des suffrages.

Colère, rancœur, sentiment d’impuissance expliquent pour une part la désaffection des urnes

Si des déçus de Syriza ont rallié d’un côté le Pasok, de l’autre le KKE, le plus gros contingent s’est réfugié dans l’abstention. La participation, certes en hausse de 3,1 points, reste faible : seulement 60,9% des citoyens se sont déplacés, alors même que le vote est théoriquement obligatoire. Colère, rancœur, sentiment d’impuissance expliquent pour une part cette désaffection. Notamment au sein de la jeunesse. L’âge électoral ayant été abaissé à 17 ans, 430 000 nouveaux inscrits figuraient sur les listes électorales.

Alexis Tsipras espérait que cette classe d’âge fasse pencher la balance en sa faveur. Il a ainsi tenté de surfer sur l’émotion entraînée par la catastrophe ferroviaire du 1er mars : la collision de deux trains sur la ligne la plus fréquentée du pays – notamment par les jeunes – avait provoqué la mort de 57 personnes et fait de très nombreux blessés. La question des moyens de plus en plus restreints accordés aux services publics, laissés en déshérence, avait même provoqué une grève générale le 16 mars. Mais Syriza était finalement mal placé pour capitaliser sur cette colère.

En revanche, ce parti n’a cessé de pilonner son adversaire dans le scandale des écoutes téléphoniques que le chef du gouvernement avait très probablement commanditées. Son chef de cabinet (et neveu) avait été écarté quand il est apparu impliqué dans la mise sous surveillance de plusieurs personnalité politiques, dont le chef du Pasok et même certains ministres du gouvernement. Alexis Tsipras espérait bénéficier de la découverte de ces pratiques, et a dénoncé plus généralement un « régime corrompu ».

Des attaques jugées « populistes » par certains observateurs, notamment à gauche, qui ont pointé, à l’inverse, que M. Tsipras abordait insuffisamment ce qui constituait la préoccupation majeure de millions d’électeurs : la situation économique et sociale.

D’autant que M. Mitsotakis n’a pas manqué de vanter ses « succès économiques », notamment la croissance, qui a dépassé 5% (ce qui peut s’expliquer en réalité par le fait que la Grèce partait de très bas). Le premier ministre a également insisté sur la « stabilité » qu’il se vantait d’être le seul à garantir, sur les baisses d’impôts, sur les investissements attirés.

Sur l’emploi et sur les salaires, en revanche, il pouvait difficilement convaincre. Même retombé officiellement à près de 11% en mars, le chômage gangrène toute la société, particulièrement la jeunesse : près d’un quart des moins de vingt-cinq ans sont privés d’emploi.

Côté pouvoir d’achat, les cures d’austérité drastique, jamais inversées, continuent à marquer tout particulièrement les plus pauvres. Dans la décennie 2010, les revenus avaient baissé de 30%, et ce n’est là qu’une moyenne. Le salaire minimum est de 780 euros, et l’inflation pointait en 2022 à 10%, même si elle a ralenti dans les derniers mois. Les inégalités continuent à se creuser, tandis qu’augmente le nombre de personnes âgées parmi les SDF.

Parmi les services publics, la dégradation du système de santé, dans un état de délabrement avancé, a aussi constitué une préoccupation majeure des électeurs. Mais aux yeux de ceux-ci, Syriza n’avait manifestement pas la légitimité pour s’en proclamer défenseur.

En revanche, plusieurs sujets ont été très peu abordés durant la campagne, à commencer par la responsabilité de Bruxelles dans la « tragédie grecque » qui se poursuit. Et pour cause : ni Syriza, ni le Pasok, ni évidemment Nouvelle Démocratie ne songent à quitter l’Union européenne.

Autre sujet qui a à peine été discuté, y compris dans le débat télévisé entre les différents partis : la guerre en Ukraine, l’aide fournie à Kiev et les coûts assumés par un pays figurant déjà parmi les Etats de l’OTAN qui dépensent le plus en matière militaire.

Le conflit n’a été évoqué par Kyriakos Mitsotakis – qui fit une partie de ses études à l’université américaine de Harvard – que pour attribuer au président russe la responsabilité des difficultés économiques actuelles du pays… Quoiqu’il en soit, il semble peu probable que ces dernières s’estompent désormais. A fortiori si la victoire par défaut du chef du gouvernement sortant se transforme en raz-de-marée bleu d’ici quelques

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