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Parmi les soutiens de Kiev, le réalisme gagne du terrain

Jens Stoltenberg au dernier sommet de l'OTAN

Stupeur, désarroi et indignation : les commentateurs réunis le 16 août sur le plateau de LCI ne cachaient pas leur fureur au lendemain des propos tenus la veille par le chef de cabinet du secrétaire général de l’OTAN.

Interviewé par le journal norvégien Verdens Gang, Stian Jenssen avait notamment évoqué une « solution pour l’Ukraine » qui consisterait à ce que celle-ci « cède du territoire (à la Russie) et obtienne en retour son adhésion à l’OTAN ». Et il précisait même : « cette discussion est déjà en cours » au sein de l’Alliance.

Évidemment, à ce stade, cette perspective est inacceptable tant pour Moscou que pour de nombreux gouvernements occidentaux. Mais qu’une piste autre qu’une victoire totale de Kiev ait été évoquée par un haut responsable a littéralement déstabilisé les « experts » régulièrement invités pour faire l’exégèse de la guerre et de ses enjeux.

L’un a pointé une explication : M. Jenssen serait tout simplement un garçon stupide, voire un débile mental. L’autre a imaginé une raison encore plus audacieuse : l’homme serait un agent russe infiltré au plus haut niveau de l’Alliance. Les deux géopolitologues se rejoignaient en tout cas sur un point : le chef de cabinet devrait démissionner, ou être limogé sur le champ. Une semaine plus tard, force est pourtant de constater qu’il est toujours en fonctions.

Dès lors, une autre piste, légèrement moins invraisemblable que les élucubrations des « spécialistes », peut être formulée : au sommet de l’OTAN, on a peut-être voulu lancer un « ballon d’essai », non pour que son contenu devienne immédiatement réalité, mais pour envoyer un signal, tester les réactions, et, qui sait, préparer le terrain pour de futurs pourparlers, tant stratégiquement (vis-à-vis de la Russie) que politiquement (vis-à-vis des opinions occidentales). Ce n’est évidemment qu’une hypothèse, mais plusieurs éléments semblent la rendre crédible.

A commencer par le classique rétropédalage : M. Jenssen a précisé par la suite que ses propos avaient été « mal compris ». Mais aucun démenti de son chef, le secrétaire général Jens Stoltenberg (photo), n’a été publié. Du reste, par sa fonction même, le porte-parole est là pour se faire l’écho des positions de la direction de l’Alliance, certainement pas pour prendre des initiatives personnelles.

Dans ces conditions, certains dirigeants de l’Alliance atlantique souhaitent désormais trouver une porte de sortie qui permettrait de sauver la face

Surtout, on sait que de hauts militaires de l’OTAN, en particulier américains, se rendent à une évidence que certains stratèges « réalistes » énonçaient depuis longtemps : hors intervention directe et massive de soldats occidentaux, l’Ukraine ne peut pas gagner la guerre. L’échec, reconnu à demi-mots par le président ukrainien lui-même, de la « grande contre-offensive » lancée début juin, les ont probablement conduits à cette analyse.

On imagine que, dans ces conditions, certains dirigeants de l’Alliance atlantique, notamment à Washington, souhaitent désormais trouver une porte de sortie qui permettrait de sauver la face. Même si cela doit passer par des hurlements de fureur à Kiev… mais aussi au sein des castes politiques et des rédactions de nombreux médias de pays européens.

Ainsi, Le Monde, la grande référence des classes dirigeantes françaises, n’a pas écrit un seul mot sur les propos prononcés par M. Jenssen. Mais – coïncidence ? – titrait son éditorial du 19 août : « Face à une guerre longue en Ukraine, il faut tenir, en soutien à Kiev ». Et plaidait pour « intensifier l’assistance militaire à l’Ukraine, lui livrer davantage de missiles à longue portée (sur lesquels Berlin continue d’hésiter), lutter plus efficacement contre le contournement des sanctions, rester ferme face à Moscou, et l’expliquer aux opinions publiques ». Un contre-feu qui semble témoigner de l’angoisse de certains milieux que la ligne dure actuelle soit infléchie.

Indice supplémentaire que le sujet ne pourra plus longtemps être escamoté : l’ancien président français Nicolas Sarkozy osait affirmer, le 16 août dans Le Figaro, que le conflit ne pourrait se régler que par « la diplomatie, la discussion ». A propos de la Crimée, « dont une majorité de la population s’est toujours sentie russe », l’ancien chef de l’Etat estimait que « tout retour en arrière est illusoire ». Tout en estimant que l’annexion de la Crimée constituait « une violation évidente du droit international », il préconisait dans la même interview un référendum « organisé sous le contrôle strict de la communauté internationale (…) pour entériner l’état de fait actuel », c’est-à-dire le rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie. La même voie pourrait être suivie, selon lui, pour les « territoires disputés de l’est et du sud de l’Ukraine ».

Inutile de préciser qu’il a provoqué un tollé à droite comme à « gauche », tout particulièrement chez les Verts.

Mais qu’ils viennent de l’OTAN ou d’anciens responsables politiques occidentaux, de tels messages ne sont sans doute pas le fruit du hasard. Les partisans inconditionnels de Kiev n’ont peut-être pas fini de s’indigner

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